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Coffret Satyajit Ray en 6 films

Editeur : Carlotta Films, mars 2022. Les six films : BLU-RAY 1: La grande ville (1963, 2h16) ;BLU-RAY 2 : Charulata (1964, 1h59) ; BLU-RAY 3 : Le lâche (1965, 1h09) et Le saint (1965, 1h06) ; BLU-RAY 4 : Le héros (1966, 1h57) ; BLU-RAY 5 : Le dieu éléphant (1979, 2h01). Version originale sous-titrée français Édition Blu-ray ou DVD. 50€

Suppléments :

Mondialement reconnu comme l’un des maîtres du cinéma moderne, le réalisateur bengali Satyajit Ray a exploré la culture de son pays et ses mutations à travers une œuvre nourrie par la littérature et la musique.

Ce cinéaste touche-à-tout, lauréat d’un Oscar® pour l’ensemble de sa carrière, n’aura cessé d’expérimenter de nouveaux genres tout en restant fidèle à son univers réaliste et intimiste.

La grande ville (1963, 2h16)
Charulata (1964, 1h59)

Produits par R.D. Bansal, les six films qui composent ce coffret témoignent de cette incroyable diversité et déclinent les trois sources d'inspiration de Satyajit Ray, celle qui relève de la renaissance bengalie, inspirée de Rabindranath Tagore : Charulata (1964); celle d'émancipation sociale, pour les enfants et les femmes notamment : La grande ville (1963), Le lâche (1965) et Le héros et celle faisant l'éloge de la culture populaire : Le Saint  (1965) et Le Dieu éléphant (1979). Les films proposés par Carlotta-Films sont disponibles pour la première fois en Blu-ray™ et DVD dans leur restauration 2K.

À PROPOS DE… : 6 ENTRETIENS AVEC CHARLES TESSON Décryptage et contextualisation des 6 films, du style et de l’œuvre de Satyajit Ray par Charles Tesson, critique, historien du cinéma et auteur du livre Satyajit Ray (1992).

Charles Tesson analyse La grande ville (1964)

Satyajit Ray filme sa ville Calcutta. Le film est adapté de l'écrivain Bengali Narendranath Mitra, né à l’Est du Bangladesh actuel et venu comme réfugié à Calcutta en 1947 avec la nécessité pour les femmes de travailler. Il écrit Introduction en 1949. Le grand-père qui mendie plutôt que d’accepter l’argent de sa belle-fille  est tiré d’une autre nouvelle. La trame est ainsi due à l'écrivain mais les dialogues sont de Ray ainsi que l'adaptation à la situation contemporaine dans un milieu social conservateur où le travail des femmes est tabou.

Madhabi Mukherjee jouera aussi dans Charulata (1964) et Le lâche (1965). Personnage féminin impulsive et déterminée, moteur de l'émancipation de la femme qui aime son travail . Thématique souvent reprise chez Ray d'une femme associée à la maison qui découvre le monde, le monde du travail et la solidarité féminine. Séquence importante de la sortie de la maison avec un fil à linge tendu comme une barrière et une sorte de labyrinthe avant d'atteindre la porte qui montre que cela ne sera pas facile pour elle.

La complainte du sentier avait été présenté à Cannes en 1955 et L'invaincu sera présenté à Venise en 1956 où il obtient le Lion d'or. Ensuite Le salon de musique sera présenté à Moscou (1958) mais ensuite tous les films de ray seront montrés à Berlin, La grande ville obtient l'ours d'argent de la meilleure réalisation.

 

Charles Tesson analyse Charulata (1964)

Satyajit Ray adapte un roman de Rabindranath Tagore, "Nastaneer" (Le nid brisé), écrit en 1901. Les grands-parents de Ray étaient proches de l'écrivain et il se sent l'héritier de ce mouvement de la renaissance bengalie (libérale, progressistes). Bhupati écrit dans un journal en faveur des libéraux anglais. Il demande à son cousin d'extérioriser le désir de littérature de sa femme, de lui donner une forme concrète. Comme dans La grande ville, il s'agit d'extérioriser le désir de sortir de la maison mais non plus cette fois pour travailler en ramenant un salaire. Ce mouvement de l'intérieur vers l’extérieur, est le sujet principal de la longue scène initiale de 10 minutes sans dialogues, magnifiquement mobile et chorégraphiée au son d'une musique mêlant. violon flute et cithare. Symbole de cette intelligentsia entre deux mondes la demeure victorienne avec sa cage à oiseau, elle, symbole de Charulata, femme mariée dans une cage dorée qui renvoie aussi au titre du roman, Le nid brisé.

Ray occupe tous les postes : écriture, montage, musique, cadrage. Il bénéficie de la rencontre de deux grands acteurs, Madhabi Mukherjee (Charulata) et Soumitra Chatterjee (Amal). Le film remporte de nouveau l'ours d'argent à Berlin.

 

Charles Tesson analyse Le Lâche (1965) et Le saint (1965)

Au Bengale, les deux moyens-métrages, Le lâche (1h14) et Le saint (1h05) étaient montrés dans un même programme avec un entracte. Les programmateurs préférant Le lâche l'ont montré seul au festival de Venise puis de Londres. Destiné plus spécifiquement au public bengali, Le saint est film satirique qui dénonce le pouvoir de la religion sur un mode moins dramatique que La déesse (1960) et, plus tard Un ennemi du peuple (1989) d'après Ibsen. Il marque la distance de Ray avec la religion comme facteur d'identité nationale opposant hindous et musulmans. Dans La déesse, le mari est dépossédé de sa femme parce que son père a en rêve une révélation comme quoi elle est une réincarnation de la déesse Durka. Ici, on perçoit vite un charlatan dans le "sâdhu" qui aurait connu Jésus, Platon...

Ray vit de son métier d’illustrateur durant le tournage de La complainte du sentier (1955). C’est  alors un cinéaste du dimanche :  il tourne les week-ends. C'est avec le lion d'or d’Invaincu (1956) qu'il abandonne son précédent métier pour devenir cinéaste. Ici, il  veut faire un film populaire, comme Le dieu éléphant; il écrit des récits pour une revue et les adapte parfois au cinéma . Auteur subtil et complexe mais qui aime aussi le jeu, le polar et les détectives. Les hindi lui reprochent de n'être connu qu'a l'étranger mais il est très populaire au Bengale. Ray n’apprécie pas que Le lâche et Le saint soient doublés en hindi par le producteur.

 

Charles Tesson analyse Le héros (1966)

Deuxième film à être un scenario original et le seul à être explicitement sur le cinéma. Dans Le lâche (1965) le héros est scénariste mais le film ne parle pas beaucoup de son métier. Tout le film se passe à l'intérieur d’un train, qui va de Calcutta à Delhi, entre deux très grands acteurs très populaires du cinéma bengali. Mais c'est aussi un film chorale avec beaucoup de personnages.

Structure en flashes-back, rêves, cauchemars et souvenirs conscients. Sorte de Huit et demi où un acteur doute sur sa carrière, son dernier film n'ayant pas été un succès.

Le film, d'après Ray, montre l'instrumentalisation et l'exploitation de la société capitaliste. C'est le cas avec l'intrigue secondaire, où le un publicitaire qui veut décrocher un contrat auprès d'un industriel est prêt pour cela à offrir sa femme. Mais c'est aussi une défense du cinéma d'auteur dans un Bengale de grande culture où il est encore méprisé face aux écrivains, musiciens et artistes de théâtre. L'IPTA (Association Indienne pour un Théâtre Populaire) où Ritwik Ghatak a montré des pièces de Brecht et Ibsen. Ray se distingue ainsi du personnage du vieux journaliste indien conservateur qui déteste le cinéma indien.

 

Charles Tesson analyse Le dieu Eléphant (1979)

Le film appartient à la troisième source d'inspiration de Satyajit Ray, après les films relevant de la renaissance Bengalie inspirée de Rabindranath Tagore, les films d'émancipation sociale, pour les enfants et les femmes notamment, ceux faisant l'éloge de la culture populaire. Il adapte en effet ici pour la deuxième fois en effet ici, après La forteresse d'or (1974), l'un de ses propres romans de détectives.

En 1961, Satyajit Ray, artiste complet, musicien, écrivain, dessinateur, a en effet relancé Sandesh, la revue crée par son grand-père, ami de Rabindranath Tagore mais aussi féru de culture occidentale populaire car traducteur de Conan Doyle, Edgar Poe et Jules Verne, HG Welles. Sandesh avait été reprise par le père de Satyajit Ray qui décède très tôt, en 1927, entrainant la fin de la revue. Ainsi en 1961, pour alimenter sa revue, Ray écrit-il une multitude d'histoires populaires dont un scénario très proche de ce que deviendra E.T. (Steven Spielberg, 1982) qu'il propose sans succès aux studios américains. Il écrit aussi 15 romans avec le détective Feluda, toujours accompagné de son assistant, Tapesh, son jeune cousin et de son ami, le détective écrivain, Ganguly.

Avec ce film, Satyajit Ray rend hommage à son grand-père, proche de Rabindranath Tagore et de sa renaissance Bengalie, pour l'indépendance mais contre le rejet des valeurs occidentales. C’est notamment le cas avec la scène initiale du grand-père enseignant la double culture, savante et populaire, à son petit-fils où Ray retrouve l'enfant qu'il a été vis-à-vis de son grand-père.