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A Lyon, Pierre et Claude se préparent à sortir dans une soirée mondaine. Pour distraire sa femme, Pierre lui raconte une histoire juive à conotation fantastique.
Mathias Vogler, pianiste, rentre en France après un long exil au Japon où il jouait dans un orchestre. Dans l'avion, il annote ses partitions. A peine arrivé, il se rend dans une soirée à l'invitation de la mentore de sa jeunesse, Elena, qui souhaite qu’il donne une série de concerts au piano à ses côtés à l’Auditorium de Lyon où elle est une célébrité. Alors quelques mots amicaux échangés, Pierre s'en va tôt pour se préparer aux répétitions du lendemain. Au pied de l'ascenseur, il croise Claude, interloquée qui le fuit. Il s'évanouit. Claude rejoint son mari qui garait leur voiture et ils décident de rentrer chez eux. Mathias, à peine remis de son évanouissement, achète de l'alcool et se saoule copieusement.
Le lendemain, il est réveillé par Max, son manager venu le tirer de sa cellule après qu'il eut insulté des policiers et s'être battu avec eux la veille. Avec une autorité bienveillante, Max prie Mathias de rentrer chez lui s'habiller et venir aux répétitions à l'auditorium pour 14 heures précises. En rentrant, Mathias croise le regard d'un enfant perché au sommet d'une araignée d'escalade. L'enfant en tombe soudainement et une femme, criant son prénom, Simon, se précipite vers lui. Elle constate qu'il n'a que des égratignures. Fasciné par l'enfant, Mathias le suit et le filme dans une pharmacie où il s'est arrêté pour acheter des pansements pour soigner ses écorchures. Mathias rentre alors chez sa mère, Anna, si contente de le voir revenir du Japon. Mathias demande à voir des photos de son enfance et se reconnait à huit ans comme l'enfant qu'il vient de suivre
Mathias arrive en retard à sa répétition et Elena voit immédiatement qu'il relève d'une gueule de bois même si la séance de travail se poursuit jusqu'à son terme. Ils marchent ensuite ensemble évoquant leur passée puis Elena repart avec la jeune admiratrice avec laquelle elle vit.
Mathias se rend au parc et retrouve l'enfant qui l'a repéré et lui jette des pierres. La femme qui le garde demande à Mathias de partir mais il les suit dans le métro puisque jusque chez lui où il entend la femme qui l'accompagnait le laisser à la garde de ses parents. Mathias reste quelque temps à observer les noms des occupants de l'immeuble et voit surgir Pierre, son meilleur ami d'autrefois, qui partait faire un jogging. Trop heureux de le retrouver, Pierre demande à Mathias de monter chez lui discuter avec Claude. Mathias refuse, prétextant devoir rentrer pour son concert du soir....
Une nouvelle fois, Desplechin reprend le thème de renaître à soi-même quand on a connu une blessure de l'âme. Cette fois, il n'a pas recours aux arcanes de la psychanalyse et assez peu aux histoires de famille (aucun personnage se nomme Dédalus ou Vuillard). C'est sa thématique principale qui en donne une nouvelle fois la solution après quelques circonvolutions : l'art s'impose à la vie, lui donne une forme.
Blessure de l'âme
Mathias revient docilement à Lyon dès que Elena, sa mentore, le rappelle de son exil au Japon où il avait gâché son talent. Il avait renoncé à être soliste pour accepter un poste de pianiste d'orchestre et d'enseignant. Sa mère lui rappelle qu'enfant, il avait abandonné le violon car se sachant incapable d'être parmi les cinq grands solistes par génération, alors qu'il ambitionnait d’en faire partie pour le piano. Alors, qu'elle est la cause de cet exil de huit ans ? La réponse, on le pressent dès son évanouissement à la vue de Claude, que l'on sait mariée à Pierre, est un échec amoureux. Il faudra toutefois attendre la discussion avec Judith pour comprendre que Claude a joué sa vie à pile ou face avec ses deux amants lorsqu'elle ne savait pas de lequel des deux elle était enceinte. Pierre a gagné parce qu'il s'est occupé d'elle, s'est ancré dans le marché de l'art pour monter une galerie, lui a permis de reprendre ses études en suivant les cours de l'école du Louvre où elle est devenue spécialiste de Giuseppe De Nittis. Mathias, plus passionné, a perdu : ses pleurs et ses relances ont effrayé Claude... et puis elle ne connaît rien à la musique.
Le retour de Mathias à Lyon rouvre la blessure et, encore une fois, la musique passe au second plan. Mathias passe son temps à se saouler pour anesthésier la blessure. Le coup de force du scénario, la mort de Pierre, offre la possibilité de savoir sans détours vaudevillesques si la blessure du rejet peut être guérie et à quel prix pour chacun des deux anciens amants.
De la filiation à la transmission
Simon, le fils de Pierre et biologique de Mathias, joue un rôle pivot. Desplechin déjoue là encore la piste classique : Simon sait par la confidence de son père que Mathias est son père biologique. Desplechin, comme pour la mort soudaine de Pierre, et dans la droite ligne de l'histoire juive racontée au début, ose une piste à la limite du fantastique : Simon est le double de Mathias et ce qui le préoccupe est moins sa filiation avec lui que la possibilité de lui éviter la chute dont il a été victime. Plastiquement, l'évanouissement de Mathias se prolonge par la chute de Simon du haut de l'araignée de cordes. Si la première est liée au trouble amoureux, avec pour modèle la chute de Fanny Ardant dans La femme d'à côté, la seconde renvoie à celles nombreuses chez Desplechin ainsi de Henri (Mathieu Amalric) dans Un conte de Noël. C'est bien pourtant de Ismaël, qui refuse d'être le parrain d'Elias dans Rois et reine, qu'est proche Mathias. Il n'est nul besoin à l'enfant d'avoir un père de substitution ou un parrain quand sa mère peut assumer sa liberté et guider seule l'enfant. Ici le seul rôle de Mathias par rapport à l'enfant est de lui suggérer par son exemple l'étude du piano s'il s'avère qu'il n'est probablement que bon au violon. Ayant ainsi retrouvé les fondamentaux d'une vie guidée par l'exigence artistique, Mathias laisse à leur destin Simon et Claude.
Jean-Luc Lacuve, le 18 octobre 2025