Histoires du cinéma
Interstellar (Christopher Nolan, 2014)
La mule (Clint Eastwood, 2018)

Crise du Covid, grève des scénariste, montée de l'IA, feuxsur Los Angeles

Hollywood est en crise. Les incendies qui ont ravagé plusieurs quartiers de Los Angeles sont venus s’ajouter à une déprime qui couve depuis la fin de la grève de 2023. Après un arrêt de travail historique – certains ont dit « suicidaire » – de cent cinquante-neuf jours pour les scénaristes et de cent dix-huit jours pour les acteurs, les syndicats s’étaient félicités d’avoir obtenu une augmentation des« résiduels », les royalties que rechignent à verser les plateformes pour les rediffusions. Et ils avaient réussi à limiter l’utilisation de l’intelligence artificielle sur les tournages.

La satisfaction n’a pas duré. du syndicat des professionnels du divertissement, l’IATSE, à Burbank, au nord de Los Angeles. L’IATSE représente 177 000 employés dans treize des métiers du cinéma : scénographes, électriciens, machinistes, costumiers, maquilleurs, monteurs… La crise est devenue structurelle. « Seulement la moitié de nos membres sont employés en permanence », indique Corey Moore. En 2024, ceux-ci ont totalisé 80 millions d’heures de travail, contre 120 millions en 2021, l’année record, quand les studios lançaient des productions tous azimuts pour répondre à la demande des consommateurs confinés chez eux pour cause de Covid-19. « Une contraction de plus de 30 % de toute l’industrie en trois ans », résume le syndicaliste, membre de l’équipe de négociation des contrats de travail.

Les chiffres de l’organisme FilmLA, qui distribue les autorisations de tournage à Los Angeles, montrent un ralentissement record en 2024. Jamais en trente ans le nombre de jours de tournage – 23 480 – n’avait été si bas, à l’exception de 2020, quand la pandémie avait arrêté toute activité. Dans son rapport annuel, diffusé le 15 janvier, FilmLA note que les shows de télé-réalité sont les plus affectés, avec une baisse de près de 46 % des productions à Los Angeles en un an. « Après la pandémie, il y a eu une explosion de fabrication de contenus », explique Corey Moore, suivie d’une « guerre du streaming » entre les plateformes. « L’industrie est encore à la recherche d’un modèle de rentabilité », affirme-t-il.

Les studios produisent moins et délocalisent de plus en plus. Début 2023, quelque 35 % des emplois dans la production de films et de séries se trouvaient à Los Angeles, selon le rapport annuel sur l’économie de la création établi par l’Otis College of Art and Design de Los Angeles. La proportion est tombée à 27 % un an plus tard. En 2024, seuls deux des 12 shows diffusés en prime time récompensés aux Emmy Awards, l’équivalent des Oscars pour la télévision, avaient été filmés dans le grand L.A.


Traditionnellement, la concurrence venait plutôt du Nouveau-Mexique, où Netflix a construit quatre nouveaux plateaux de tournage, ou de la Géorgie, qui a dépensé plus de 5 milliards de dollars (4,8 milliards d’euros) depuis 2015, pour attirer les blockbusters, notamment ceux de l’univers Marvel. Elle est maintenant planétaire. L’Irlande, la Hongrie, l’Australie offrent des avantages fiscaux supérieurs à ceux consentis par Los Angeles. Une aubaine pour les sociétés de production américaines, qui ne sont pas tenues de payer l’assurance-santé du personnel. les conditions nécessaires (avoir travaillé 400 heures sur six mois). L’assurance privée à laquelle il a dû souscrire coûte 1 500 dollars par mois pour la famille; Lui qui couvrait toute sa famille pour 3 000 dollars par an a reçu de sa nouvelle assurance une facture de 20 000 dollars qui l’a laissé abasourdi.

En octobre 2024, Gavin Newsom, le gouverneur de Californie, a contre-attaqué en annonçant le doublement du montant des crédits d’impôt pour le cinéma et la production audiovisuelle. Celui-ci doit être porté à 750 millions de dollars en 2025, mais nul ne croit que ce geste suffira à enrayer le déclin. Plus de cent ans après le premier film tourné à Los Angeles, Hollywood comprend que son hégémonie est en péril.

Tim Wilsbach incrimine l’époque, qui veut que, dans la grande compétition pour l’attention, la production d’images par des particuliers rivés à leurs réseaux sociaux prenne désormais le pas sur la création par des professionnels du storytelling. « Vous pouvez facilement passer quarante-cinq minutes à dérouler des vidéos sur TikTok, alors qu’avant vous auriez regardé une série sur Hulu ou sur Netflix », Aujourd’hui, les acteurs ne se déplacent plus ; ils expédient des self tapes (vidéos) dans une stratosphère numérique où le contact humain s’est perdu. « Il pourrait y avoir un peu plus de respect pour l’humanité, se désole-t-il. C’est cela que cette industrie représentait. »

Un cinéma idépendant dispersé

Il n'existe plus de consensus sur ce qu’est exactement le cinéma indépendant en Amérique. Les «Independent Spirit Awards», par exemple, ne sont guère indépendants dans leur esprit. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de la façon dont le terme a perdu de son sens en étant accolé à des grands groupes. Pourtant il existe encore de véritables indépendants, dans la mesure où ils ont développé leur propre langage et leurs propres méthodes et calendriers de production de façon généralement peu orthodoxes : Kevin Jerome Everson, Deborah Stratman, RaMell Ross, James N. Keinetz Wilkins, Jodie Mack et Roberto Minervini. Ces cinéastes sont tous différents à bien des égards, mais l’une des qualités qui les unit est leur persévérance et leur engagement. Souvent, ce type de démarche n’est pas compatible avec le mode de fonctionnement des studios. Cela ne marche que lorsque l’on travaille dans un environnement familier et avec des budgets modestes.

Omnes Films a plus de dix ans et s’est beaucoup développé depuis sa création. Fin 2024 la structure a réalisé cinq longs métrages, et d’autres sont en cours de production. Au cours de cette période, nous avons dû réfléchir à la façon de définir ce qui n’est finalement qu’un collectif peu structuré d’amis proches de l’université (et de quelques amis de longue date) qui réalisent ensemble des projets passionnés. Les quatre membres de base de l’équipe – Carson Lund, Tyler Taormina, Jonathan Davies et Michael Basta – ont tous des aspirations de réalisation, mais pas seulement. Leurs diverses expériences cinématographiques permettent d’apporter des compétences techniques aux visions de chacun. Ils sont également tous intimement impliqués dans chaque projet depuis la base, de sorte que chaque film est marqué par ces multiples interventions d’une façon difficilement identifiable. 

Un autre atout unique d’Omnes Films est le vaste réseau d’amis qui constituent les équipes. Que ce soit des gens comme Erik Lund (concepteur de production, directeur artistique, designer), Joseph Fiorillo (preneur de son et mixeur, producteur), Kevin Anton (monteur, homme à tout faire des VFX), Eric Berger (scénariste) et David Entin (producteur et cerveau comptable). Tous aident à garantir que les projets soient viables tant sur le plan créatif que logistique. Enfin, dans l’esprit d’un collectif qui ne s’est jamais fixé de limites rigides, la production c'est élargi aux films d'amies telles Lorena Alvarado (Los Capitulos Perdidos, présenté au FID Marseille et à Locarno) et Alexandra Simpson (No Sleep Till, présenté aux Journées des auteurs à Venise).

(Entretien réalisé par Patrice Carré pour Le Film Français à Cannes, mai 2024)

Filmographie :

Shutter island Martin Scorsese U.S.A. 2010
Bellflower Evan Glodell U.S.A. 2011
Les bêtes du sud sauvage Benh Zeitlin U.S.A. 2012
Django unchained Quentin Tarantino U.S.A. 2012
Le loup de Wall Street Martin Scorsese U.S.A. 2013
Interstellar Christopher Nolan U.S.A. 2014
Boyhood Richard Linklater U.S.A. 2014
The smell of us Larry Clark U.S.A. 2014
Knight of cups Terence Malick U.S.A. 2015
Paterson Jim Jarmusch U.S.A. 2016
Dunkerque Christopher Nolan U.S.A. 2017
Phantom thread Paul Thomas Anderson U.S.A. 2017
Roma Alfonso Cuaron U.S.A. 2018
La mule Clint Eastwood U. S. A. 2018
Joker Todd Phillips U. S. A. 2019
Kajillionaire Miranda July U. S. A. 2020
Nope Jordan Peele U.S.A. 2022
May December Tod Haynes U.S.A. 2024

 

vers le cinéma américain des années 2000
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