The terrorizers

1986

Genre : Film noir

(Kong bu fen zi). Avec : Cora Miao (Zhou Yufang), Bao-ming Gu (Le lieutenant de police), Wang An, Lichun Lee (Li Lizhong), Shi-Jye Jin (Xiao Shen, l'amant de Zhou). 1h49.

Taipei, au petit matin. Dans une banlieue de la ville, un homme tire au revolver dans la rue. Un cadavre gît sur le bitume. Un homme tente de le relever malgré les coups de feu. Bientôt les voitures de police arrivent et un jeune lieutenant mal réveillé dirige les opérations. Dans l'appartement du tireur, des cris se font entendre. Un homme chevelu et une jeune femme eurasienne tentent de s'en évader. Un jeune photographe, attiré par le bruit des sirènes, assiste à leur évasion. L'homme chevelu est immédiatement arrêté mais l'adolescente qui s'est cassé la cheville en tombant derrière une poubelle n'est pas repérée par les policiers. Le photographe la suit dans les rues jusqu'à ce qu'elle s'écroule de douleur sur un passage piéton.

Dans un laboratoire d'hôpital, un homme est convoqué par le directeur. Gong, son chef de service vient de se suicider alors qu'il était accusé d'avoir trafiqué une vente aux enchères. L'homme comprend un peu tard qu'il peut remplacer son ancien chef et, pour contrebalancer l'image peu innovante qu'il a donnée de lui, lance des accusations contre son collègue et ami qui pourrait prétendre au poste.

L'homme rentre chez lui où sa femme, Zhou Yufang, ancienne journaliste a abandonné son métier pour se consacrer à l'écriture. Le couple n'a pas réussi à avoir l'enfant qu'ils attendaient. Zhou Yufang s'en prend à son mari dont la vie trop routinière contribue à son manque d'inspiration.

La mère de la jeune délinquante est venue la chercher à l'hôpital où celle-ci a été soignée pour sa fracture de la cheville. Arrivée chez eux, la mère injurie sa fille et, pour la punir, la séquestre dans l'appartement.

Le photographe a développé les photos de la jeune femme blessé qu'il a accrochées dans tout l'appartement. Jalouse, sa petite amie, les déchire et répand par terre le matériel du photographe. Celui s'en va dans la rue prendre quelques photos puis se rend sur les lieux de la fusillade. Le propriétaire cherche un locataire pour son appartement qui a maintenant mauvaise réputation. Il renvoie furieux un livreur alimentaire qui vient lui apporter cinquante repas qu'il n'a pas commandé.

Zhou Yufang rencontre Xiao Shen, un ancien camarade d'université qui a lu son premier roman et a ainsi découvert qu'il était alors aimé d'elle. Zhou Yufang lui avoue être sur le point de quitter son mari. Il lui propose un travail dans son entreprise de téléphonie. Ils deviennent amants.

Le mari de Zhou Yufang a obtenu la démission de son ami qui a peur d'être inquiété. Il est nommé chef de service par intérim.

La petite amie du photographe découvre un mot de celui-ci lui annonçant qu'il la quitte. Elle ne le supporte pas et se suicide avec des médicaments. Elle est emmenée en ambulance à l'hôpital.

La jeune eurasienne séquestrée chez elle, s'amuse à faire des canulars au téléphone. Elle tombe ainsi sur Zhou Yufang à laquelle elle fait croire qu'elle est la maitresse de son mari et lui donne rendez-vous dans l'appartement de la fusillade.

Celui-ci est désormais occupé par le photographe qui s'est laissé convaincre par le faible prix proposé par le propriétaire. Zhou Yufang vient sonner à la porte. Aucun des deux ne comprend ce qui se passe. Zhou Yufang repart.

Son mari est inquiet car Zhou Yufang n'est pas rentrée au domicile conjugal depuis trois jours. Il demande de l'aide à son ami le lieutenant de police qui téléphone au rédacteur en chef du journal dans lequel travaillait anciennement Zhou Yufang. Celui-ci lui dit que la jeune femme est partie pour écrire la fin de son livre. Son mari est rassuré mais il ne parvient pas à convaincre le directeur de l'hôpital que tout va bien chez lui et le rend ainsi soupçonneux sur sa solidité morale. Il se réjouit quand Zhou Yufang finit par revenir chez eux mais c'est pour lui annoncer leur rupture.

La jeune eurasienne a fini par échapper à la surveillance de sa mère et se rend dans l'appartement de la fusillade. Entrant la nuit avec une clé qu'elle a conservée, elle découvre l'appartement reconverti en chambre noire entièrement dédiée à un portait géant d'elle-même. D'émotion, elle s'évanouit. Le photographe lui explique qu'il la suivi depuis son évasion et conduite à l'hôpital après sa blessure à la cheville.

Zhou Yufang obtient le prix du meilleur roman et passe à la télévision. Son mari, fou de colère et de jalousie, fait un scandale dans l'entreprise de l'amant de sa femme. Arrivant en retard à son bureau, il apprend que c'est un jeune collègue qui vient d'être nommé chef de service.

La jeune eurasienne a dormi avec le photographe puis lui a volé ses appareils photos pour les vendre. Elle y renonce finalement mais abandonne le photographe pour partir sur la moto d'un de ses amants délinquants avec qui elle organise des arnaques pour dépouiller de leurs portefeuilles les hommes solitaires qui croient pouvoir profiter d'une jeune innocente. Et quand, l'homme piégé se révèle malin et soupçonneux, celle que la police surnomme White Chick, n'hésite pas à le tuer avec un drôle de poignard caché dans la jambe de son pantalon.

Le mari de Zhou Yufang va rendre visite à son ami le lieutenant de police et lui fait croire qu'il vient d'être nommé chef de service. Les deux hommes font la fête.

Au petit matin, le lieutenant est endormi sous la moustiquaire. Dans son sommeil, il pense à son arme de service. Le mari abandonné s'en est saisi et abat le directeur de son hôpital, devant chez lui, d'une balle dans la tête. Puis il se rend chez l'amant de sa femme et l'exécute de deux balles. Il pointe son arme sur sa femme mais l'épargne. La nuit, il erre dans la ville et rencontre par hasard la jeune eurasienne qu'il emmène dans une chambre d'hôtel. La police est à ses trousses et investit l'hôtel, enfonce la porte. Le mari se tire une balle dans la tête.

Le coup de feu réveille le lieutenant de police... toujours dans son lit sous sa moustiquaire... et Zhou Yufang qui est chez son amant, endormi à ses côtés, et bien vivant. Le lieutenant de police se réveille et constate que son arme a disparu. Dans la pièce d'à côté, il découvre son ami qui s'est suicidé puis fracassé le crane contre le bord de la baignoire. Zhou Yufang vomit, peut-être dégoutée de ce qu'elle pressent, peut-être enfin, mais bien trop tardivement, enceinte.

Edward Yang tente de définir, au sein d'une construction narrative complexe dans laquelle huit personnages entretiennent des interactions faibles, quelle marge de liberté chacun possède pour changer sa vie. A la manière d'un puzzle, le dessin d'ensemble n'apparait pas immédiatement mais finit par se figer dans une image nette. Que celle-ci soit finalement particulièrement pessimiste importe moins que la façon dont le cinéaste s'y prend pour nous procurer une empathie croissante avec des personnages bien ordinaires mais dont le destin distille le sentiment de la tragédie.

Mentir pour survivre

Le film met en scène trois couples, Zhou Yufang l'écrivaine et son mari biochimiste médical, le photographe et sa petite amie, la White Chick et sa mère ainsi que l'amant de Zhou Yufang et le lieutenant de police.

Zhou Yufang et le photographe ont leur art pour se déprendre de la poisse du quotidien. La première réussit à reconstruire sa vie, à travailler et aimer ce qui lui permet de retrouver l'inspiration. Le second après avoir rêvé de la jeune adolescente eurasienne revient auprès de sa petite amie. Pour l'une comme pour l'autre le rêve entrevu tournera court. Zhou Yufang vomit lors de la dernière image. Probablement est-elle enceinte de son mari. En partant de l'appartement de la fusillade transformée en chambre noire, la jeune eurasienne provoque un courant d'air qui agite le portrait d'elle bien rangé qu'en avait fait le photographe.

Le mari de Zhou Yufang, qui ne sait pas utiliser la différence entre la réalité et la fiction, a tenté de faire entrer la seconde dans la première et en mourra. Le lieutenant de police qui baille dès le début du film, reste un être endormi par Taipei. Son moment de gloire où il poursuit son ami n'est qu'un rêve. La grande séquence du rêve qui commence et finit par le plan du lieutenant rêvant sous la moustiquaire ne vient pas donner un autre sens au film mais bien davantage renforcer le jeu avec le réel dont chaque personnage fait usage.

Yang lui aussi joue en effet habilement entre réalité et fiction. Il fait ainsi dire à la petite amie du photographe que dans le livre de Zhou Yufang, la femme a quitté son mari parce qu'un coup de fil lui avait appris que son mari la trompait. Le photographe veut alors absolument avertir Zhou Yufang qu'elle a été victime d'un canular de la jeune délinquante eurasienne. Zhou Yufang, lui répond que si ce coup de fil n'a pas arrangé les choses, elle voulait de toute façon quitter son mari depuis quelque temps. De même dans le roman, le mari tuait son épouse, ici il y renonce à la fois dans le rêve final, tirant au-dessus de la tête de Zhou Yufang, à la fois dans la réalité en se suicidant.

Ce sont les différents régimes du mensonge, celui qui joue avec la réalité (la jeune eurasienne) celui qui tente de la déformer (le mari, la mère), celui qui al convertie en art (Zhou Yufang, et le photographe) celui qui le rêve (le lieutenant) qui ne cesse de se déployer dans ce film montrant dans un Taipei fantomatique et crépusculaire des personnages testant les marges de leur liberté.