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Out 1 de Jacques Rivette

 

Editeur : Carlotta-Films. Le 18 Novembre 2015. Coffret combo 6 Blu-ray et 7 DVD : OUT 1 dans ses deux versions. Durée totale des Épisodes (Noli me tangere) : 12h55. Durée du Film (Spectre) : 4h15. 80,26 €.

Suppléments :

Paris, avril 1970. Deux troupes de théâtre d’avant-garde répètent chacune une pièce d’Eschyle. Un jeune sourd-muet fait la manche dans les cafés en jouant de l’harmonica. Il reçoit des messages anonymes le mettant sur la piste d’un mystérieux groupe de conspirateurs. Une jeune femme séduit des hommes pour leur soutirer de l’argent. Alors que la mystérieuse conspiration se dessine, des liens se tissent entre les différents protagonistes...

Film en huit épisodes dont la durée totale est de 12h55 (90' + 110' + 108' + 106' + 89' +101' + 98' +73'), soit un tout petit peu moins que les treize heures qui donneraient la solution de l'histoire des Treize. Le scénario s'inspire en effet de L'histoire des Treize de Balzac avec l'idée d'un complot vague et menaçant et treize conspirateurs qui règnent sur Paris. Le film est bien davantage hanté par la recherche obstinée et douloureuse d'une joie possible à trouver quand la promesse de révolution s'est éteinte. Le théâtre ou plutôt les exercices de théâtre dans des troupes où les acteurs entretiennent des relations à géométrie variable est l'épine dorsale de cette recherche.

Les mystères de Paris : "Out 1" de Jacques Rivette revisité réalisé par Robert Fischer et Wilfried Reichart (2015 – Couleurs – 105 mn).

Quarante-cinq ans après le tournage d’Out 1, les réalisateurs Robert Fischer et Wilfried Reichart sont revenus sur les principaux lieux de tournage et ont interviewé des membres de l’équipe. Les Mystères de Paris propose des entretiens nouveaux avec les acteurs Bulle Ogier, Michael Lonsdale et Hermine Karagheuz, le chef-opérateur Pierre-William Glenn, l’assistant-réalisateur Jean-François Stévenin et le producteur Stéphane Tchalgadjieff.

Les entretiens d’époque, réalisés par Wilfried Reichart en 1972 et surtout en 1990 par Karlheinz Oplustil, au moment du rachat des droits par Stéphane Tchalgadjieffe et de la diffusion de la version longue à la télévision allemande, permettent de retracer la génèse, les centres d'intérêts et la réception du film tels que les acteurs Jacques Doniol-Valcroze et Michel Delahaye et, surtout, Jacques Rivette les ont ressentis.

Pour Rivette tel qu'il l'exprime en 1990, le film est un jeu entre vérité et mensonge entre les êtres humains mais incarné; ce ne sont pas de purs esprits mais des gens qui travaillent. Le travail de l'écrivain ou du musicien est difficile à représenter. Ce sont donc des rapports entre des metteurs en scène et des acteurs dont on montre le travail.

Il a repéré Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon dans la troupe de Marc'O, deux ans avant L'amour fou. Envie d'aller beaucoup plus loin dans un travail d'improvisation avec les comédiens pour un film qui pourrait durer 6 heures, 12 ou 24 heures.

Lili et sa troupe répètent au Théâtre ouvert, derrière Le Moulin rouge avec une coupole pour courir autour. Les deux groupes sont sortis des espaces traditionnels du théâtre classique. Les acteurs essaient de travailler égoïstement, pour eux; quitte à réinvestir plus tard dans un espace qui serait fait pour les spectateurs mais pas du tout au moment où ils sont filmés; ils font purement un travail en dehors (rire).. On peut y voir une justification du titre mais elle n'était pas prévue au départ.

Le film est tourné en avril et mai 70, deux années après les événements. Crise générale à tous les niveaux au théâtre, attendre une époque où l'action serait de nouveau possible. En attendant avoir des projets utopiques avec des aboutissements incertains. Entretenir une énergie et un enthousiasme qui s'use. Et le film décrit cette usure dans l'attente, sans issue prévisible.

Rivette est inspiré par le bout-à-bout de Petit à petit de Jean Rouch qui sera ridiculement réduit dans la version cinéma ou même dans la version télévision de quatre ou cinq heures. Il s'agissait là d'un gigantesque bout-à-bout de onze heures avec des plans manquants ou se répétant de 13 heures à minuit dans une petite salle des Champs-Élysées. Quand Out 1 se met en œuvre, Rivette se rappelle de ce Petit à petit plus que long. C'est en pensant à Rouch que l'on est parti dans cette aventure. On a imité Rouch. On a fait autre chose mais Cocteau le disait ; il faut imiter. A l'époque classique, ils prenaient tous les mêmes sujets et faisaient des choses différents. Maintenant que l'on cherche à faire des choses originales, tout se ressemble.

Pour Stéphane Tchalgadjieff, à l'époque tout le monde voulait être in, c'était très à la mode d'être in et Rivette disait "moi je suis out". Ce projet là c'est vraiment out.

"C'était un titre auquel j'avais pensé pour un autre projet que j'avais laissé tombé entre temps. C'était justifié plus ou moins pour l'autre projet  mais c'était totalement aberrant pour celui-là mais enfin en même  temps il pouvait servir à tout. C'était vraiment une étiquette et, comme c'était un paquet un peu bizarre, c'était mettre  une étiquette dessus, en plus avec le chiffre. Le chiffre c'était au cas où on aurait eu beaucoup de succès  : on aurait pu éventuellement faire la suite l'année suivante. Bon mais c'est  vraiment  un titre étiquette, tous les titres sont des étiquettes mais celui là encore plus, la première étiquette qui est venue ; pof on lui a collé dessus  et elle est restée.

Trois semaines avant de tourner, alors que les quatre, cinq personnages ont leur biographie, Rivette pense qu'il manque un élément moteur pour que Juliette rencontre Jean-Pierre et il pense brusquement à l'histoire des Treize. C'est comme l'organisation dans Paris nous appartient qui fournit surtout un sujet de conversation. Pareil dans Out, ils ont un sujet de conversation, c'est les Treize. Rivette a lu juste les quatre pages d'introduction de l'histoire des Treize.

Le film se fait à partir d'une liste de personnages et de scènes à tourner. Rivette ne sait pas écrire un scénario tel que le demande l'avance sur recette. Il propose un diagramme et l'obtient mais pas l'aide de l'ORTF. Untel rencontre untel, il fallait tout inventer. Aucune indication de jeu juste là où on en est sur le diagramme. C'est une épreuve pour Bulle Ogier ce dont avait conscience Rivette : un acteur doit être paniqué et rassuré.

Deux recherches que font chacune de leur côté, celle de Colin et celle de Frédérique. Rivette ne veut pas que le spectateur soit tranquillement assis dans son fauteuil avec une histoire qui le prend depuis le début de façon traditionnelle qui le prend dans des rails ; pas bien assis dans un fauteuil mais assis en haut d'une pile de chaises en équilibre instable.

Pierre-William Glenn utilise une Caméra Coutant 16 mm avec  un zoom 12-120 et des focales fixes 12, 16, 25, et 35. Le cinéma c'est magique et si vous aimez ça, vous restez dedans 5 heures, 8 heures. Transformer les  lieux banals pour un rituel magique tels le Café national à Bastille, Le Deauville sur Les Champs-Élysées. Les clients improvisent avec très peu de regard caméra. Paris et son double, c'est uen référence à Artaud, le théâtre et son double.

Le salon des  treize, l'angle du hasard, est composé d'amis de Bulle Ogier, inspirée par Berkeley à San Francisco lieu de discussion alternatif avec  vente de livres et d'habits. L'ile au cygne, allée des cygnes 15e. Les Sept contre Thèbes inspirent les sept portes de Paris; pour Marie, la Porte dorée. La villa Obade à droite de Deauville en allant vers Villers-sur-mer (Blonville-sur-mer). La fin est inspirée par les larmes d'Anthony Quinn dans La Strada. Colin et Frédérique sont deux innocents, deux enfants qui croient que les grandes personnes font des choses très importantes.

Huit épisodes destinés aux télévisions; huit épisodes d'un feuilleton où certes il se passe moins de choses que dans un policier moins d'amour que dans les grandes sagas feuilletonesques américaines, mais des aventures qui se passent dans la tête des gens, des rebondissements arbitraires comme il y en a chez Feuillade ou dans le Judex de Franju.

Très peu de rushes pas utilisés. Rivette le dit : treize heures c'est normal, c'est l'histoire des Treize donc c'est treize heures. Il y a quand même une grande logique, une garde rigueur dans notre travail. Faut pas croire que c'est fait n'importe comment, c'est aussi précis qu'Eisenstein; Ca n'a jamais été fait pour être vu globalement à la suite même si personnellement c'est de ça dont j'étais parti, pensant à cette projection de Petit à Petit.

Out 1 bénéficie d'une seule projection à la maison de la culture du Havre. Les trois chaines de l'ORTF trouvaient ça tellement beau qu'elles ne pouvaient pas le passer, dans une copie de travail encore plus ou moins projetable, ça a cassé plusieurs fois. Pas à Paris mais au Havre pour être disponible pendant deux jours. Les gens devaient prendre le train et payer l'hôtel. Salle pleine avec échanges durant les changements de bobine quatre séances après-midi et soir du samedi et même chose le dimanche. Certains n'étaient venus que le dimanche et avaient trouvé cela très bien ; c'est une histoire qui n'a pas de début ni de fin ou avec beaucoup de points de suspension de chaque côté.

Une autre version plus brève destinée au cinéma qui condense les événements pas toujours dans le même ordre mais avec la même intrigue. Beaucoup plus longtemps à faire Spectre que la version longue. Inspiré par La vie conjugale de Cayatte, un film double avec le point de vue de monsieur dans le premier film et celui de la dame dans l'autre, mais trop enchevêtré. Un seul personnage fil conducteur  Leaud-Colin mais il croise tous les autres donc version courte de quand même 4h20... avec un entracte. Le producteur trouve l'argent pour sauver la version longue. Le rôle de Lonsdale est beaucoup raccourci. Beaucoup de mises en parallèle des personnages, plus les photos qui viennent comme des ponctuations comme rappels de choses qu'on a  vues, amorce de ce qu'on verra plus tard et parfois comme signes de scènes qui ont disparus évoquées par trois photos. Le centre c'est quand Frédérique va dans la boutique de Bulle.

Le film est une croix en X, deux recherches qui se croisent à un seul moment sans se connaitre et sans se rencontrer mais ils se croisent dans un même lieu géographique. A partir de là on a été obligé de mettre tous les fils qui se tenaient. Scène du milieu des deux versions et juste avant l'entracte. Après l'entracte Frédérique dans l'appartement de Bulle. Ainsi  Frédérique et Pauline (vie publique) puis Frédérique et Émilie (vie privée). Pauline et Émilie c'est deux prénoms que j'aime deux héroïnes de Corneille, Pauline dans Polyeucte et Émilie dans Cinna, clin d'œil du côté de Corneille. Garder des choses plus monumentales de l'image.

Le producteur, Stéphane Tchalgadjieff, fait faillite et perd les droits. Ce sont alors 10 ans terribles où les films passent entre les mains de gens pas bien. En 89-90 un banquier spécialisé dans le cinéma Calderon, lui offre de l'argent sans exiger de garantie; Il acquiert de nouveau les droits des deux versions de Out 1 et Duelle et Merry go round. "Noli me tangere" pourrait être une plaisanterie de mauvais goût déclare Rivette en 90. Il n'a pas revu le film depuis 19 ans, perte de 45 minutes de son. Pas de générique ni de carton de fin. "Ne me touche pas", paroles prononcées par le Christ après la résurrection et  s'en va ; en rapport avec les mouvements d'approche et  de distance envers la femme qui va vers lui, les personnages s'approchent les uns des autres mais ne se touchent pas vraiment et divergent aussitôt, des mouvements vers l'autre toujours interrompus.

Spectre radiographie de la version longue. Producteur avait gardé les rushes images et son. Wilfried Reichart acheteur d'une des plus grosses chaines allemandes qui le  passe le 3 avril 1991. Les résumés sont faits à partir des photographies de plateau de Pierre Zucca. Plus le film avance, plus les questions perdent leur sens ; c'est un peu comme le monde ou la science qui posent des questions successives.