Les habitants

2016

Avec : Les habitants de Charleville-Mézières, Nice, Sète, Cherbourg... 1h23.

Off, Depardon explique : "Du Nord au Sud, de Charleville-Mézières à Nice, de Sète à Cherbourg, je pars à la rencontre des français pour les écouter parler. J'ai aménagé une vieille caravane et j'invite des gens rencontrés dans la rue quelques minutes auparavant à poursuivre leur conversation devant nous, en toute liberté"

Bar-le-Duc. Un couple de retraités est content de leur ville qui possède en local, ses Champs-Élysées et sa place de la Concorde. Un couple bien plus jeune va avoir un enfant : fille ou garçon elle portera des vêtements de marque exige la jeune femme alors que son compagnon est un peu plus réticent.

Charleville-Mézières. Un homme de 80 ans fait part à son fils du sentiment de solitude qui l'étreint maintenant. Personne ne l'attend quand il rentre. Une jeune femme travaille dans un bar de nuit pour élever ses deux enfants. Elle confie à celle qui partagea la même famille d'accueil qu'elle n'a même plus la considération de ses parents adoptifs

Fréjus. Fatima ne sait trop si elle doit s'engager avec son amant qui, lui, refuse de le faire. Il est temps de rechercher un homme plus sérieux lui conseille son amie. Fatima a déjà subit les coups de son ex-mari dont elle a heureusement aujourd'hui réussi à divorcer.

Nice, deux retraitées sont aux anges vis à vis de tout ce que la ville leur offre. Une mère aimerait que son fils se marie et s'installe dans une situation moins précaire. Le fils tient à rester à Paris

Sète : Une femme dit espionner son mari draguant sur facebook. Elle se plaint d'être devenue une esclave domestique sans considération. Elle conclut qu'il n'y a pas de prince charmant comme dans les histoires à l'eau de rose.

Bayonne, deux commerciaux discutent entre eux. L'un veut rompre avec sa copine si elle garde l'enfant dont elle est enceinte. Elle n'a pas le permis et ne sera pas autonome se plaint le commercial. Mère et fils discutent. La première a peur d'une plongée irresponsable de son fils vers un commerce dangereux.
Tarbes. Deux jeunes passent le bac, l'un veut être commercial et l'autre pense qu'il va faire fortune s'il devient psy.

Une désamienteuse de Saint-Nazaire est heureuse de tenir la ponceuse mieux qu'un homme. Elle gagne quatre fois plus que sa sœur, bac+2 qui travaille comme assistante sociale pour 1 100 euros. Son amie a des problèmes avec son ex qui ne lui verse que parcimonieusement et après réclamation la moitié de ce qu'elle dépense pour son fils.

Morlaix. Un voyant et une femme qui veut dormir toute seule ont du mal à s'entendre

Villeneuve saint Georges en banlieue parisienne, situation terrible de deux femmes de ménage. Deux amoureux se promettent le mariage et la robe blanche pour la jeune femme avant la naissance de leur enfant.

Depardon explique sa méthode dans le prologue. Il s'est aussi fixé comme ligne de conduite de ne pas poser de question mais de filmer toujours deux personnes qui ont commencé une conversation. Il leur demande de la continuer face à la caméra.

Un dispositif modeste

Le dispositif est modeste : une caravane comme on en faisait il y a cinquante ans, très différente des luxueux vans du show-biz. Depardon explique, lors de ses présentations dans les salles, que c'est une caravane de collection, de plus de 50 ans, qu'il a du acheter pour ne pas passer aux mines après modification. Elle lui a couté 5000 euros mais était en parfait état, sans verres teintés où gonflés. A l'intérieur, deux tabourets que l'on monte et que l'on descend pour l'ajuster à la taille des interlocuteurs qui discutent autour de la petite table.

C'est une spécialiste du casting qui recrute les 4 à 5 couples de volontaires par jour et leur demande de couper leur téléphone portable. Les deux interlocuteurs sont filmés de profil si bien que chacun ne voit que son interlocuteur et n'est pas face à un anonyme qui le questionne. Pour Depardon, on ne triche pas avec la personne en face de soi et on a parfois la chance d'être relancée par elle. Pour le réalisateur et sa preneuse de son, caché derrière un rideau pendant la conversation, il suffit de ne pas trop bouger et espérer que leur façon d'aimer les gens les mettra à l'aise et qu'ils oublieront l'œilleton de la caméra dépassant du rideau

Filmage rare et coûteux en pellicule 35 mm qui, selon Depardon, donne une apparence moins dure à la peau que les caméras numériques. A raison de huit minutes de pellicule dans le chargeur et deux fois 90 personnes interrogées, Depardon obtient 45 heures de rushes, rapidement réduits à 3 heures, puis à 1h23 grâce au travail de la monteuse, nécessairement une femme pour ce sujet, et Claudine Nougaret. Le film comporte 63 plans dont 50 plans consacrés aux 26 couples retenus. Le jump cup est assumé lorsque plusieurs plans sont consacrés au même couple. Il y a 11 minutes de plages musicales sur des plans de caravane pour "dégager l'écoute", mieux écouter ce qui vient après. Les villes ne sont pas nommées pour un témoignage plus universel... et éviter la guerre des régions que les Français se livrent entre eux.

Saisir l'intimité plus que les idées

Le film est une réaction face aux attentas de Charlie Hebdo pour saisir les paroles des français avant le grand bazar qui s'annonce de la compagne électorale pour la présidentielle. Il ne s'agit pas d'obtenir un échantillon représentatif par classes d'âge et catégories socioprofessionnelles mais d'écouter la parole de gens dans la rue, celle des gens des villes moyennes qui s'expriment peu et, au sein de ceux- ci, ceux qui ont le temps de parler sans avoir un rendez-vous comme trop souvent dans les grandes villes. La vie privée nous renseigne sur la vie de nos concitoyens souvent bien davantage que leurs idées sur la société. Une pensée doit être assez personnelle pour être universelle et acquérir de la beauté par sa sincérité.

Ceux qui s'expriment ont, par définition, quelque chose à dire, d'où une surprésentation de la colère, des problèmes de divorces et de garde d'enfants. Du coup, l'école est bien moins présente comme institution que la justice.

Jean-Luc Lacuve le 27/04/2015