Perfect days

2023

Cannes 2023 Avec : Koji Yakusho (Hirayama), Tokio Emoto (Takashi), Arisa Nakano (Niko), Aoi Yamada (Aya), Sayuri Ishikawa (Mama), Tomokazu Miura (Tomoyama), Min Tanaka (Le sans-abris). 2h05.

résuméHirayama travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo. Il s’impose une vie simple, et un quotidien très structuré. Chaque matin, il plie son futon, enfile sa combinaison de nettoyage, se lave les dents, pulvérise de l'eau sur ses arbustes en pot, respire un grand coup en contemplant le ciel, prend une canette de café à la machine automatique et s'assoit dans sa camionnette avant de démarrer en admirant la tour de Tokyo et enclencher une k7 audio d'un de ses morceaux préférés des années 70 (Lou Reed, Patti Smith, Les Kinks…).

Il nettoie méticuleusement les toilettes à peine sales, cherchant à la loupe la moindre tâche et, à l'occasion, aide un enfant perdu, une touriste étrangère ou fait un morpion sur plusieurs jours  avec un inconnu sur une feuille cachée derrière une vitre. Il  supporte avec flegme les retards de son jeune collègue, Takashi, bien moins investi que lui dans le travail. Le midi il mange dans le même parc, photographiant le bruissement des feuilles. L'après-midi le voit poursuivre sa tournée. Celle-ci finie, il va se laver au bain public et dîner dans un snack où il s'assoit toujours à la même place, en face de la télévision. Le soir, il lit quelques pages d'un livre avant de poser ses lunettes et d'éteindre sa lampe.

Le dimanche, Hirayama lave sa combinaison de nettoyage dans une laverie,  achète un livre pour quelques sous, un peu au hasard dans une boutique d'occasion, va chez le photographe déposer les photos de la semaine à développer et récupère les siennes qu'il trie arrivé chez lui pour ne conserver que les photos prises en contre-plongée et soigneusement rangées dans de grandes boîtes de fer par année. Le soir, il dîne dans le bar de Mama. Un soir, elle chante The House of the Rising Sun (mélodie qu'a reprise Johnny Hallyday pour Le pénitencier).

Cette vie aliénante est un peu perturbée le jour où la moto de Takashi tombe en panne et que pour sortir son amie Aya,  il supplie Hirayama de lui laisser sa voiture. Mais comme il a aussi besoin d’argent, il contraint celui-ci à la suivre dans un magasin d'achat-vente de disques et k7 analogiques. Celles de Hirayama valent une fortune mais celui-ci préfère se délester de tout son argent liquide que de séparer de l'une d'elle; il y sera toutefois obligé, tombant en panne d'essence sans argent sur le chemin du retour.

Mais c’est la venue impromptue de sa nièce qui le perturbe le plus : pour asperger d'eau ses précieux arbres dans le fond de la chambre qu'elle occupe désormais. Qui plus est, Niko veut le suivre dans ses tournées. Il  se rend compte qu'elle partage la même passion que lui pour la photo. Mais l’adolescente doit rentrer avec  sa mère, la sœur d'Hirayama, qui a rompu avec lui, le déclassé de la famille, qui n'a pas supporté l'autoritarisme du père.

Un soir, Hirayama surprend sans le vouloir Mama dans les bras d'un homme. C'est Tomoyama, son ex-mari venu la remercier de leur vie passée maintenant qu'il se sait atteint d'un cancer en phase terminale. Les deux jouent à un combat de leur ombre.

Le matin en partant au travail, Hirayama, les larmes au bord des yeux, sourire forcé, se demande s'il va pouvoir continuer longtemps cette vie cadenassée.

Le film est curieusement présenté comme "Une réflexion émouvante et poétique sur la recherche de la beauté dans le quotidien". C'est pourtant bien l'aliénation d'un personnage marqué par l'autoritarisme du père, qu'il ne veut même plus voir bien qu'atteint d'Elsheimer, comme le lui suggère sa sœur. Celle-ci a elle, sans doute, parfaitement suivi la voie de la réussite sociale prônée par le père. Dès lors, Hirayama se protège des événements de la vie. Il ne s'accorde que le bruissement des feuilles, le bain, les collections de photos et d'arbustes, et la routine des diner hors de chez lui comme plaisir. Figé dans cette attitude, il n'a pas vu le monde évoluer, vers le numérique notamment, et se trouve confronté à une jeunesse caricaturale qu’il ne peut que trouver sans intérêt.

Le film est très référencé aussi bien au niveau de la musique que des allusions à Ozu (Hirayama porte le nom du dernier protagoniste de la filmographie d’Ozu dans Le Goût du Saké) ou de la littérature (Les palmiers sauvages de Faulkner, L'arbre d'une autrice japonaise, Eleven de Patricia Highsmith)

La confrontation avec la nièce, modulation en mode mineur sur le duo d’Alice dans les villes, reste tout aussi inaboutie : "Maintenant, c’est maintenant; la prochaine fois, c’est la prochaine fois". Espérons que Wenders, qui tient là néanmoins un vrai sujet, s'attelle à une suite et abandonne ses vaines prétentions à faire le point sur Le pape ou Anselm Kiefer.

Jean-Luc Lacuve, le 16 décembre 2023.