Le pornographe

2001

Avec : Jean-Pierre Léaud (Jacques), Jérémie Rénier (Joseph), Dominique Blanc (Jeanne), Thibault de Montalembert (Richard), André Marcon (Louis), Alice Houri (Monika), Ovidie (Jenny), Catherine Mouchet (Olivia Rochet), Laurent Lucas (Carles). 1h48.

Une salle de cinéma porno puis un homme qui rame sur la rivière d'une propriété verdoyante. La voix d'une journaliste nous apprend que Jacques Laurent, né en 1950 à Lyon, est un pornographe. Il a réalisé une quarantaine de films pornographiques qui ont connu leur heure de gloire dans les années soixante-dix. Il s'est arrêté en 1984. Le dernier projet de Jacques était L'animal. Le sujet du film était une immense chasse à courre dans laquelle l'animal était remplacé par une jeune fille. La fin du film devait être une série de séquences très brèves, violentes et dynamiques à la limite de l'abstraction.

Aujourd'hui, Jacques Laurent, vieillissant et quelque peu névrosé est invité avec sa femme Jeanne dans la belle demeure de Louis et de sa femme, leurs amis. Il rentre à Paris et, suite à des problèmes financiers, il reprend son activité de pornographe. Son producteur, Richard, le paie 12 000 francs pour quatre jours de tournage. Jacques propose sans succès de commencer par une séquence de masturbation masculine pour faire monter la tension. Le tournage est réduit à trois jours mais Jacques bénéfice de l'admiration de l'équipe qui aime ses anciens films tels Perverses niçoises ou L'hôtel des petites filles. Jacques remercie mais est septique sur le fait que le porno constitue un genre.

En rentrant chez lui, Jeanne lui apprend que Joseph, le fils qu'il a eu d'un premier mariage demande à le revoir. Celui-ci cohabite avec deux étudiants. Après une première entrevue, le père et le fils décident de se revoir le lendemain. Joseph reproche à son père le pseudonyme transparent de Laurent Jacquet et de n'avoir pas su lui dire qu'il faisait des films hors norme. Jacques fait valoir que sa mère étant morte alors qu'il avait cinq ans, il n'avait pas su lui dire et, qu'ensuite, chaque année, il repoussait le moment de dire la vérité. Joseph aime la jeune Monika comme Jean de Dieu aime les jeunes filles dans La comédie de Dieu quil voit au cinéma.

C'est le 30 juin et, en A. G., les étudiants repoussent l'idée qu'ils seraient les acteurs de la faillite générale de la société. La question est sans doute toujours la même. Est-ce que je suis assez bien pour être aimé ? Est-ce que je suis assez bien pour la société m'aime ? Puisque la protestation ne semble plus venir que de petits groupes autonomes très violents, que l'appel à la science semble vain, alors, comme Joseph en a l'idée, se taire est l'ultime protestation.

Père et fils se retrouvent le soir devant Beaubourg qu'ils aiment tous les deux. "Tu ne m'as jamais obéi. Tu ne m'a jamais désobéi non plus" ; "L'obscénité ne veux pas dire bassesse". Le soir une Journaliste cherche à joindre Jacques. Joseph tente en vain de séduire Monika. Jacques s'en va tourner un porno-western dans une carrière en Auvergne.

Georges, le colocataire de Joseph, et d'autres étudiants distribuent des tracts au métro François-Xavier :

Nous vivons une époque sans fête et nous y avons contribué. Il faut réfléchir longtemps et alors prendre des décisions radicales et sans appel. Comment pouvons-nous répondre au gouvernement puisqu'il ne s'adresse pas à nous mais à une idée qu'il a de nous ?
Devant le manque de propositions, il faut créer une vraie menace. Créer un groupe d'intervention. Les symptômes d'une nouvelle guerre mondiale sont là mais nous savons qu'elle ne peut exister comme les deux précédentes. Elle sera donc remplacée dans les prochaines années par des guerres civiles au sein de chaque pays conscient. Donc seule l'idée de la guerre civile peut être maintenant raisonnable. Et cette guerre se fera avec les armes du possible.
Nous utiliserons les mots d'une manière radicale. Nous avons décidé de rester imprenables.
Plus de grèves, plus de manifestations, plus de contre-propositions, mais plus d'acceptations non plus. Seulement le silence comme ultime contestation.
Taisons-nous.

Joseph renonce au silence quand Monika vient le chercher. Le lendemain, il lui demande de l'épouser. Il quitte ses amis et se moque de leur nouvelle intransigeance.

Jaques se sépare de Jeanne et se rend chez Louis où il se met en tête de construire une maison. De son appartement où il écrit, il pense à une brasserie, rue d'Alésia. Oliva Rochet, la journaliste le rappelle. Cherche à revoir son fils. Reprend un film porno avec Julie et Carles qui lui donnent envie de mener à bien son ancien projet, L'Animal. Il fait le plan de sa maison. Jeanne revient le voir sans succès.

Joseph et Monika en scooter parcourent les chemins du sud. Jacques suit une femme jusque chez elle et entre dans son appartement. Il s'excuse et commence L'Animal en rêve alors qu'il construit sa maison. Monika annonce à Joseph qu'elle attend un enfant. Ils sont de retour à Paris ou le tract protestataire s'affiche désormais sur tous les murs.

Jacques se rend à l'entretien souhaité par Olivia Rochet et parle de sa vie à Paris en 1968 et dans les années 80. Puis il s'emporte : "Ce ne sont pas mes films qui sont obscènes, ce sont vos questions car vous m'interrogez sur ma carrière et je reponds sur ma vie". Il vient d'assumer le terrible pardon de son fils et il est ainsi devenu le fils de son fils. Il est parti de chez Jeanne et n'est venu à l'entretien que pour éviter de se jeter par la fenêtre.

Seul chez lui, Jacques s'interroge : "Que faut-il espérer pour demain ? Plus de force physique au moins."

La régénération est toujours possible, même si elle passe par la rupture et la solitude. Reste le desir de lutter, par le silence comme Jospeh puis par l'amour ou par le travail de pornographe pour Jacques, qui connait son métier.

Le cinéma porno a pu representer une libération. A Paris en 67, le porno aussi était un acte politique pratiqué avec des amis anarchistes : "Quand je bande, je jouis, je chante". Il aurait pu filmer des femmes nues de dos devant les usines mais ce n'est pas ce que les gens veulent. Son film préféré, Le journal intime d'une déguelasse, assez autobiographique, lui a rappellé qu'il ne faut pas perdre le public des camionneurs : Exhibition a marché parce que c'est Cosette, l'histoire de l'enfance malheureuse. Les fellations, c'est le centre du porno. Dans le plan, il n'y a pas seulement deux organes emboités mais un visage. Et le visage, c'est le dernier rempart de l'humain. Ce qu'il préfère ce sont les belles filles bourgeoises distinguées inaccessibles à l'ouvrier avec un tempérament de salope. C'est banal mais c'est comme ça ! Certaines actrices font passer dans le plan quelque chose de complètement fou, assez violent et poétique. Dans ses films, il y a toujours quelques secondes de beauté même si le reste est terriblement laid, parce que c'est du sexe à l'état pur et donc de l'humain.

Cette humanité à l'état pur, paradoxale, est annoncée dès les premiers plans avec la juxtaposition de la salle porno et de la rivière près de la maison. Le lyrisme est accentué par la musique, les Concerto n°6 (Larghetto e affettuoso) de Händel, concerto pour piccolo n°4 en do majeur (Largo) de Vivaldi notamment lors du départ de Joseph pour une nouvelle vie. Evangile salon saint Jean (Au commencement était le verbe, et le verbe était tourné vers Dieu et le verbe était ieu) et le cinéma, par deux extraits (La comédie de Dieu de Monteiro, Le maître du Logis de Dreyer), disent aussi l'espoir de cette régénération par la beauté.

Jean-Luc Lacuve le 15/06/2013