Le règne animal

2023

Ecouter : Elle est d'ailleurs de Piere Bachelet
Genre : Fantastique
Thème : Père et fils

Festival de Cannes 2023 Avec : Romain Duris (François Marindaze), Paul Kircher (Émile Marindaze), Adèle Exarchopoulos (Julia Izquierdo), Tom Mercier (Fix), Billie Blain (Nina), Xavier Aubert (Jacques), Saadia Bentaïeb (Naïma), Gabriel Caballero (Victor), Nathalie Richard (Valérie Beaudoin). 2h08.

Dans un embouteillage, François reproche à son fils, Émile, 16 ans, de se comporter en adolescent typique, trop mou et trop docile. Du coup, celui-ci sort de la voiture et François court le rattraper. C'est alors que des coups sourds se font entendre d'une ambulance immobilisée non loin. Bientôt une créature ailée mi-homme mi-animal en sort. Dotée d'une force extraordinaire, elle est néanmoins maîtrisée par les infirmiers. François et Emile, sont effrayés mais pas surpris : depuis quelque temps, un étrange virus transforme progressivement les hommes en animaux. C'est ce qui est arrivé à Lana, la femme de François, la mère d'Emile qu'ils vont voir à l'hôpital. Celle-ci se transforme en ourse et est traitée à coup de médicaments par la professeure Valérie Beaudoin qui espère ralentir la mutation sans croire qu'elle soit réversible.

François, prêt à tout faire pour sauver sa femme, accepte qu'elle soit transfèrée dans le sud-ouest dans un hôpital dédié à ce que tous appellent "créatures" ou "bestioles". Il est prêt à changer de travail et à déménager, ce qui ne réjouit pas Emile. Ils arrivent dans un camping où François aide le restaurateur, Jacques, et sa femme, Naïma. François est bientôt alerté que le camion qui transportait les créatures a été victime d'un accident de la route à la suite de la chute d'un arbre lors de la tempête. Lana fait partie des disparus qui sont partis chercher refuge dans les bois.

François reçoit le soutien compréhensif de Julia Izquierdo, adjudante de gendarmerie, dans sa recherche de sa femme alors que la garnison applique les ordres d’interdiction d'entrer dans la forêt sans état d'âme. Emile a attiré l'attention de Nina, lycéenne hyperactive souffrant de trouble de l'attention. Emile a à peine le temps de s'en réjouir : il constate les premiers effets du virus entraînant une mutation animale en lui : il lui pousse des griffes et des poils, l’échine de son dos se fait plus dure, des crocs remplacent ses dents ; il tend à devenir un loup. Il tente néanmoins de cacher sa mutation.

François convainc Emile de rechercher Lena dans les bois, en vain. Emile rencontre néanmoins Fix, l'homme-oiseau, qu'il aide dans ses tentatives de s'envoler. Lors d'une fugue dans la forêt, il rencontre sa mère, ourse adulte, qui lui fait comprendre qu'ils n'ont plus à se revoir.

Lors de la fête de la saint Jean, Émile a de plus en plus de mal à cacher sa mutation mais celle-ci plaît à Nina qui la pressentait déjà. Ils font l'amour à l'écart de la fête. Mais Victor, le camarade de classe, en est jaloux et lui inflige des ultras-sons insupportables. Emile, acculé, le griffe sauvagement et s’enfuit. L’alerte est donnée et Emile est pris en chasse par des Gascons sur des échasses armés de fusils. Alors qu'il est sur le point d'être abattu, Fix arrive par les airs. Il le sauve en tuant l'un des Gascons. Mais c'est un autre qui l'abat en plein vol.

Pris en chasse par la police, François laisse Emile s'en aller dans la forêt.

Le règne animal est un film spéciste, appelant à la transformation d'une humanité médiocre ou velléitaire en quelque chose d'autre qui serait plus forte, sublime peut-être, solitaire sûrement.

A la recherche du sublime

La relation père-fils qui charpente le film donne l'occasion au père de comprendre qu'il doit cesser de ramener son fils dans le giron protecteur de la famille pour le laisser libre de son avenir. Cet avenir, il est loisible de l'étendre à l'espèce humaine qui aurait tout à gagner en se fondant avec la nature pour devenir animale. Dans les deux cas, la transformation est difficile mais c'est probablement ce qui en fait la beauté. Le devenir animal d'Emile va de paire avec les pulsions de l'adolescence et ses transformations parfois gênantes : l’apparition de touffes de poils, la modification du goût, le sang contre les chips, le déséquilibre sur deux pieds rendant impossible de pédaler à vélo. Les bestioles, quand elles ont encore un peu d'humain, visent au sublime. Leur douloureuse mutation ne leur laisse pas le choix ; c'est l'anéantissement ou la pleine transformation. Ainsi des efforts répétés d'Emile pour aider Fix à voler dans une mare devenue féérique.

Rien n'est facile pour les bestioles en quête d’identité dans la forêt où elles semblent errer en solitaires. C'est l'objet de la belle séquence de la mère transformée en ourse qui refuse de renouer avec son fils. Elle refuse l’affection, ou du moins les effusions, qui lient un enfant à sa mère et le repousse gentiment. Dans la forêt, chacun des animaux est seul ; face au conformisme des humains, c'est peut-être ce qui fait leur grandeur.

Une humanité médiocre

François est un poète insoumis, peu attaché à un travail fixe, se référant sans cesse à René Char : "Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience". Il est un bel exemple d'humanité avec sa passion pour sa femme, incarnée par la belle séquence de Elle est d'ailleurs diffusée très fort dans la forêt la nuit et qui marque, une dernière fois, la volonté commune de retrouver Lana comme être humain. François a aussi quelques défauts attachants, trouvant sublime, non d'être en haut de la montagne noyée de brume, mais les mécanismes du remonte-pente. Seules les femmes se montrent à sa hauteur : Naïma, la tenancière du camping qui protège sa sœur et trouve les mots pour parler aux bestioles ; Julia qui ne supporte pas le conformisme ambiant, ou Nina, empathique avec les êtres hors norme.

Dans Teddy (Ludovic et Zoran Boukherma, 2020), un jeune homme de 19 ans se transformait en loup-garou dans la France des Pyrénées-Orientales. Dans Titane (Julia Ducournau, 2021) naissait un bébé métallique. La mutation est-elle l'avenir d'une humanité qui se perd ?

Jean-Luc Lacuve, le 13 octobre 2023