Les sentiments

2003

Avec: Jean-Pierre Bacri (Jacques), Nathalie Baye (Carole), Isabelle Carré (Edith), Melvil Poupaud (François). 1h34.

Jacques, médecin, vit à la campagne avec sa femme Carole. Il est décidé à changer de vie, à accepter un poste fixe à l’hôpital. Son futur remplaçant, François, emménage avec son épouse Edith dans la maison juste à côté. Alors que Jacques fait découvrir les alentours et sa clientèle à François, Edith et Carole font connaissance et sympathisent rapidement. Contrairement à Carole qui est femme au foyer, Edith trouve un travail dans un laboratoire de photographie.

Malgré sa femme et ses deux enfants, Jacques, qui se trouve "gros, vieux, con et moche" et s'était résigné, presque sans regrets, à ne plus vivre vraiment, redécouvre la passion dans la lumière des yeux et du sourire d'Edith. Elle qui, sans coquetterie aucune, lui parle de ses gestes "incroyablement gracieux" et de son regard, le plus noir qu'elle ait jamais vu. Et tout en adorant son mari, Edith se met à aimer jacques aussi. Parce qu'elle est innocente et rayonnante, une battante de charme, amoureuse et dévoreuse de la vie qui se croit "invincible".

Il ne faut pas écraser cette comédie sentimentale en la comparant à La femme d'à côté, drame sentimental comptant parmi les cinquante plus beaux films de l'histoire du cinéma. Avec le film de Truffaut, Noemie Lvosky ne partage que l'ouverture (un trajet puis l'emménagement dans une maison d'un couple dont la femme sera bientôt la maîtresse de l'homme du couple de la maison voisine) et la scène du parking souterrain qui donne lieu au premier baiser passionné. Ces deux séquences sont délibérément traitées sur le mode mineur par Lvosky et il ne s'agit en aucun cas d'amour passion mais d'une simple aventure amoureuse.

Les sentiments est d'abord une comédie décalée avec des moments carrément burlesques (les ruses paysannes pour tester les médecins, Jacques et son stylo qui fuit, L'adultère consommé devant le portrait retourné du général de Gaule, Carole endormie et ronflante, Carole agacée par la joie de vivre de son mari lui faisant remarquer son goût pour le klaxon et ramenant son humour simplet aux proportions d'une tartiflette, François allant se laver les mains pour consulter son livre de médecine). Le cœur très terre à terre "J'étais un vieil enfant / Je suis un jeune chien maintenant / ça fait du bien ! / J'ai pas la trouille / ça fait du bien / Jusqu'au fond des couilles") rend bien compte de ces sentiments allègres et primesautiers liés aux premières étreintes amoureuses.

La noirceur du film s'installe après la révélation de l'adultère dans la cave. L'esprit de sérieux de la bourgeoisie revient alors au gallot. Incapable de vivre autrement que dans l'oisiveté, l'alcool et la nostalgie d'un troisième enfant refusé, Carole ramènera tristement son mari à elle alors que François, avec le sérieux d'un jeune médecin renfermé et misanthrope n'aura évidemment d'autre choix que de déménager. La bourgeoise vivra toujours sans aventure. L'aventure amoureuse étant souvent un idéal inaccessible, vécu au mieux comme une parenthèse aboutissant à la réalité d'un monde désolé. "J'ai été le roi du monde / Je ne me souviens plus de rien" énonce le cœur pendant que le vent d'automne balaie un jardin où il ne poussera probablement plus rien de beau.

Bibliographie : Pierre Murat, Télérama n°2808, 5 novembre 2003.