La grande illusion

1937

Avec : Jean Gabin (Lieutenant Maréchal), Pierre Fresnay (Capitaine de Boeldieu), Erich von Stroheim (Capitaine von Rauffenstein), Marcel Dalio (Lieutenant Rosenthal), Dita Parlo (Elsa), Julien Carette (Cartier), Jean Dasté (L'insituteur), Georges Péclet (Un soldat français), Werner Florian (Sergeant Arthur). 1h53.

Pendant la guerre de 1914-1918, le capitaine de Boeldieu, officier de carrière, et Maréchal, un ancien mécano promu lieutenant, sont abattus avec leur avion derrière les lignes allemandes par le Commandant von Rauffenstein. Conduits dans un camp de prisonniers, ils sont vite adoptés par leurs compagnons de chambrée mais tous ces hommes ne pensent qu'à s'évader par le tunnel qu'ils creusent chaque nuit; lorsqu'il est enfin terminé, les officiers sont hélas transférés dans un autre camp !

Maréchal et Boeldieu sont finalement conduits dans une forteresse médiévale, réservée aux spécialistes de l'évasion. Ils y sont accueillis par von Rauffenstein, gravement blessé à la colonne vertébrale et sanglé dans un corset de fer et de cuir. Enchanté de retrouver Boeldieu, il le traite comme son alter ego, mais, avec Rosenthal qu'ils ont retrouvé, les deux officiers préparent une nouvelle évasion : tandis que Boeldieu, en grande tenue et gants blancs, joue insolemment de la flûte tout en gravissant l'escalier du chemin de ronde, Rosenthal et Maréchal franchissent les remparts. A son corps détendant von Rauffenstein tire sur l'officier français qu'il blesse mortellement.

Épuises, Maréchal et Rosenthal se réfugient dans une ferme habitée par une jeune veuve de guerre. Une idylle naît entre Maréchal et la blonde Elsa... Quelques jours plus tard les deux prisonniers réussissent à franchir la frontière suisse.

Trois parties s'emboîtent les unes dans les autres et présentent un nombre de plus en plus restreint de personnages : des dizaines dans le premier camp de prisonniers, décrits avec réalisme et drôlerie, huit ou neuf dans la forteresse de Stroheim, trois dans la dernière partie à la campagne sous la neige.

A mesure que l'intrigue progresse, elle se resserre et devient de plus en plus intime ; elle aiguise l'attention du spectateur en l'aiguillant sur un nombre de plus en plus limité de péripéties dramatiques. Le spectateur a ainsi l'impression de voir l'action, saisie comme un immense travelling avant de plus en plus serré, passer du registre truculent au dramatique puis au lyrique et au grave. Il participe à une odyssée, à un long itinéraire commençant dans le foisonnant et le multiple et s'achevant sur la vision de deux petites silhouettes de fourmis progressant dans la neige.

Renoir multiplie les gestes de courtoisie ou d'amitié entre les adversaires. L'individu est toujours à sauver et, dans le collectif, ce qui sera sauvé passe inévitablement par l'individu. Le Mal (les frontières, la guerre) viennent des structures de la société humaine, nées elles-mêmes de la diversité humaine. Jusqu'ici cette diversité (de classes, de races, de langues, de religions, de cultures) n'a été cause que de conflits sanglants. Un jour, peut-être, elle engendrera l'harmonie et la paix universelle. Mais rien n'est moins sûr ; et c'est là l'un des sens multiples de ce film qui, sans optimisme ni pessimisme, invite perpétuellement le spectateur à la discussion, aux hypothèses, à la générosité, à une rêverie nourrie de faits sur la structure et le devenir des sociétés.

Jacques Lourcelles, dictionnaire du cinéma (extraits)