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Aurora, jeune femme jolie et effacée, arpente les allées d’un entrepôt avec son appareil à scanner les codes-barres lui permettant de trouver les objets à mettre dans la caisse de son chariot. Elle est picker ou préparatrice de commandes d'une entreprise aux immenses hangars en périphérie d'Edimbourg chargée de livrer des marchandises aux quatre coins de la planète.
Aurora est une immigrée portugaise. Elle ne parle presque pas sur son lieu de travail tant chacun a les yeux rivés sur son téléphone. Pire, elle doit subir la conversation d'un manager amical mais moins surchargé qu'elle ou celle d'un autre qui la convoque pour recevoir la barre chocolatée de l'employée de la semaine. Elle a toutefois une collègue portugaise qui la covoiture tous les jours.
Dans une vie de peu de mots, Aurora échange toutefois quelques mots à la cantine avec un ouvrier dont elle apprend le lendemain qu'il s'est suicidé. Un nouveau colocataire, Chris, qui conduit un van, se montre prévenant et l'invite avec des amis dans un bar mais ne souhaite pas entamer une liaison avec elle.
Un jour, c'est le drame, Aurora laisse tomber son téléphone qui ne fonctionne plus. Le réparer lui coûte 100 livres ce qui assèche son compte et l'empêche d'acheter quoi que ce soit, nourriture, shampoing, électricité.
Chapardant quelque nourriture dans sa colocation, ou sur le buffet prévu pour une fête d'entreprise, elle se fait une joie d'aller à un entretien d'embauche pour être aide à domicile. Devant son interlocutrice, enjouée et aimable, elle ne parvient pas à énoncer une suite logique de mots. Le soir, un gardien la retrouve allongée dans un parc qu'elle parvient toutefois à quitter. Le lendemain, l'usine connaît une panne; en attendant la reprise, on joue dans les couloirs
Le premier plan, l'interminable couloir qu'empruntent les employées anonymes, rappelle le début de Métropolis. La répétition des gestes de la préparatrice de commandes dans les allées de l'entrepôt, toutes les mêmes ; les lieux limités dont la cuisine de la colocation ou la voiture des trajets quotidiens, vus souvent sous les mêmes angles, les plongées de regard vers les téléphones pourraient évoquer Jeanne Dielman. En deça de ces références écrasantes, on est bien davantage dans un film à la Ken Loach, coproducteur de ce film anglais, en plus sec et tout aussi désespérant : seule la panne qui affecte l'usine à la fin semble offrir un espace amical pour des vies en sursis.
Enfermée dans son téléphone, dans des conversations sans approfondissement, la vie semble s'être échappée d'Aurora. L'entretien d'embauche révèle à quel point sa vie est vide; elle n'a plus qu'à s'écrouler dans le parc.
Jean-Luc Lacuve, le 6 novembre 2025