Les ombres

1981

Téléfilm. Avec : Jacques Serres (Pierre, le père), Dominique Verde (Christine, la mère), Nathalie Brevet (Nathalie), Lucien Plazanet (Lucien), Eric Lecomte (Franck). 1h03.

Drolatique désespérance d'un prolo que sa femme quitte peu à peu (pour se réfugier dans l'Art, le rêve, la folie peut-être) et les problèmes qui surgissent au jour le jour : trouver de l'argent, faire les commissions (elle dépense tout !), faire à manger, laver le linge , etc.... Toutes trivialités qui sont dédaignées par le fils (tout à son walkman, ses canettes de bière, gras comme un cochon, fuyant, il est à mourir de rire), et menées de main de maître par la fille.

Il est très beau, le téléfilm de Jean-Claude Brisseau (I. N.A. Prod.). d'une espèce qui manque cruellement, c'est-à-dire : drôle, tonique, modeste, toujours intelligent, il a quelque chose de imide, malgré l'assurance d'être contemporain (je veux dire l'assurance d'être d'aujourd'hui) qui le traverse tout du long. Les quelques vérités qu'il a à dire, bien senties, ne conduisent jamais à la lourdeur mammouthique du paysage, pas plus qu'à la mièvrerie sur-travaillée de style.

Une bonne part du film repose sur le personnage de la fille - Un sacré personnage, c'est le moins que l'on puisse dire. C'est cette petite bonne femme qui juge, discerne, conduit les affaires : curieux et attachant mélange de lucidité, maladresse enfantine, douceur, rudesse. Là est tout le talent de Brisseau : réussir à capter quasi documentairement les étincelles d'intelligence, de vie, qui font tout le charme de cette fillette au corps lourd, un être en pleine mutation, que la caméra attrape au vole et réinjecte à la fiction, pour la plus grande épaisseur de celle-ci.

Bien qu'on ne puisse pas dire que le personnage de la mère soit aussi réussi - il est même complètement raté et comme à côté du film - Les ombres parvient à laisser une impression très particulière, prenante, durable. Si Briseau fait penser à un autre cinéaste -encore qu'il soit trsè original - c'est au Comencini du Scopone Scientifico. Brillance en moins, gaucherie en plus. Ce qui donne un mélange très excitant, un ton neuf à la télé, et qui passe formidablement.

Louis Skorecki, Cahiers du cinéma n°336, mai 1982 (p.IX)