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I am not Madame Bovary de Feng Xiaogang

 

Editeur : Blaq out. Novembre 2017. Durée du film : 2h14. Prix de vente public conseillé : 18.90 €.

Supplément : Entretien avec le réalisateur et Fan Bingbing au Festival de San Sebastian.

Li Xuelian et son mari Qin Yuhe simulent un divorce pour obtenir un second appartement. Six mois plus tard, Qin se marie à une autre femme. Abandonnée et bafouée, Li se lance dans une quête de justice qui va durer des années. Un portrait satirique de la Chine à travers le combat d’une femme déterminée à faire valoir ses droits.

Après Back to 1942 (2012), film rendant compte de la Chine pendant la guerre et Tremblement de terre à Tangshan (2010), retraçant l'histoire d'une famille subissant les tremblements de terre de Tangshan, Feng Xiaogang traite une une nouvelle fois l'histoire de son pays. Il le fait à travers une figure fictive et symbolique, Pan Jinlian (remplacé dans les pays occidentaux par Madame Bovary dans une tentative d'équivalence quelque peu schématique) dont Li est l'équivalent moderne. Le réalisateur trace ainsi un récit circulaire qui trouve un équivalent surprenant dans un cadre resseré dans un cercle. Il témoigne ainsi d'une suite ou plutôt d'une continuité entre la structure narrative du conte de Pan Jinlian et celle de Lin tout en interrogeant une sortie possible de cet enfermement dans la Chine d'aujourd'hui.

Un cercle diabolique

Ce rapprochement entre les deux femmes est exprimé par Qin, lors d'une confrontation durant laquelle, il lui attribut ce surnom. Alors qu'aujourd'hui, le nom de Pan Jinlian se voit associer à la lutte, à la révolte des opprimés, Li n'entend qu'une chose, l'insulte qui lui est adressée, elle refuse catégoriquement ce nom. « I'm not Pan Jinlian ».

Pourtant, ce sera l'élément déclencheur d'une successions d'actions vengeresses qui la rapprocheront inexorablement de cette figure contre laquelle elle livre bataille. Après sa confrontation avec Qin, Lin retrouve ses anciens amants et leur demande de l'assassiner. Ainsi, c'est dans le refus et la dénégation que le mythe prend forme et s'incarne dans le personnage de Li. Conjointement à ce modèle « diabolique », la jeune femme construit dans un mouvement qui la dépasse, son propre mythe, circulaire et latent. Elle semble ériger un espace dans lequel les événements se fixent. Pendant une décénie, elle impose un ordre, une plainte qui menace les dirigeants du district de Guangming. Elle est décrite comme une figure monstrueuse et dévastatrice pour ces détracteurs  : « (…) Elle est triple maintenant. Pour nous c'est une peste obstinée, pour son mari c'est une Pan Jinlian, pour elle, elle est victime d'injustice. Trois femmes. Les trois sont ingérables. »

Sortir de ce cercle dans la Chine contemporaine

L'aspect éminemment fictionnel du récit (la voix off présente qui rappelle le conte) permet à Feng Xiogang d'utiliser des personnages stéréotypés et caricaturaux afin de dresser une critique de la Chine moderne statique et rigide. Chaque personnage incarne un élément du système politique et malgré les différences hiérarchiques, chacun semble animé par un désir commun individualiste, celui de garder son travail. Le président de la cour, le chef de district, le chef de la police, le préfet des postes qui voient leurs représentants se succéder dans un perpétuel retour au même, une boucle qui tend à répéter des dessins homologues. Il s'en suit une certaine fatigue, un épuisement qui émane à mesure que les plaintes et les refus se succèdent. Tout, dans le district de Guangming semble figé.

Le voyage à Pékin bouleverse le cadre qui, de la forme circulaire passe au format 4:3. La composition des plans change, s'adapte à cette forme nouvelle. La ville de Pékin renvoie à la fois à la modernité de la société urbaine et à l'ordre imposé par le pouvoir central. Le changement de format témoigne d'une volonté d'émancipation... Est-ce illusoire ?

Caroline Adam, le 18 novembre 2017.