Pour une poignée de dollars
(Sergio Leone, 1964)

L'expression western spaghetti, que détestait Sergio Leone, a été donnée par dérision à un pan important du cinéma italien. Le western spaghetti concilie le goût pour le cinéma de genre auquel, depuis Cabiria, les Italiens sont attachés et le goût pour un cinéma politique qui se méfie des idéologies.

Le western spaghetti et ses déclinaisons en western zapata (analyse politique ancrée dans la révolution mexicaine) ou même western fayot (parodique et vulgaire) ont permis au genre du western de survivre entre les anciens (de John Ford à Robert Aldrich) et les modernes (de Peckinpah à Eastwood) en se faisant l'expression d'une lucidité politique et sociale proche de celle de la comédie italienne, genre qui lui préexiste et qui mourra tout juste un peu après lui.

Le western spaghetti

La remise en cause du mythe et du genre institué par les Américains est l'occasion pour Sergio Leone de réaliser quatre westerns successifs : Pour une poignée de dollars (1964), Et pour quelques dollars de plus (1965), le Bon la brute et le truand (1966), Il était une fois dans l'Ouest (1968). Le terrain parait connu : par le décor (des bourgades du Texas) et par le sujet (un étranger arrive dans une ville où s'affrontent deux camps, la guerre de Sécession, la construction du chemin de fer). Mais les apparences sont trompeuses : les protagonistes préfèrent tirer avant de parler ; ils sont sals, mal rasés, cyniques voir sadiques et seuls le pouvoir et l'argent semblent les motiver.

L'univers de Corbucci est plus psychotique encore. Django (1966), hanté par la mort de sa femme, se fait passer pour un croque-mort. Mais le cercueil qu'il porte derrière lui comme un fardeau contient une mitrailleuse. Les masques rouges du gang du major Jackson rappellent ceux du Klux-Klux-Klan mais plus que la domination de la race blanche, c'est la volonté de puissance par le sang qui doit couler qu'ils revendiquent. Aucun lyrisme du paysage mais une esthétique de la boue partout qui engloutit richesses et personnages.

Le western zapata

El Chuncho (Damiano Damiani, 1966) lance le western zapata, le western politique italien. Il obtient un excellent succès commercial sur le thème de la révolution mexicaine, de l'exploitation des péons par les grands propriétaires. C'est aussi une réflexion sur l'utilisation de la violence par les masses. Pour les pauvres l'émancipation passe par la violence comme le laisse entendre la dernière phrase : "N'achète pas du pain avec cet argent mais de la dynamite".

Autres figures notables, Carlo Lizzani et son Requiescant, 1967, western gothique sadique et révolutionnaire avec Pier Paolo Pasolini, Giulio Petroni et son Tepepa (Trois pour un massacre, 1968) et surtout Sergio Sollima avec la trilogie Colorado (1966), Le dernier face à face (1967) et Saludos Hombre (1969).

Le western zapata est le fait d'auteurs de la nouvelle vague italienne et de la rencontre d'acteurs. Ainsi Gian Maria Volonté, déjà remarqué chez Leone dans Pour une poignée de dollars se retrouve avec l'intellectuel Lou Castel qui jouait chez Bellochio Les poings dans les poches dans El Chuncho (Damiano Damiani, 1966). Le brésilien Tomas Milian et les italiens Franco Nero et Giulianno Gemma seront les grands acteurs du genre. L'auteur-acteur-producteur, Tony Anthony. joue dans la trilogie de Luigi Venzi : Un dollar entre les dents (1966), un homme un cheval, un pistolet (1966), et Le cavalier et le samouraï (1966). Dans celui-ci un pistolero s'en allait au Japon ; le western spaghetti rencontrait le film de samouraï et la légende de Zatoïchi. Le film s'inspirait ainsi du Masseur aveugle (Kenji Misumi). Tony Antony poursuit son personnage de justicier aveugle dans Blindman, le justicier aveugle (Ferdinando Baldi, 1971)

La comédie italienne décrit les petites classes bourgeoises. Le western politique italien descend plus bas dans l'échelle sociale. Il s'intérresse au péon très pauvre quil ne sait ni lire ni écrire, et n'est pas politisé. Un peu comme dans les films fantastiques, c'est celui qui est au plus bas de la société qui va prendre les devants.

Incarnation du péon, l'acteur Tomas Milian, élevé dans la grande bourgeoise cubaine, passé par actor's studio et qui se révèle dans Colorado de Sollima. Son personnage est surnommé El Chunchio (couteau) parce qu'il n'a pas assez d'argent pour espérer s'acheter un pistolet. Il incarne le métèque et symbolise la revanche du prolétariat et du tiers monde.

L'intrigue du western zapata est assez souvent la même : un trésor, stock d'armes ou lingots d'or, à l'origine prévu pour financer la révolution mexicaine est perdu et des personnages aux motivations différentes vont essayer de le retrouver moyennant alliances et contre-alliances motivées par l'appât du gain. Chaque personnage incarne une position politique. Il y a celui qui vient d'un pays occidental, un suédois dans campaneros, un américain dans El Chuncho, un polonais dans El mercenario, un blond hollandais dans O Cangaçeiro. Il vient d'un monde riche et s'immisce dans la révolution. Il a pour alter ego un primitif, sauvage, inculte et pauvre : le péon.

On y trouve une figure qui deviendra récurrente, celle de l'étranger venu des Etats-Unis déstabiliser la révolution. Dans O Companiero (Sergio Corbucci), des capitalistes nord-américains négocient la révolution contre le pétrole.

La critique de l'ingérence des USA chez leurs voisins sud-américains se double d'une critique de l'Italie. Les années 60 marquent le centenaire de la réunification nord et sud et dans Qu'est-ce que je viens faire dans cette révolution ? (Sergio Corbucci), Gassman se déguise en Garibaldi.

Le western fayot

Dès 1968 cependant, le cinéma plus directement politique occupe le devant de la scène. C'en est fini du "il était une fois". L'idéologie règne en maître et le film politique dit clairement "voilà ce qu'il faut penser camarade". Elio Petri garde encore un goût pour la forme baroque dans Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970) mais la perd dès La classe ouvrière va au paradis (1971).

La réflexion politique devient aussi sérieuse qu'accadémique et dénigre la forme spectaculaire et baroque. Dans Il était une fois la révolution (1971), Leone laisse percer son amertume et sa déception au sujet de la révolution. C'est la scène emblématique de dispute au sujet de la lucidité politique : Coburn se trompe, la révolution sera toujours récupérée par les puissants.

Les communistes offusqués par ce message refusent que le film s'intitule Il était une fois la révolution. Leone, sous pression, le renomme Baisse la tête (courbe l'échine). Aux Etats-Unis, le titre devient Planque-toi connard et, en Angleterre Une poignée de dynamite. Seule la France garde le titre auquel Leone tenait.

Très vite cependant les illusions tombent et le film politique comme le western zapata déclinent. L'immense et inattendu succès de On l'appelle Trinita (Enzo Barboni, 1970) génère la vague du "western fayot", western italien qui déraille vers la farce. A la période sérieuse, aux héros sombres et cyniques, va succeder une série de films parodiques et même autoparodiques. La violence est remplacée par des ditributions de baffes. L'humour ne fonctionne plus sur l'ironie, la dérision des valeurs politiques, mais sur le burlesque.

En 1971, Ferdinando Baldi prend le contrepied de la tendance dominante et réalise un western sérieux à gros budget grâce à son auteur-acteur-producteur, Tony Anthony. Ce sera Blindman, le justicier aveugle où les excès baroques et visuels, souvent très très violents se succèdent dans une suite de clous spectaculaires. Keoma (Enzo G. Castellari, 1976) est le dernier western italien intéressant.

Bibliographie :

Principaux westerns spaghetti
       
Keoma Enzo G. Castellari Italie 1976
Mais qu'est-ce que je viens foutre dans cette révolution ? Sergio Corbucci Italie 1972
Il était une fois la révolution Sergio Leone Italie 1971
Blindman, le justicier aveugle Ferdinando Baldi Italie 1971
On l'appelle Trinita Enzo Barboni Italie 1970
Il était une fois dans l'Ouest Sergio Leone Italie 1969
Le dernier des salauds Ferdinando Baldi Italie 1969
Le grand silence Sergio Corbucci Italie 1968
La mort était au rendez-vous Giulio Petroni Italie 1967
Le cavalier et le samouraï Luigi Venzi Italie 1966
Django Sergio Corbucci Italie 1966
Colorado Sergio Sollima Italie. 1966
El Chuncho Damiano Damiani Italie 1966
Le bon, la brute et le truand Sergio Leone Italie 1966
Et pour quelques dollars de plus Sergio Leone Italie 1965
Pour une poigné de dollars Sergio Leone Italie 1964
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