L'Île au trésor

2018

Avec : Joelson et son petit frère Michael ; Jérémy, l’Adonis blond des pédalos et Lisa; Nicolas et Fabien, le directeur et son adjoint ; Patrick, professeur à la retraite ; Bayo, le veilleur de nuit ; Reda et Emma ; les familles philippines et afghanes. 1h37.

Le film s'ouvre sur une citation de Stevenson : "Je ne sais pas s'il y a un trésor, mais je gage ma perruque qu'il y a de la fièvre ici"

Cinq garçons de 11 à 15 ans plaident auprès des agents de sécurité pour qu'ils les laissent entrer dans le parc. En vain, ils n'ont ni adulte accompagnateur ni carte d'identité. A peine refoulés, les cinq gamins décident de resquiller. Ils franchissent à la nage la rivière qui entoure le parc et parviennent jusqu'à "La plage". Leur joie est de courte durée; les caméras de surveillance les ont repérés et de nouveaux gardiens viennent leur expliquer qu'il n'est pas possible de les garder et les reconduisent à la grille. L'un deux essaie bien d'incriminer le racisme dans ce refoulement. "Mais non lui dit son camarade gardiens et jeunes ont la même couleur de peau".

A l'intérieur de la base de loisir, la plage grouille de monde, des jeunes sautent du pont dans la rivière bien que ce soit interdit. Dans le bureau du directeur, on est inquiet des jours de canicule annoncés. Un ressenti de 34 est attendu pour les jours à venir. Nicolas et Fabien , le directeur et son adjoint décident de passer une fiche alerte canicule.

Une fillette fait le tour du parc en petit train avec le conducteur qui raconte as vie.

Trois adolescents tentent de draguer la jeune caissière pour avoir une réduction alors qu'il est 17h30. En vain.

Deux dragueurs tentent d'obtenir le "snap" de deux jeunes filles qui refusent finalement. Les deux garçons ne se découragent pas et tentent leur chance auprès d'une maitre-nageuse.

La journée se termine, les grilles se ferment.

Un autre jour, une maman et sa fillette viennent à la base de loisir de bonne heure. En marchant, elles discutent du futur métier de la petite. Le parc n'ouvre qu'à midi. La maman et sa fille jouent avec un chat en attendant l'heure.

Patrick, 72 ans, professeur à la retraite, évoque ses sorties pédagogiques avec ses élèves et surtout sa rencontre troublante avec une jeune fille de 20 ans lors de vacances en Croatie. Joelson tente d'amuser son petit frère, Michael, avec des jets de pierre dans l'eau des questions sur les noms de couleur en anglais. Tard le soir, les enfants d'une famille philippine jouent à la balle au prisonnier.

Dans une partie déserte du parc, un quinquagénaire russe nourrit des cygnes et nage au milieu d'eux. Des agents de sécurité en bateau à moteur tentent de dissuader les touristes de se baigner autre part que sur la plage : seuls les pieds dans l'eau sont autorisés.

Lisa est venue faire un tour de pédalo avec sa copine; Jérémy, l’Adonis blond des pédalos, invite les deux filles pour 19h30, une fois le parc fermé. Elles attendent un peu mais Lisa accepte de grimper avec Jeremy sur le pylône et saute, pour la première fois de sa vie, de 10 mètres de haut, main dans la main avec le beau jeune homme. Le soir, garçons et filles repartent finir la soirée. Ils grimpent dans le coffre ouvert d'une voiture qui traîne aussi deux garçons en trottinette.

Reda regarde partir la jeune Emma, qui vient de lui donner son snap. Il y a de l’amour dans ses yeux et dans ses mots. Il en discute avec ses copains : il veut avoir des enfants avec elle. Pour la séduire, il demande à ses copains de le photographier faire du "flyboard" : tenir un équilibre impossible sur un tuyau d'eau sous pression. Même casqué et harnaché pour les chutes dans l'eau, Reda a du mal à reprendre son souffle .

Une famille afghane s'est installée sur l'aire des barbecues. Le père raconte qu'il s'en est fallu de quelques secondes qu'il ne soit exécuté par des djihadistes afghan. Il a fui ensuite en France avec sa famille. A Montauban d'abord où ils ignoraient tout du français puis en région parisienne. La beauté du parc leur rappelle un peu leur pays.

Michael et Joëlson découvrent une nouvel espace de la base de loisir puis s’arrêtent devant le grand panneau des interdictions et les énumèrent une à une, avec leur innocence d’enfants.

L'île au trésor est un documentaire et non un reportage : il dépasse son cadre sociologique (la base de loisir et ses activités et ses publics) pour saisir cette volonté d'être heureux un jour d'été. Ce désir est vécu au premier degré pour les enfants, avec un plus net sentiment du temps qui passe pour les adultes et avec grâce par l'adolescence.

D'un jour à l'autre

La musique de Yongjin Jeong, compositeur attitré de Hong Sang-soo, est à la fois joyeuse et mélancolique. Elle accompagne une jeunesse en train de se vivre ou de se finir. D'un compositeur étranger, elle est en adéquation avec la dimension universelle du lieu où se croisent des familles philippines et afghanes et un veilleur de nuit africain. La musique relie le passage du jour à la nuit, la mort d’une journée d’été et la naissance d’une autre, un groupe de personnages à un autre. La mélancolie du film tient à cette idée que les choses ont nécessairement une fin ; que la jeunesse ne dure pas éternellement; qu’une journée d’été est déjà presque terminée à peine après avoir commencé. C’est un sentiment d’adulte, les enfants n’en ont heureusement pas conscience, ce qui rend leur vitalité d’autant plus précieuse.

Bonheur de l'insoumission

L’Île au trésor de Stevenson, parue en 1883, est à la fois une quête, un récit d’apprentissage et l’histoire d’une mutinerie, d’un défi lancé à l’autorité. Le rapport à l’enfance se double ici aussi d'une correspondance plus souterraine avec la liberté, l’insoumission et la transgression, omniprésentes jusqu’au récit de Bayo, le veilleur de nuit, qui raconte ce cri de révolte, cette parole libre et insolente qui lui a coûté si cher. A la fin, Michael et Joëlson s’arrêtent devant le grand panneau des interdictions et les énumèrent une à une, avec leur innocence d’enfants, les tournant en dérision sans s’en apercevoir.

Jean-Luc Lacuve, le 4 juillet 2018