(1894-1968)
6 films
   
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Homme de goût, producteur avisé, réalisateur de six films en quinze ans, Albert Lewin eut une carrière marginale dans le système hollywoodien alors à son apogée.

Né à Brooklyn le 23 septembre 1894, fils d'émigrés juifs travaillant dans la confection, étudiant à New York puis à Harvard, Albert Lewin s'essaie à l'enseignement, a des responsabilités dans une organisation juive d'aide sociale et est même critique de théâtre et de cinéma au "Jewish Tribune", tout en écrivant des poèmes qu'il juge médiocres.

Par relation, il rencontre à New York Samuel Goldwyn, un des futurs fondateurs de la MGM, et devint pour lui lecteur de scénarios. Il le rejoignit à Hollywood en 1923 ; "Tu n'as aucun avenir dans le cinéma : tu es trop cultivé", lui dit alors un de ses supérieurs. Il s'initie aux différents stades de la fabrication des films : script-boy sur La sagesse des trois vieux fous (1923) de King Vidor et Le glaive et la loi (1924) de Victor Sjöström, ou assistant-monteur.

Puis il contacte un ex-condisciple d'université, Arthur Loew, autre futur chef de la MGM, et, grâce à lui, devient scénariste, associé ou à part entière, de films de Victor Schertzinger (Bread, 1924), Frank S. Strayer (The fate of a flirt, 1925), Thomas Buckingham (Ladies of leisure, 1926), Marcel De Sano (Blarnay, 1926), Edward Sedgwick (Tin hats, 1926 ; Le temps des cerises, 1927), Robert Z. Leonard (A Little journey, 1927) et Sidney Franklin (La galante méprise, 1927; L'actrice, 1928).

Lewin est ensuite un des bras droits d'Irving Thalberg, haut responsable de la MGM, supervisant pour lui le scénario ou la production de films de Jacques Feyder (Le baiser, 1929), Sidney Franklin (Lieutenant sans gêne, 1929 ; The guardsman, 1931; Chagrin d'amour, 1932; Visages d'orient, 1937), W.S. Van Dyke (Rumba, 1931), Jack Conway (La belle aux cheveux roux, 1932), Gregory LaCava (What every woman knows, 1934), Tay Garnett (La malle de Singapour, 1935); travaillant à la pré-production des Révoltés du Bounty, 1935, Frank Lloyd) et même de Autant en emporte le vent, repris ensuite par David O. Selznick.

À la mort de Thalberg, il passe deux ans à la Paramount, produisant ou co-produisant True confession (Wesley Ruggles, 1937), Les gars du large (Henry Hathaway, 1938), Zaza (George Cukor, 1939) et So ends our nights (John Cromwell, 1940). Associé à David Loew, frère d'Arthur, il devient producteur indépendant et, par mesure d'économie, réalise lui-même The moon and sixpence

Lewin, collectionneur d'art et ami de nombreux artistes, surtout surréalistes, utilise souvent la peinture, le tableau comme éléments moteurs de ses intrigues. La figure du peintre apparait dès son premier film The moon and Six pence (1942) adaptation d'un roman de Somerset Maugham. Son protagoniste, Strickland (George Sanders) est une création fictionnelle. Cependant au prix de changements de patronymes et de détails il se présente comme inspiré de Paul Gauguin. En effet, Strickland tourne le dos à une vie rangée et stable pour vivre d'abord la bohème du peintre puis l'exil créatif à Tahiti. Les tableaux nous sont cachés jusqu'à la fin, quand il met le feu à ses propres œuvres : nous voyons alors se consumer sous nos yeux en couleurs (le reste du film est en noir et blanc) une série de tableaux qui évoquent les couleurs et les traits de Gauguin.

Dans Le portrait de Dorian Gray (1945), adapté d'Oscar Wilde, le portrait est, dans la diègèse, peint par Basil Hallward, personnage secondaire correspondant au stéréotype du peintre mondain que le protagoniste assassine. Lewin a recours à deux portraits qu'il insère dans son film en en surlignant l'importance de la façon suivante. Presque tous ces inserts sont en couleurs, à l'intérieur d'un film en noir et blanc. Le portrait d'origine est réalisé selon la pratique alors de mise dans le cinéma hollywoodien : un portrait photo du sujet est agrandi et un artiste peintre, employé par le studio, y appose au pinceau des couleurs qui vont, in fine, lui donner l'apparence d'une œuvre figurative sans réelle personnalité. Lewin confie à Albert Albright, peintre américain réputé, proche du mouvement surréaliste, la détérioration du portait. Celui-ci élabore une œuvre personnelle qui va devenir une de ses plus célèbres et que l'on peut voir maintenant à l'Art Institute de Chicago. Lewin filme les différents stades d'avancement de l'œuvre d'Albright et les insère dans son film pour montrer l'évolution du portrait et la perversion du protagoniste.

Ce procédé d'insert d'un tableau en couleurs, Lewin le reprend dans son troisième film Private affaires of Bel-Ami (1947), adaptation de Bel Ami de Maupassant en 1947. Le réalisateur avait organisé un concours sur le thème de La tentation de saint Antoine, auquel participèrent entre autres Salvador Dali et Max Ernst. C'est ce dernier que Lewin choisit. Le tableau que l'on montre à Bel-Ami, peint en 1945, est ainsi "déplacé" dans un contexte XIXe siècle.

Dans Pandora (1951), c'est le personnage masculin central joué par James Mason, incarnation moderne du mythe romantique du Hollandais volant qui s'adonne à la peinture par plaisir, mais aussi pour recréer le souvenir d'une femme aimée (Ava Gardner). Encore une fois deux portraits interviennent : celui que l'on voit James Mason peindre dans un style surréaliste proche de Giorgio de Chirico et une miniature dans le style du XVIe siècle que le héros porte sur lui et qui est en fait une photo d'Ava Gardner par Man Ray, légèrement remaniée pour avoir l'air d'une œuvre peinte.

Ses héros, êtres désabusés, cyniques, élégants, esthètes, sont incarnés par des comédiens aux personnalités proches, George Sanders à trois reprises, Hurd Hatfield, James Mason ou Mel Ferrer. Ses quatre premiers films ont acquis une solide réputation, surtout Pandora, un des plus beaux rôles d'Ava Gardner.

Ses deux derniers films, mineurs, ont été moins diffusés. Saadia est un conte oriental tourné au Maroc où l'on croise même... Michel Simon et Jacques Dufilho ! The living idol, délirante histoire de réincarnation mêlant civilisation aztèque et Mexique d'aujourd'hui, cultive une esthétique très «bande dessinée».

Lewin réduisit ses activités après une attaque cardiaque en 1957, publia un roman en 1967, The Unaltered Cat, et mourut le 9 mai 1968.

FILMOGRAPHIE :

1942 The moon and sixpence
Avec : George Sanders (Charles Strickland), Herbert Marshall (Geoffrey Wolfe), Doris Dudley (Blanche Stroeve). 1h29

Londres, vers la fin du XIXe siècle. Un chroniqueur mondain, Geoffrey Wolfe, fait la connaissance de Charles Strickland et de sa femme Any. Quelque temps après, Madame Strickland informe Wolfe que son mari l'a quittée pour aller vivre à Paris et lui demande d'aller le retrouver pour le convaincre de revenir. Il s'avère alors qu'en réalité, Strickland a décidé d'abandonner sa vie monotone d'agent de change pour se consacrer à sa passion, la peinture…

   
1945 Le portrait de Dorian Gray
(The Picture of Dorian Gray). Avec : George Sanders (Lord Wotton), Hurd Hatfield (Dorian Gray), Donna Reed (Gladys Hallward). 1h50.

Londres, en 1866. Basil Hallward peint le portrait du séduisant Dorian Gray. Ce dernier fait la connaissance de Sybil Vane, une petite chanteuse qui se produit dans un music-hall de seconde catégorie. Il s'éprend d'elle mais cet amour ne résiste pas aux conventions sociales et Dorian rompt par écrit. En rentrant chez lui, il trouve que son portrait a une expression plus dure, presque cruelle. Il décide alors de cacher le portrait et d'épouser Sybil...

   
1947 Bel Ami

(The Private Affairs of Bel Ami). Avec : George Sanders (Georges Duroy), Angela Lansbury (Clotilde de Marelle). 1h52.

En 1880, Georges Duroy, d'origine modeste mais de belle allure, revenu de son service dans l'armée d'Afrique, occupe à Paris un emploi médiocre. Pauvre mais ambitieux, il retrouve un ami, le journaliste Forestier, qui le fait engager à «La Vie Française»...

   
1951 Pandora
(Pandora and the Flying Dutchman) Avec : James Mason (Hendrik van der Zee), Ava Gardner (Pandora Reynolds). 2h02.

Un corps est retrouvé, renvoyé par la mer, sur les rives d'un petit port maritime espagnol, à la fin de l'été 1930. L'oncle Geoffrey raconte... Chanteuse américaine, belle, élégante, adulée de tous, Pandora ne manque pas de soupirants, et se plait à les mettre à l'épreuve...

   
1954 Saadia
Avec : Cornel Wilde (Si Lahssen), Mel Ferrer (Henrik), Rita Gam (Saadia), Michel Simon (Bou Rezza), Cyril Cusack (Khadir), Wanda Rotha (Fatima). 1h22.

Henrik, médecin français installé au Maroc, se dévoue pour les populations locales. Il est l'ami du caïd Si Lahssen. Tous deux sont partisans de la science et du progrès, contre la magie et l'obscurantisme. Dans un village reculé, Henrik soigne et sauve la jolie Saadia, victime de Fatima, redoutable jeteuse de maléfices. Il tombe amoureux d'elle, le caïd aussi, et ce dernier ne dit rien pour éviter la rivalité avec son ami. Une épidémie de peste s'abat sur la région. Le convoi qui apporte du vaccin est pillé par la tribu rebelle de Bou Rezza, qui réclame une rançon pour le restituer. Saadia part seule à cheval, s'introduit dans le camp de Bou Rezza, le tue et rapporte les médicaments. La maladie peut être enrayée. Blessée au cours de son action, la jeune fille vit sa convalescence chez le caïd, qu'elle aime secrètement elle aussi, même si elle admire toujours le docteur et souhaite lui éviter d'être la nouvelle cible de Fatima, la sorcière. Mais les hommes de Bou Rezza, pour le venger, veulent capturer celle qui l'a tué et attaquent les positions du caïd. Celui-ci est blessé et, dans son délire, exprime son amour pour Saadia. Les militaires français interviennent et mettent en déroute les rebelles. Si Lahssen est soigné par Henrik et la jeune femme. Tous ses sujets prient pour son rétablissement. Quand le caïd revient à la vie, son ami Henrik accepte la situation : c'est de loin qu'il observera la fête qui marquera le mariage du chef éclairé et de la jeune fille du peuple.

   
1957 The living idol

Avec : Steve Forrest (Terry Matthews), Liliane Montevecchi (Juanita), James Robertson Justice (Docteur Alfred Stoner), Sara García (Elena), Eduardo Noriega (Manuel). 1h36.

Au cours d'une expédition de fouilles qu'ils effectuent au Mexique, le docteur Alfred Stoner, Terry Matthews et Juanita découvrent une idole représentant un jaguar. Juanita est très troublée. Elle prend peur et fuit. Alfred Stoner rappelle qu'autrefois on sacrifiait les jeunes filles au dieu Jaguar. Juanita avoue son amour à Terry qu'elle aime depuis l'age de huit ans mais Terry doit partir pour la Corée en tant que journaliste. A son retour, Stoner leur fait visiter le zoo et organise une cérémonie sacrificielle en théâtre qui terrorise Juanita. Lorsqu'elle annonce son mariage avec Terry, Stone libère le jaguar du zoo mais se fait tuer par lui. Le jaguar lacère la robe de mariée de Juanita mais est tué par Terry. Leur mariage aura bien lieu.