Les amants réguliers

2005

Voir : Photogrammes
Thème : Mai 68

Avec : Louis Garrel (François), Clotilde Hesme (Lilie), Julien Lucas (Antoine), Eric Rulliat (Jean-Christophe), Nicolas Bridet (le cousin d'Antoine), Maurice Garrel (Maurice, le grand père de François), Brigitte Sy (la mère de François). 2h58.

Des jeunes gens se réunissent dans un appartement pour discuter tout en fumant de l'opium. La nuit François déambule puis s'endort chez sa mère. Au matin il est réveillé par un gendarme qui vient l'arrêter pour son refus de faire son service militaire. François refuse de le suivre, le voit bientôt revenir avec du renfort et s'enfuit.

Dans un escalier, il exprime auprès de Jean-Christophe sa joie de la révolution en cours mais son refus d'envoyer une bombe craignant de blesser quelqu'un. Il se retrouve ensuite dans une réunion secrète de révolutionnaires et bientôt derrière une barricade. Attente, lancement de pavés, attente. Dans un flash mental, François transforme l'insurrection présente en une scène du XVIIe : un jeune soldat délivre une prisonnière dans un petit camp de concentration et l'entraine dans une forêt où il meurt d'épuisement. A peine ces personnages imaginaires ont-ils eu le temps d'installer un canon que François est réveillé de son rêve par la police qui charge.

Il fuit, se retrouve sur les toits et revient au matin trouver refuge chez la nouvelle amie de son père. Pendant ce temps Jean-Christophe est aussi rentré chez lui ; le journal annonce la fin des émeutes et le début des négociations. François revient ensuite chez sa mère où son grand-père les rejoint bientôt. Sa mère ne supporte pas de devoir reprendre le travaille comme avant et souhaite partir en Coreze; Maurice affirme qu'une occasion de révolution comme celle-ci ne se retrouvera plus.

Lili a decidé de s'installer comme sculpteur aux Etats-Unis. Elle laisse François seul. Elle ecrit des lettres ; elle a un permis de travail. "Certains travaillent d'autres espèrent la revolution". Elle se sent seule comme sculpteur à Brooklynn.

Le sommeil des justes : François se promène. il prend un mystérieux cachet. Prononce une non moins mystérieuse dernière phrase : "Comète à toute vitesse". Un gendarme constate le déces de François. Son âme refuse mais Lili confirme : François mourru ce matin- là.

Les amants réguliers du titre suggèrent probablement tout à la fois la passion et le désir d'installer celle-ci dans la durée. Passions politique, poétique et amoureuse vont ainsi s'incarner au sein d'un groupe de jeunes gens durant les deux années de 1968 et 1969.

Ce qui surgit d'abord c'est le trouble, le refus, l'amitié et l'amour avant que le sentiment de plus en plus perceptible de l'échec ne soit accéléré par la nécessité d'abandonner la maison où, tous regroupés, ils avaient pu un temps maintenir l'espoir de constituer un monde à eux seuls. Le récit est sobrement scandé par quatre cartons (Les espérances de feu, les espoirs fusillés, les éclats d'inamertume, le sommeil des justes) et deux numéros de portes inscrits plein cadre pour leur valeur symbolique : "68" puis "69".

Entre ces deux dates, entre ces personnages, entre les espérances de feu et le sommeil des justes, ce sont bien les éclats d'inamertume que Garrel cherche à mettre en scène. En reprenant la terminologie de Gilles Deleuze, on pourra aussi parler d'icônes, de plans exprimant des affects purs, souvent amorcés à partir d'un visage.

Icônes : le feu devant la barricade, le drapeau de la nation française brûlé, le flash mental sur un petit camp de concentration de l'époque révolutionnaire (Un rêve de la nuit de Philippe Garrel, filmé le matin même avec quelques accessoires) amorcé par quelques notes de musique juste avant la charge policière, contexte historique qui constituera aussi le dernier rêve de François amorcé par un fils de fer barbelé marquant la séparation d'avec Lilie. Éclats d'inamertume, icônes encore et bien sûr que ces visages en gros plan de Lilie et de François dans un Paris rendu alors comme un espace quelconque, déconnecté du réel et du présent pour atteindre à l'éternité. L'éternité de la beauté de l'art et de l'amour, tel est le souhait exprimé par le poème de François, "Le lit idéal":

Les nuages, quelques fumées neigeuses
Sont là tellement sur le bleu
Qu'on ne peut les imaginer autres
On dirait des anges
Dans ce lit là, il a dormi celui
Dont le regard s'éveille au hasard
De ce ciel dans l'oubli


Du lit idéal, les personnages sont hélas tombés dans le monde réel. Faute de n'avoir pu le transformer par la révolution, ils arriveront néanmoins à le maintenir un temps dans la maison d'Antoine. Chacun se définissant en grande partie d'ailleurs par rapport au parcours de son père. François dont le père est absent, parti chez sa maîtresse, se cherche en essayant de conjuguer amour et éternité. Jean-christophe est le plus politisé peut-être parce que son père est un salaud d'après ce qu'il a confié à Antoine. Celui-ci dont le père est décédé lui a laissé de l'argent et vit dans l'immédiat, le plaisir, le ça, l'absence de surmoi. Lilie, fille de prolétaire italien dont la mère craignait que son père parte avec une femme artiste l'a empêché de peindre. On comprend donc que chez elle, l'amour ne saurait retenir la pulsion créatrice.

L'importance de la famille et plus généralement de la transmission se retrouve aussi dans la séquence entre Maurice Garrel, 80 ans (espérant encore bénéficier de 60 ans de retraite)


Citations du film:

Jean-Luc Lacuve le 04/11/2005