PIGES CHOISIES (de Griffith à Ellroy)

A l'occasion de la rétrospective des films de Luc Moullet du 17 avril au 30 mai 2009, les éditions Capricci et le Centre Pompidou éditent deux ouvrages, l'un consacré à sa pratique de cinéaste (Notre alpin quotidien) et celui-ci qui regroupe une cinquantaine de textes critiques

Ceux-ci sont introduits, composés, annotés, amendés, chapeautés par le cinéaste lui-même. Ils reprennent les grands articles des Cahiers du cinéma, mais aussi certains des textes parus dans Arts, Bref, Trafic, etc., auxquels s'ajoutent près d'une demi-douzaine d'inédits, dont une attaque contre Pedro Almodovar et une défense de l'écrivain américain James Ellroy.

"Ce sont cinquante textes choisis parmi mes nombreuses critiques écrites au cours de mes soixante premières années d'activité, aux Cahiers du cinéma et ailleurs.

Mon dogme n°1, c'est de toujours faire rire le lecteur.
Dogme n°2 : chaque film intéressant engendre une approche critique spécifique au film en question : pas de grille.
Dogme 3 : le critique doit toujours partir d'un exemple précis, avant de généraliser, et non pas du Général (et encore moins s'y cantonner).

Pour moi, l'Austérité, la Grille et le Général sont les trois Cancers de la critique."

 

Les critiques de Luc Moullet, alertes et pleines d'humour sont écrites dans un style direct et clair. Plaisantes, ces critiques ou analyses ont toutefois pour défaut majeur de ne pas apprendre pas grand chose.

Moullet revendique trois dogmes. Le premier, "toujours faire rire le lecteur", est aussi excellent que difficile et Moullet parvient souvent à le mettre en oeuvre.

Le second "chaque film intéressant engendre une approche critique spécifique au film en question : pas de grille " nous semble acceptable pour parler d'un film mais non d'un cinéaste. Il y a en effet danger alors à appliquer le dogme trois "le critique doit toujours partir d'un exemple précis, avant de généraliser, et non pas du Général (et encore moins s'y cantonner)".

Ce dogme, établissant le détail comme point de départ, est certes primordial. Pour nous, ce sont les signes de mise en scène à décrypter pour parler d'un film. Mais la généralisation, l'induction vers le noyau créateur de l'œuvre ne se trouve à notre avis qu'avec une connaissance suffisante du cinéaste et donc un minimum de concept ou de "grille" pour parler comme Moullet.

L'aller et retour du singulier au général conduit en effet trop souvent Moullet au syllogisme :

ou alors :

Moullet se contente alors d'affirmer que Mizoguchi est plus exigeant avec les scénarios et préfère les personnages féminins et Ford les personnages masculins.

Moullet considère pouvoir parler de Ford car il est suffisamment cinéphile pour avoir vu la presque totalité de ses cent douze longs métrages et sa vingtaine de courts. Or pour Moullet, il convient bien d'avoir vu tous les films d'un grand cinéaste. Car, dit-il fort justement, le palmarès de chacun sera différent. Pour lui, les films majeurs de Ford sont La prisonnière du désert, L'homme qui tua Liberty Valence, La route du tabac et Frontière chinoise et surtout la séquence finale du suicide.

Plus que Le mouchard, Moullet, préfère ainsi les derniers films de Ford même si beaucoup d'échecs parmi ses dernières réalisations le gênent (dont Black watch ?).

Le retour au syllogisme lui sert à definir sa mise en scène :

Moullet regrette la soumission de Ford aux credos de l'Amérique. La qualité de sa mise en scène réside dans la concision (avec La prisonnière du désert pour exception qui confirme la règle) et la décontraction née de l'abondance. L'art de Ford se caractérise par le "coulé", du fondu enchaîne, et plonge le spectateur dans le film sans même s'apercevoir qu'il a commencé.

Moullet termine son analyse par une pirouette : sans doute ne faut-il pas analyser l'œuvre de Ford puisque son génie consiste à s'effacer.


Avec Almodovar, Moullet procède selon les mêmes syllogismes. Almodovar est un cinéaste espagnol. Le cinéma espagnol est mauvais. Donc Almodovar est un mauvais cinéaste.

Pour Moullet, le cinéma espagnol n'a existé que parce qu'il a lutté contre Franco avant de sauver in extremis Aménabar Coixet, Alvarez, Rocha, Serra, Rosales, Alvares et surtout Victor Erice. Il reproche à Almodovar de capter sur son nom toutes les subventions. Sa déception est croissante depuis Femmes au bord de la crise de nerf et Attache moi. Il n'aime pas la bizarreté provocante et gratuite des mœurs sexuelles et des couleurs chez le cinéaste.

Il reproche à Tout sur ma mère de n'avoir rien à voir avec le film de Mankiewicz auquel il fait référence et à La mauvaise éducation d'enfoncer la porte ouverte des curés pédophiles. Il attribue la peur du milieu hospitalier d'Almodovar à ses amis atteints du sida (!)

A côté de cette détestation, on trouvera un dithyrambe ahurissant pour Colline Serreau. Moullet perçoit chez elle des thèmes modernes et actuels, des influences de Dennis Hopper, Kitano, King Hu, du Douanier Rousseau, Magritte, Godard et Lang.. "Serreau est devenue notre Dovjenko, notre Sjöström" … Moullet met vraiment les moyens pour nous faire rire.

Jean-Luc Lacuve le 26/05/2009

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Piges choisies

Format : 12.2 x 19 cm, 384 pages
Editions Capricci
Avril 2009
20 €
Luc Moullet