The Fabelmans

2022

Genre : Biopic

Avec : Gabriel LaBelle (Sammy Fabelman), Michelle Williams (Mitzi Fabelman), Paul Dano (Burt Fabelman), Seth Rogen (Bennie Loewy), Chloe East (Monica Sherwood), Julia Butters (Reggie Fabelman), Sam Rechner (Logan Hall), Judd Hirsch (Boris), Chloe East (Monica Sherwood), Isabelle Kusman (Claudia Denning). 2h31.

Dans la nuit du 10 janvier 1952, à Haddon Township, New Jersey, le couple juif Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur jeune fils Sammy voir son premier film : Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille. Une scène d'un accident de train percutant une automobile puis un train le marque particulièrement. La nuit suivant la séance, Sammy demande à ses parents un train électrique en guise de cadeau pour Hanoucca. Le soir de cette fête, il reconstitue l'accident, endommageant son cadeau. Son père répare la locomotive mais Mitzi, comprenant les intentions de Sammy, lui permet de tourner une autre scène d'accident à l'aide de la caméra amateur de Burt. Il recrée alors la scène du film pour la visualiser à plusieurs reprises. Sammy découvre alors la joie de se tenir derrière la caméra, filmant régulièrement ses ses jeunes sœurs Reggie, Natalie et Lisa.

Au début de 1957, Burt se voit offrir un nouvel emploi à Phoenix, en Arizona, et lui et la famille y déménagent ; sur l'insistance de Mitzi, le meilleur ami et partenaire commercial de Burt, Bennie Loewy, y va aussi. Sammy, désormais adolescent, continue à nourrir sa passion pour le cinéma. Inspiré par une projection de L'homme qui tua Liberty Valance, avec son groupe de boy-scouts, il finance un film de western en revendant des scorpions. En perçant la pellicule avec une aiguille, il réalise l’un de ses premiers effets spéciaux. Malgré une projection triomphale, il peine à convaincre Burt de le laisser faire du cinéma son métier. Sammy filme également abondamment sa famille et Bennie lors d'un séjour en camping, toutefois interrompu par la mort de la mère de Mitzi, qui laisse cette dernière dévastée. En lui fournissant du matériel de montage, Burt suggère à Sammy de transformer les images du voyage de camping en un film pour remonter le moral de Mitzi. Sammy s'y oppose ayant programmé de réaliser le lendemain un petit film de guerre impliquant quarante figurants. Mais Burt, qui considère sa passion pour le cinéma comme un simple passe-temps, soutient que le film de vacances est plus important.

Cette nuit-là, Mitzi fait un cauchemar où sa mère lui téléphone d'outre-tombe pour la prévenir de ne pas laisser entrer un danger le lendemain. Or, la famille reçoit le lendemain la visite de Boris, l'oncle de Mitzi. Boris, ancien dompteur de lions et technicien du cinéma, identifie rapidement la passion de Sammy et le prévient qu'il sera amené à être écartelé entre son amour pour sa famille et sa passion pour le septième art.

Une fois Boris parti, Sammy s'attelle au projet de film de camping, mais en repassant les différentes séquences qu'il a filmées, il met au jour des signes d'une liaison entre sa mère et Bennie. Sans rien lui dire, Sammy adopte alors une attitude froide et insolente envers Mitzi pendant plusieurs semaines. Dans un accès de rage, elle le gifle dans le dos, forçant Sammy, désemparé, à lui montrer son montage révélant un amour pour Bernie, qu'elle n'avait jamais si bien vu en face. Devant ses larmes, Sammy lui promet de garder leur secret.

La semaine suivante, Burt reçoit une proposition professionnelle très importante, une embauche de responsable de département chez IBM, nécessitant un autre déménagement à Saratoga, en Californie. Sammy, ayant perdu goût pour le cinéma, revend sa caméra, et croise Bennie au magasin, qui lui en offre une nouvelle. Sammy, dégoûté par l'attitude de Bennie, même si celui-ci reste à Phoenix, refuse le cadeau, n'acceptant finalement de prendre la caméra qu'en l'achetant 35 $ à Bennie et affirmant qu'il ne s'en servira jamais, quand bien même Bennie l'exhorte à ne pas renoncer ne serait-ce que pour réconforter sa mère, qui le soutient dans sa passion. Bennie réussit à laisser ses 35 $ à Sammy après l'avoir enlacé comme son fils,

Peu de temps après son arrivée dans son nouveau quartier et son lycée, Sammy devient la cible des étudiants Logan et Chad, qui lui infligent des injures antisémites. Le premier frappe même Sammy après que ce dernier a révélé à sa petite amie que Logan la trompait avec une rousse. Face à ses menaces, il tente de revenir sur ses propos auprès sa petite amie, Sammy fait alors la connaissance de Monica Il commence également à sortir avec la fervente chrétienne Monica.

Entretemps, Mitzie peine à accepter son éloignement avec Bennie : elle va jusqu'à donner son nom à un singe domestique qu'elle a acheté. La tension entre Mitzie et Burt monte alors durant un repas de famille auquel assiste Monica, et durant lequel Mitzie reproche à Burt de ne pas assez encourager la passion pour le cinéma de Sammy. Ce dernier, quant à lui, accepte de filmer le ditch day (jour de relâche) du lycée, une journée que les étudiants passent à la plage, utilisant une caméra Arriflex 16 mm prêtée par le père de Monica. Après avoir finalement déménagé d'une location à leur splendide maison nouvellement achetée, Mitzi et Burt annoncent leur divorce en raison de l'extrême dépression de Mitzie qui a fini par révélé sa liaison avec Bennie. Cela brise le cœur des jeunes soeurs de Sammy qui lui termine sans états d'âme son montage

Sammy se rend au bal de fin d'année avec Monica mais, perturbé par le divorce de ses parents, il lui déclare maladroitement son amour et lui demande de venir avec lui à Hollywood tandis que Monica, qui a toujours considéré leur relation comme temporaire, envisage au contraire d'étudier au Texas et annonce à Sammy qu'ils doivent rompre.

Lors de la cérémonie, le film du ditch day réalisé par Sammy est projeté, montrant l'athlétique Logan sous un jour particulièrement favorable, tandis que Chad est présenté comme un raté. Logan est furieux de cette image, qui ne correspond pas à la réalité et le fait passer pour bien meilleur qu'il ne l'est, et se met en colère contre Sammy, mais finit par le laisser tranquille et même à le défendre contre Chad, le film ayant aidé la petite amie de Logan à lui revenir.

De retour chez lui, Sammy annonce à Mitzie que Monica et lui ont rompu. Mitzie, qui ne peut renoncer à son amour pour Bennie malgré toute l'affection qu'elle a pour Burt, demande à Sammy de lui pardonner pour la gifle qu'elle lui a infligée auparavant, et de poursuivre son rêve de faire du cinéma son métier.

L'année suivante, Sammy vit avec Burt à Hollywood. Suite à une crise d'angoisse, il veut abandonner l'université, mais est incapable de trouver du travail dans le cinéma. Burt accepte à contrecœur la passion de son fils. Après avoir vu dans une lettre, une photo de Mitzi et Bennie ensemble, Burt dit à Sammy de continuer son chemin sachant qu'il s'y donnera à fond et que c'est cela qui peut rendre heureux. Une seconde lettre est une une offre de CBS pour travailler à la télévision.

C'est Bernard Fein le co-créateur de l'émission Hogan's Heroes qui le reçoit pour lui proposer d'en être l'assistant de l'assistant; mais il l'a surtout perçu comme, il le fut lui-même, passionné par le cinéma,et lui propose de rencontrer John Ford, un réalisateur qui l'a toujours influencé. Lors de l'entrevue avec Ford, qui ne dure que quelques minutes, Ford le met en situation de décrire la ligne d'horizon sur deux tableaux de son bureau: l'horizon peut être haut ou bas; c'est bien. Mais si l'horizon est au milieu, c'est chiant. Armé de ce précieux conseil Sammy sort des studios bien décidé à l'appliquer dans sa future carrière.

Dans ce biopic, Spielberg égrène ses souvenirs et propose une réflexion sur son cinéma ou l'art réside autant dans la place de la caméra que dans le montage des plans. Spielberg, qui a tant fait résonner aventures et vie de famille, rend ici compte du divorce entre vie familiale et implication totale des personnages dans leur passion. Pour rester dans le ton du message de Ford, génialement interprété par Lynch, le cinéma n'est jamais chiant, qu’il fabrique du mensonge ou révèle une vérité, si le montage en magnifie la puissance.

Faire corps avec le récit

Dans le plan final, alors que Samy vient de sortir revigoré du bureau de John Ford, il parcourt les allées du studio encouragé à y travailler. Dans un premier temps, la caméra cadre l'horizon au centre de l'image, contrairement aux conseils du maître, puis, en brusque contre-plongée, recadre l'horizon tout en haut de l'image, conformément cette fois aux conseils de Ford. Le mouvement d'appareil ne traduit pas l'application servile d'une règle à toujours respecter mais la nécessité de toujours avoir une idée pour filmer un plan. Certes, celui qui s'imagine déjà le wonder-boy d'Hollywood ne manquera pas d'avoir des idées. La règle semble pourtant ne guère s’appliquer à ce film dont la mise en scène relève de l’évidence au risque de la faire passer pour la simple illustration d'un récit.

Seuls ses petits films de fiction, le western, le film de guerre ou Le jour de relâche jouent avec le cadrage et les effets spéciaux. Dans le western, Samy restitue le son des révolvers et les stries des balles grâce aux trous dans la pellicule imaginé à partir du cliquetis des ongles sur le piano et le trou du talon dans la partition. Les mouvements d’appareils du film de guerre commencent à se sophistiquer et l'exaltation du sportif dans le film du jour de relâche est magnifiée par les contre-plongées et les gros plans. En revanche, on est bien en peine de citer un mouvement d’appareil notable dans le cours du film. La projection de Sous le plus grand chapiteau du monde est magnifiée par la salle comble. Le champ contrechamp du regard de l'enfant sur les plans de l’accident rend celui-ci plus effrayant que dans le film de Cecil B DeMille. Lorsqu’il réceptionne le film de l'accident développé, Sammy fait corps avec le cinéma; la projection ayant lieu dans ses mains d'enfant.

Un montage qui lie de façon organique la vie de famille et la passion.

Cet accord avec le monde c'est ce que recherche Spielberg pour conjurer la prédiction du vieil oncle Boris : le tragique écartèlement, déchirement entre la passion pour l’art et les obligations chronophages de la vie de famille. C’est ce qui est remarquablment mis en scène avec le cauchemar prémonitoire qui, la veille de sa venue, terrorise Mitzie dans la nuit. Cette scène, totalement inutile du point de vue de l'action, donne une profondeur tragique à la prédiction. Car cette contradiction se décline aussi dans la passion du père pour son métier que dans celles de Mitzi pour le piano, auquel elle a renoncé, et pour Bernie, à laquelle cette fois, elle ne renoncera pas.

Lors de l'allumage du chandelier à neuf branches pour Hanoucca, Sammy déballe un à un ses trains et wagons. Mais sa passion va casser le jouet. En passant par le filmage, Mitzi va proposer à son fils de passer outre la loi du père et de continuer à le faire dérailler, moins violemment pour plus de spectacle.

Lors de la soirée d'été autour d’un feu de camp, Samy filme sa mère qui se met à danser à la lumière des phares de la voiture. Sous le tissu de sa chemise de nuit, on voit son corps nu. La sœur s’offusque et veut cacher sa mère ; le mari est admiratif et Oncle Bennie cache probablement son désir sous un masque figé. Mais, quand il filme, Samy capte sans voir. Il faudra le temps du montage pour qu’advienne la vérité de la situation. Cet instant révélateur, Spielberg l’encadre dans un montage plus complexe. Lorsque Sammy monte le film, il entend en même temps sa mère jouer du piano et son père plongé dans ces calculs. Ce que lui révèle son film est déjà montré avec sa mère qui sacrifie sa carrière pour sa famille et son père heureux de son métier qui ne demande à sa famille qu’à le soutenir dans la voie qu'il a choisi.

Dans ces trois séquences, c'est par le montage que Spielberg rend plus émouvants, plus forts, les souvenirs de son enfance. Si le montage peut servir à mentir en glorifiant l'action d'un film de guerre, d'un western ou d'un personnage, il peut aussi révéler la dimension tragique d'une situation. Vérité ou mensonge, il importe de se servir du montage pour, selon le mot final de John Ford, n'être ni chiant ni ennuyeux.

Jean-Luc Lacuve, le 1er mars 2023.

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