La grande bouffe

1973

Avec : Marcello Mastroianni (Marcello), Michel Piccoli (Michel), Philippe Noiret (Philippe), Ugo Tognazzi (Ugo), Andréa Ferréol (Andrea), Solange Blondeau (Danielle), Florence Giorgetti (Anne), Michèle Alexandre (Nicole), Monique Chaumette (Madeleine), Henri Piccoli (Hector), Louis Navarre (Braguti), Bernard Menez (Pierre), Cordelia Piccoli (Barbara). 2h10.

Dans une rue de Paris, Ugo sort de son magasin, Le biscuit à soupe, pour gagner le restaurant mitoyen dont il est le propriétaire et le chef cuisinier. Madeleine, sa femme, n'apprécie pas qu'il s'en aille pour un week-end gastronomique avec des amis. Michel est le présentateur d'une émission de télévision à succès. Il a enregistré suffisamment d'émissions à l'avance pour prendre des vacances. Il laisse à sa fille, Barbara, les clés de son appartement. Marcello est pilote de ligne qui n'hésite pas à demander à ses hôtesses de l'air de porter ses bagages. Philippe est un juge que vient réveiller Nicole, sa gouvernante, son ex-nourrice qui n'a cessé d'entretenir avec lui un lien érotique. Elle lui fait une scène car elle ne croit pas à son départ pour un congrès juridique à Londres et s'inquiète de la procuration qu'il lui a donnée sur ses comptes. Elle se "sacrifie" en le masturbant pour qu'il n'aille pas chez les filles.

Philippe conduit ses trois amis, Ugo, Michel et Marcello dans l'hôtel particulier du XVIe arrondissement que son père avait acheté après la guerre de 14 à un ingénieur chimiste polonais pour sa mère qui refusa toujours d'y habiter le trouvant trop frivole. Y habite le vieil Hector qui lui signale qu'un monsieur de l'ambassade de Chine est venu lui apporter un cadeau. Marcello caresse les fesses de la statue de marbre du jardin, Michel frappe à coups de gants une petite statue d'intérieur, Ugo investit la cuisine pendant que Philippe discute avec l'ambassadeur venu lui apporter une Lanterne rouge, personnage de l'opéra populaire du même nom. Il est venu dans l'espoir d'acheter la maison, ce que Philippe refuse. Marcello a découvert la chambre chinoise et décidé de s'y installer.

Les livreurs viennent apporter la nourriture : un cochon sanglier, deux chevreuils, pintades, des coquelets des Ardennes, deux douzaines de poulets de Bresse, bœuf, morue, cinq agneaux de prés-salés et légumes. Marcello découvre une Bugatti dans le garage. Michel déclame Hamlet avec une tête de veau à la place d'un crâne. Le soir Philippe renvoie le vieil Hector avec ordre de ne rien dire à Nicole. Lors du repas du soir, où sont servis de nombreux coquillages, Philippe projette sa collection des diapositives de photos érotiques et Marcello distribue ses propres photos érotiques de ses jeunes conquêtes.

Le samedi matin, Ugo vient réveiller Philippe à six heures pour préparer le petit déjeuner. Marcello n'a pas dormi et fait part à Michel, qui fait des exercices de danse à la barre, de son envie irrépressible de baiser. Ugo et Philippe, réticents, acceptent leur proposition d'inviter des prostituées lors de la collation de onze heures. Michel a accepté la demande d'un jeune élève de l'école voisine, faite au nom de son institutrice pour visiter le jardin. L'institutrice montre aux élèves le tilleul de Boileau. Pendant qu'elle parle poésie à certain d'entre eux, Michel les initie à la pèche, Marcello à la mécanique de la Bugatti, Ugo à la cuisine. Andréa se laisse tenter par le chocolat puis les rognons à la bordelaise présentés par Philippe et Ugo l'invite pour la soirée. Viendra-t-elle s'inquiète Philippe, apeuré de la venue concomitante des filles ? Quand Andréa s'annonce, Philippe craint qu'elle soit scandalisée et préfère partir. Il en est empêché par Andréa qui le charme et se montre très tolérante vis à vis de la compagnie féminine qu'on lui impose.

Marcello amène le bouquet de cailles et de coquelets. "L'idéal se serait de manger comme ça indéfiniment, qu'est-ce que tu en penses ?" Demande Philippe à Andréa Bien sûr, ce serait magnifique. Ugo s'est fait la tête de Marlon Brando. Marcello, baise Danielle la rousse puis Anne, la blonde platine, dans le garage pendant qu'Annie s'accroche à Ugo. Michel sort péter dehors. Andréa accepte de recoudre les boutons de braguette de Philippe, elle lui fait une fellation et Philippe la demande en mariage. Ce qu'il annonce à ses amis qui en profitent pour massacrer le gâteau.

Le dimanche matin, alors qu'Ugo fait rôtir le cochon devant l'assemblée, Danielle s'en va, se plaignant d'avoir vomi toute la nuit. C'est l'heure de la pizza provençale. "Vous êtes grotesques, grotesques et dégoûtants, pourquoi vous mangez si vous n'avez pas faim? C'est pas possible, c'est pas de la faim" proteste Anne. Andréa vient chercher Marcello qui baise Annie dans la Bugatti. Michel est malade. Marcello le fait péter pour le soulager de l'aérophagie qui lui gonfle le ventre pendant qu'Ugo emmène la purée médicale "pour absorber l'air".

Anne et Annie s'en vont, pressentant l'envie suicidaire des quatre hommes. Andrea décide de rester.

Ugo diagnostique le diabète de Philippe. Les plats de pâtes se succèdent puis les crêpes. Michelle frissonne, les rougeurs gagnent Ugo et Marcello. Andrea "viole" Michel qui péte et défèque. Marcello s'enferme au garage.

Le lundi matin, Andrea et Philipp exécutent les dindons. Marcello a réparé la Bugatti. Michel se félicite de leur nouvelle vie communautaire. Marcello vient chercher Andrea dans le lit et lui fait essayer la voiture. Il l'oblige à faire l'amour près de la statue de marbre devant Michel, Ugo et Philipe. Celui-ci accepte une nouvelle fois ce don de soi d'Andréa et ramène tout le monde à table. Ugo et Philippe mangent purée et poulet pendant que Marcello emmène Andrea dans la chambre. Ugo et Philippe sont passés à la purée de marron et la compote de pommes. Marcello s'exaspère de ne pouvoir faire l'amour. La dispute dégénère. Marcello casse les toilettes, la merde se répand. Il neige. Marcello s'en va avec la Bugatti

Mardi matin, Michel débarrasse le dîner de la veille. Il découvre Marcello mort de froid. On ramène son cadavre à l'intérieur. Michel esquisse quelques mouvements de danse. Ugo crée "la tarte Andréa" en assaillant le postérieur de celle-ci sur la tarte. Michel s'habille en Marcello et pète à n'en plus finir en jouant du piano. Il s'écroule, mort dans sa merde liquéfiée.

Pâté de volailles, porto sur pâté de canard, champagne sur pâté d'oie avec autour, des oeufs (symboles de la mort selon les juifs) sont destinés au repas du soir. Celui-ci est pris devant Marcello et Michel, maintenus debouts dans la chambre froide. Le soir, les chiens aboient. Ugo termine le pâté, masturbé par Andréa et goinfré par Philippe.

Mercredi matin devant le tilleul, vêtu en Marcello et Michel avec le chien Ugo, Philippe déguste les laitages en forme de seins apportés par Andréa. Les livreurs emmènent la viande. Andrea la leur fait mettre dans le jardin. Philippe meurt. Andréa regagne la maison.

Grand film naturaliste, La grande bouffe met à nu les petits plaisirs bourgeois hyper-valorisés, le sexe et la bouffe, pour en révéler toute leur puissance de mort. Le film dévoile que, sous la vanité de nos plaisirs les plus raffinés, ne se cache rien d'autre qu'une pulsion de mort. Ca n'a pas de sens rationnel, juste la vision des puissances des mondes originaires que nous faisons semblant d'ignorer dans nos mondes dérivés, les mondes sociaux qui se succèdent les uns aux autres.

L'hôtel particulier du 16e arrondissement où se déroule le film devient origine et fin du monde. Il communique avec les milieux dérivés pour en choisir ses proies (la nourriture, les prostitués). La pulsion moins qu'arracher, déchirer ou désarticuler emplit les corps jusqu'à l'explosion (La purée : tu es un petit indien de Bombay tu as très faim, alors tu manges... La merde : c'est la catastrophe, c'est l'horreur, c'est l'immondice, c'est épouvantable, c'est monstrueux). La perversion n'est pas une déviation mais une dérivation, expression de la pulsion dans le milieu dérivé. Elle s'empare de tout ce qu'elle peut pour le ramener au monde originaire alors que les personnages sont fatigués de rester à la surface des mondes dérivés (Ca doit être épatant de faire régner la justice. Il s'agit surtout d'appliquer la loi, c'est souvent une chose différente.).

Les fétiches (couteaux, gants de caoutchouc oranges), les phrases répétées (Hector : ça, c'est de la bonne viande), l'infantilisme de Philippe (Heureusement qu'il a trouvé une petite fée du logis le pauvre petit poussin.), le vernis culturel de Michel (déclame Hamlet avec une tête de veau à la place d'un crâne, joue du piano), de Ugo (se fait la tête de Marlon Brando); tout cela, comme le dit Michel, est vanité  : "Vouloir être Marlon Brando est une vanité... En dehors de la bouffe tout est épiphénomène".

Plats élaborés par Fauchon avec, pour conseiller gastronomique Guiseppe Maffioli, assisté de Jacques Quelennec.