Van Gogh

1948

Voir : photogrammes du film
Genre : Documentaire , 0h18

"... Décembre 1883 au bout de la route : Nuenen, petit village de Hollande. Pour lui, son pays natal devient un livre d'images. Il veut témoigner par ses tableaux de la misère des paysans. Il regarde intensément les êtres et les objets avec le même amour. Mais il se lasse bientôt de peindre ce pays triste et silencieux, d'autres horizons l'appellent.

Quittant Nuenen un soir de novembre, Van Gogh, solitaire, s'engage vers son destin. Paris l'accueille, un Paris immense, un nouvel appartement, une nouvelle palette, de nouvelles couleurs et de nouvelles lectures. Dans les rues, et les cafés de Montmartre, il rencontre d'autres artistes, Seurat, Lautrec, Gauguin. Porte, restaurant, verre de bière. Il sent peser la solitude de la grande ville, il rêve d'une autre lumière.

Ce n'est plus un rêve sur les estampes japonaises contemplées chez le père Tanguy. Il habite dans la maison jaune, une petite chambre. Des amis des voisins viennent poser pour lui.

Dans un calme illusoire, il peint sans ménager ses forces. Un jour, Van Gogh sent brusquement l'apparence des choses lui échapper. Un soir de Noël, le drame éclate. Dans un accès de folie, Van Gogh s'est tranché l'oreille. L'hospice de saint Rémy se referme sur lui. Il faut pourtant continuer à peindre alors que l'on est prisonnier de soi-même et des autres. Les médecins déclarent que l'état de Van Gogh s'améliore. On lui ouvre la porte de l'asile. Il s'échappe.

La nature le frappe au visage il veut peintre le tourbillon du monde mais le monde tourne si vite. Comment le saisir ? On ne joue pas impunément avec le feu et ce n'est pas pour rien que les tournesols s'appellent des soleils. Arrivé au sommet de son art, Van Gogh vainqueur, s'arrête, saisi de vertiges.

A bout de force, il se réfugie en île de France, à Auvers sur Oise. Des chaumières semblables à celles de son village natal mais le feu brûle désormais en lui. Il a renoncé à tout mais pas à son œuvre, à peine six années de travail acharné. Van Gogh se rebelle. Tout son être crie. Pourtant il faut choisir. Le 27 juillet, 1890, trop jeune pour connaître sa gloire mais sur d'elle au milieu d'un champ devant son chevalet, Van Gogh se titre une balle dans le cœur."

Œuvre de commande, le Van Gogh de Resnais appartient à la préhistoire du genre du film sur l'art. A ce titre, il a le mérite de jeter les bases de bons nombres de problématiques qui seront soulevées par les cinéastes qui s'intéresseront à la rencontre entre cinéma et peinture. Réalisé en collaboration avec Gaston Diehl et Robert Hessens, qui ont ensemble conçu le texte du commentaire et la sélection des œuvres, ce projet articule un champ sonore prégnant à une stratégie visuelle illustrative.

La proposition sonore se construit à partir de la rencontre entre une composition musicale originale de Jacques Besse et le récit dramatique de la vie du peintre, exposée sur un ton lyrique par la voix-off de Claude Dauphin.

Au-delà de l'esthétique surannée qui émane d'un tel dispositif sonore, c'est surtout la dimension tyrannique de la seule explication biographique proposée pour regarder l'œuvre qui s'impose. En toute cohérence, la stratégie visuelle consiste à accompagner la narration en utilisant les tableaux de Van Gogh comme des illustrations de sa propre vie. Ceux-ci sont saisis de l'intérieur, sans leurs cadres, par une caméra qui les décontextualise systématiquement. Aucune autre image ne se glisse dans le montage (photographie de paysages, de personnage de témoins...) qui fonctionne comme un diaporama d'œuvres.

La dynamique visuelle est tout entière à la charge des juxtapositions plus ou moins rapides de tableaux et des fragmentations visant à mettre en avant certains détails. On passe ainsi d'un plan sur la maison jaune à l'une de ses fenêtres par un zoom-avant avant d'y pénétrer en voyant la fenêtre vue cette fois de l'intérieur par un gros plan qui suivit d'un zoom-arrière nous dévoile La chambre de Van Gogh. Ce même effet, sur trois tableaux : gros plan sur porte puis intérieur de restaurant et femme attablée avait été utilisé pour décrire la vie parisienne de van Gogh.

Le commentaire "Mais il se lasse bientôt de peindre ce pays triste et silencieux, d'autres horizons l'appellent" est illustré par le plan des Souliers (1886, Musée Van Gogh) qui sera repris après le commentaire : "Il sent peser la solitude de la grande ville, il rêve d'une autre lumière" qui prépare son départ pour la Provence avec un zoom rapproché sur les chaussures et un noir avant l'apparition d'un paysage de Provence. Suivront des zoom-arrières rapides pour marquer le vertige ressenti devant la splendeur de la Provence.

Un vertige semblable mais déjà plus difficilement maîtrisable saisit Van Gogh après la sortie de Saint Rémy. Il est figuré par des panoramiques ascendants qui répètent une vingtaine de fois, le parcours sol-tronc-branches, sol-tronc-branches, sol-tronc-branches... qui viennent illustrer le propos : "La nature le frappe au visage il veut peintre le tourbillon du monde mais le monde tourne si vite. Comment le saisir ?"

La fragilité psychologique (l'ombre) mal soignée à saint Rémy et par le docteur Gachet (réunis dans une même séquence), l'alcool et la confrontation avec le soleil incarnée dans la peinture de tournesols sont désignés comme les causes du suicide de Van Gogh. Paysage à Auvers sous la pluie, Champs de blé aux corbeaux puis, Le champ de blé sous un ciel orageux qui se couvre de noir

Le récit se construit ainsi dans la chair même de la touche de Van Gogh. D'un point de vue conceptuel, le principe semble louable, qui parie sur les capacités du cinéma à restituer la matière de la peinture. Mais ce serait sans compter sur l'incontournable logique narrative du cinéma qui métamorphose instantanément le regard fixe du peintre en une succession de photogrammes illustrant sa propre biographie, sur le modèle d'un film d'animation pour enfant.. Chaque maison, chaque champ de blé, chaque personnage est enveloppé dans le voile du récit qui défait de façon irrémédiable le projet pictural de l'œuvre. C'est ici toute l'intégrité du regard du peintre qui, rabattu sur la linéarité de la narration biographique, s'en trouve invalidée.