L'histoire d'Adèle H.

1975

D’après “Le Journal d’Adèle Hugo” de Frances V. Guille. Avec : Isabelle Adjani (Adèle Hugo), Bruce Robinson (Lieutenant Pinson), Sylvia Marriott (Mrs Saunders), Reubin Dorey (Mr Saunders), Joseph Blatchley (le libraire Whistler). 1h36.

1863. Depuis deux ans, les Etats-Unis sont déchirés par la guerre civile. La Grande Bretagne va-t-elle reconnaitre l'indépendance de la confédération sudiste  et entrer en guerre contre les yankees ? Dès 1862, des troupes britanniques sont envoyée au Canada, à Halifax capitale de la Nouvelle Ecosse, l'ancienne Acadie des Français. Il règne à Halifax une sorte de fièvre, on s’inquiète, on trafique, on fait la chasse aux espions yankees et sur le port les autorités britanniques contrôlent les voyageurs européens qui débarquent du Great Eastern, l'immense paquebot, surnommé la ville flottante.

Esquivant le contrôle douanier, Adèle est prise en charge par un cocher O’Brien qui la conduit dans une pension tenue par son amie Mme Saunders.  Adèle se présente sous le nom de miss Lewly.

Le lendemain matin, elle va voir maitre Lenoir qu'elle charge de retrouver le lieutenant Pinson pour sa nièce dit-elle. Au retour, Adèle s’arrête dans une librairie où elle voit le lieutenant Pinson en compagnie d'une femme au travers des vitres sans oser rentrer. Elle arrêt acheter une rame de papier et prétend que le lieutenant Pinson est le mari de sa belle-sœur. Le libraire lui dit que le lieutenant est connu comme le loup blanc pour faire des dettes.

Le mari Mme Saunders  se prépare à partir pour servir le banquet pour le 16e de hussard. Adèle lui donne une lettre pour le lieutenant Pinson quelle prétend être son cousin, puis le fils du pasteur de son village avec lequel elle a été élevée et qui est amoureux d’elle. Après son départ Mme Saunders regarde l’album de photos d’adèle qu'a prises son frère. Adèle l lui raconte la mort de Léopoldine et combien tout le monde l’aimait. Quand  Mme Saunders s’apitoie, Adèle lui réplique sèchement : « Vous ne savez pas qu'elle chance vous avez eu d’être une enfant unique ». Tard le soir, quand rentre M. Saunders, il raconte à Adèle comment fut brillant le lieutenant Pinson ; il prit la lettre la lu et la remis dans sa poche. Adèle prétend qu’elle n’attendait pas de réponse mais ne peut cacher ses pleurs et monte dans sa chambre. M Saunders dit alors à sa femme que le lieutenant après avoir vu qui lui adressait la lettre ne l’a pas même  ouverte. Dans sa chambre Adèle fait un cauchemar ou sa sœur se noie et tente de s’agripper à elle.

Le lendemain Adèle se rend à la banque où l’attend une lettre de se parents mais pas le mandat espéré ; celui-ci, plus lent, mettra quinze jours de plus à arriver. Le soir Adèle écrit à sa mère expliquant qu'elle est partie sans prévenir à cause des complications, pour une chose aussi simple un amour partagé, allait susciter dans la famille. Adèle, obsédée par l'idée du mariage, supplie son père de lui adresser son consentement écrit. Elle demande aussi  son père de lui verser, non seulement sa pension de mai et juin, mais toute celle de la fin d'année, tant la vie est chère à Halifax.

Le lendemain sur les remparts de la ville, elle croit reconnaitre le lieutenant Pinson, mais c’est un autre soldat qui la dévisage. Elle tente désespérément de reconquérir Albert. Mais alors que Victor Hugo lève enfin son opposition, Albert Pinson reste sur ses positions. Adèle, dont l'identité a été percée à la suite d'une maladie ne renonce pas à son unique projet. Elle s'efforce de revoir Pinson, lui propose de régler ses dettes, lui paie des filles de joie, fait échouer ses fiançailles avec une jeune fille fortunée et proclame la célébration de leurs noces.

Désargentée, elle est forcée de quitter sa chambre et se retrouve dans un hospice avec pour seul trésor son journal qu'elle n'a cessé d'écrire. Elle se rend aux îles de la Barbade où le 16e Hussards vient d'être muté. Malade, en butte aux moqueries, elle erre dans les rues où elle ne reconnaît même pas Pinson et sa jeune épouse. Une noire, Mme Baa, la recueille et la ramène chez ses parents. Elle meurt en 1915 à l'asile de Saint-Mandé.

La tentative folle et suicidaire d'une jeune fille de construire par l'écriture un lien vers un père dont elle se sent rejetée.

Adèle sans identité

Le seul trait commun entre la pâle fantoche qu'est Pinson et le grand Victor Hugo est que ni l'un ni l'autre ne veulent d'Adèle. Elle court après le fantôme d'un père auquel elle a retiré toute réalité pour ne conserver que le trait qui l'a détruite : l'absence d'amour. En lui préférant sa soeur, Victor Hugo a aliéné l'identité de sa fille cadette. Si le titre du film occulte son patronyme, ce n'est pas tant pour laisser planer un mystère sur l'identité d'Adèle, que pour refléter ce manque fondamental d'identité. Le seul ressort dramatique du film va être de montrer comment l'imagination fertile d'Adèle va lui permettre de survivre dans cette situation intenable. Quand la folie aura gagné, il s'arrêtera.

Peu de scènes sont reliées entre elles par un lien de cause à effet ou par une quelconque continuité temporelle. De nombreux fondus au noir viennent au contraire isoler les séquences les unes aux autres. Le temps ne passe pas; il se répète. Sur les soixante-treize segments du film, vingt huit se passent la nuit; dix neuf sont muets et onze n'ont pour seul accompagnement sonore que le texte du journal ou des lettres d'Adèle. Cette triple absence d'enchaînement temporel, de lumière et de dialogues vient suspendre le cours de la logique diurne pour soumettre le déroulement du récit aux courts circuits de l'imaginaire.

Ecrire quand tout est perdu

Ainsi lorsque qu'après que Pinson et Adèle se sont éloignés d'une soirée dansante et se dirigent vers un cimetière où il lui dit qu'il ne l'épousera jamais, la scène suivante montre la jeune femme en larmes devant un petit autel sur lequel trône une photo de Pinson encadrée de noir et de bougies. L'amour est devenu culte religieux d'un objet défunt.

Pourtant, sur ce cérémonial du désespoir, s'enchaîne une somptueuse mise en scène : on voit un gros plan du visage d'Adèle qui annonce son mariage à ses parents, tandis, qu'en surimpression, se dessinent les côtes de l'Océan que sa lettre va traverser. On suivra le parcours de celle-ci grâce à une suite de fondus enchaînés sur les cartes de l'Amérique, des vues de l'Atlantique, une carte d'Europe où se détache le nom de Guernesey et, finalement, une grande maison qui est celle de Victor Hugo. Une vieille femme en noir en sort, une lettre à la main, poursuivant le motif du deuil, et va au siège du journal de Guernesey pour y faire publier l'annonce du mariage. La musique accompagne à la fois la scène du rituel funèbre et celle du voyage de la lettre, marquant le lien qui unit l'idée de mort à ce passage lyrique.

Car ce merveilleux épisode, s'il marque le triomphe d'Adèle pour imposer sa parole au monde et donner force de vérité à son fantasme, consacre aussi sa rupture avec le réel. On voit d'abord le lieutenant Pinson se faire tancer vertement par son supérieur. Puis, aussitôt après, ce sera Adèle que la voix paternelle condamnera et accusera de mensonge.

Source :Anne Gillain : François Truffaut, le secret perdu