La folle ingénue

1946

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(Cluny Brown). Avec : Jennifer Jones (Cluny Brown), Charles Boyer (Adam Belinski) Peter Lawford (Andrew Carmel), Helen Walker (Betty Cream), Sir Cecil Aubrey Smith (Colonel Graham), Richard Haydn (Le pharmacien). 1h40.

Londres, un après-midi de juin 1938. La jeune et pétulante Cluny Brown se présente au domicile de Hilary Ames à la place de son oncle Arn, afin de réparer un évier bouché. Elle fait à cette occasion la connaissance du séduisant Adam Belinski, pique-assiette et philosophe anti-nazi, fraîchement émigré de sa Tchécoslovaquie natale.

Adam ne tarde pas à être adopté et entretenu par un trio d'aristocrates libéraux : Andrew Carmel, John Frewer et Berty Cream, la jeune fille qu'ils courtisent tous les deux. Pendant ce temps, l'oncle Am, furieux des initiatives de sa nièce, la fait engager par Lord et Lady Carmel afin qu'elle devienne une parfaite domestique.

Malgré son désir de bien faire, Cluny supporte mal la tutelle du majordome Syrette et de la gouvernante Mrs. Maile. Aussi est-ce avec grand plaisir qu'elle voit arriver un nouvel invité : Adam, qu'Andrew a décidé de "cacher de ses ennemis " dans le manoir de ses parents.

Encouragée par Adam à s'exprimer librement et à ne pas rester prisonnière de sa condition. Cluny accepte les hommages de Wilson, le pharmacien local. Mais ce triste sire, affligé d'une vieille mère acariâtre, n'est pas ce qu'Adam rêve de mieux pour sa protégée.

De Londres à New York en passant par la campagne anglaise, les deux héros réussiront à échapper au conservatisme anglais sous toutes ses formes : celui de l'aristocratie citadine ou campagnarde, celui de la classe bourgeoise incarnée par le pharmacien ou des classes populaires -les domestiques jouissant petitement de leur servilité.

La jouissance du langage s'incarne dans cette formule "Il faut donner des écureuils aux noix" que Cluny accepte d'abord sous sa forme moins subversive "Il faut donner des noix aux écureuils". A cette joie du langage s'oppose le chant stéréotypé du rossignol que hait Adam et qui charme la demeure du pharmacien.

L'éloge de nomadisme s'incarne dans l'image mentale du navire imaginaire qu'attendent Adam et Cluny et qui finira par les emporter à New York. Ce désir d'espace et de changement s'oppose à l'immobilisme de Lord Carmel, incapable de parler dans une autre langue que l'anglais lors de ses voyages à l'étranger et fier de cette fermeture aux autres. Il s'oppose aussi à la carte du village que possède le pharmacien et qui incarne les seuls voyages, de sa maison natale à sa pharmacie, qu'il ait jamais fait et qu'il ne fera jamais.

Le grand sujet de l'approche de la guerre est dédaigné au profit de la question triviale et moliéresque de l'évacuation de tout ce qui bouche pour vivre enfin libéré. La psychanalyse est donc omniprésente dans le film. La sensualité de Cluny débouche toutes les constipations sexuelles, mentales ou sociales et c'est ce que comprend très bien la mère castratrice du pharmacien incapable elle de parole.

Omniprésente, la psychanalyse y est aussi subtilement moquée. Adam ne semble pas totalement conscient de ses manigances de séducteur. Il se parfume de pommade pour séduire Betty dans sa chambre. Celle-ci, pourtant dans la position allongée du patient de la psychanalyse, n'est pas dupe et se montre bien plus forte qu'Adam qui se verra chassé du manoir.