L'enlèvement

2023

(Rapito). D'après Il caso Mortara de Daniele Scalise. Avec : Enea Sala (Edgardo Mortara enfant), Leonardo Maltese (Edgardo Mortara adulte), Paolo Pierobon (Pape Pie IX), Fausto Russo Alesi (Momolo Mortara), Barbara Ronchi (Marianna Mortara), Samuele Teneggi (Riccardo Mortara), Filippo Timi (Cardinal Antonelli), Fabrizio Gifuni (Pier Gaetano Feletti). 2h15.

23 juin 1858 à Bologne. A dix heures du soir, la police pontificale, accompagnée de représentants des forces de l'ordre de Bologne qui fait alors partie des États de l'Église, fait irruption au domicile de la famille juive de Salomone Levi (dit « Momolo ») et Mariana Mortara . Ils réveillent leurs huit enfants (les jumelles Ernesta et Erminia 11 ans, August 10 ans, Arnoldo 9 ans, Edgardo 6 ans, Ercole 4 ans et le bébé Imelda) et s'emparent d'Edgardo, six ans et dix mois car il aurait été baptisé à leur insu. L'enlèvement est orchestré par l'inquisiteur de Bologne Pier Gaetano Feletti, père dominicain et neveu du pape, sur ordre de Rome. Devant les suppliques des parents  les gendarmes leur accordent le temps d'intercéder auprès des autorités ecclésiastiques.

Mais le cardinal Feletti reste inflexible. Seul un délai de 24 heures est accordé à sa famille mais avec la promesse que l'enfant restera en ville. Il n'en est rien. Dans la nuit, Edgardo est conduit à Rome en bateau et on lui met un collier avec une petite croix autour du cou pour lui dit-on lui porter bonheur. Il est conduit dans le collège de catéchumènes attaché au Saint-Siège, où règne le pape Pie IX.  Momolo fait tout pour  récupérer son fills mais la loi pontificale demeure inflexible, sous prétexte que le garçon aurait été baptisé six ans plus tôt par une bonne superstitieuse. Elle craignait que l'enfant malade ne reste dans les limbes.

La communauté judaïque s’agite, sollicite, mais le pape oppose toujours la même réponse : non possumus (nous ne pouvons pas), trop heureux de cette prise faite aux juifs . Aux parents il est néanmoins accordé une permission de visite mais ils ne peuvent que constater que leur fils s’éloigne d’eux, heureux de la qualité des études, de trouver des amis juifs convertis et surtout frappé par l'iconographie catholique du Christ en croix.

L'enlèvement fait néanmoins grand bruit au-delà des frontières italiennes. Napoléon III proteste avec un poids particulier puisque seules ses garnisons permettent au pape de maintenir le statu quo en Italie. Les Rothschild menacent la papauté de sanctions financières. Le pape déplore les caricatures dans la presse mais s'estime le détenteur du dogme sans lequel l'Eglise s'écroulerait.

Bologne vote son annexion au Royaume de Sardaigne le 12 juin 1859, participant ainsi au Risorgimento. Le 3 janvier 1860, l'inquisiteur Feletti est emprisonné par le gouvernement provisoire de la Romagne. Feletti est jugé le 16 avril et argue du fait qu'il a agi sur les ordres de Rome. Il est acquitté. Momolo s'en veut de ne pas avoir déclaré que son fils étant âgé de moins de 7 ans, la décision était illégale.

Une tentative d'enlèvement par la famille et les proches échoue et le pape convoque alors les responsables de la communauté juive de Rome. Il les contraint de s'humilier en lui baisant ses chaussures.

Dix ans plus tard, le pape en gloire défile devant les convertis devenus prêtres. Edgardo me précipite vers lui. Dans sa ferveur, il le renverse. Mécontent, le pape l'oblige à tracer trois fois la croix avec sa langue sur le sol. Il lui pardonne alors

La brèche de Portia Pia, le 20 septembre 1870 marque la victoire de l'Italie sur les troupes romaines du pape. Edgardo repousse son frère venu lui demander de revenir à la maison.

Après 31 ans de pontificat, Pie IX meurt au Vatican le 7 février 1878, d'une crise d'épilepsie, à l'âge de 85 ans. Au cours du transfert de sa dépouille vers la basilique Saint-Laurent-hors-les-Murs, des laïcs extrémistes s'affrontent aux fidèles et veulent jeter son cercueil dans le Tibre en criant "Au fleuve, le pape porc !". Edgardo tente de protéger la dépouille du pape arguant qu'il est mort et qu'on doit le laisser en paix mais, pris d'une crise de schizophrénie, se joint aux manifestants.

En 1895 ; Mariana Mortara agonise. Edgardo l'assiste dans ses derniers instants et tente de la baptiser. Mariana le repousse : née juive, elle veut mourir juive. Son frère aîné se scandalise de son entêtement et entame la prière juive auprès de sa mère avec les autres enfants.

Des cartons informent de la carrière éclesiastique d'Edgardo jusqu'à sa mort, le 11 mars 1940.

Le film s'attache aux puissances de l'imaginaire qui rendent aveugle à la réalité de l'histoire et aux forces de rappel de la famille. Le pape, enfermé dans des dogmes qui n'ont plus cours, ou Edgardo, fasciné par la pompe catholique, ne dévient jamais de leur chemin pour les plus grands dommages de leur entourage.

La pratique controversée de l'enlèvement


Selon la loi des États pontificaux, un enfant ayant été baptisé ne peut rester dans une famille juive, car, il aurait été considéré comme apostat, et donc excommunié. Afin de « sauver son âme », l'Église considérait avoir le devoir moral d'empêcher cette apostasie. Les papes s'opposèrent souvent sur les interprétations de cette question . Néanmoins, les baptêmes subreptices ou forcés continuèrent et restait valable l'édit de 1682, rendu contre les protestants et les Juifs et ordonnant d'élever leurs enfants illégitimes dans la religion catholique. Le pape Pie IX, parfaitement névrosé, sera le dernier à protéger cette infamie, refusant la moindre concession. Campant sur ses positions, il est un assiégé torturé par ses cauchemars . Il se voit circoncis de force par des rabbins entrés dans son palais. La brèche de Porta Pia, 20 septembre 1870 prend pour lui l'image d'un mur qui s'effondre

Empathie avec le Christ souffrant

Edgardo est fasciné par l'image du Christ. La croix, il la voit au réveil de son transport vers Rome; portée par le prêtre qui dirige les funérailles d'un paysan. Il remarque que c'est le même symbole qu'on lui met au cou comme un porte bonheur. Il va la nuit enlever les clous des mains et des pieds du Christ en croix et celui-ci s'avance vers lui. Le fait qu'il s'agisse d'un rêve marque encore davantage sa place dans son inconscient et son imaginaire en transformation vis-à-vis de l'austère religion juive où la parole est primordiale. La profération du Chema Israël les yeux fermés et la mezouzah comme une amulette cachée dans la poche. La confrontation en montage alterné des liturgies juive et catholique, les assiettes vides de la famille Mortara pendant le shabbat et le Miserere nobis recité à l'église se fait au détriment de l'ancienne foi d'Edgardo. La parole judiciaire est inefficace alors que le baptême qui fait entre Edgardo dans la foi cathiolique est performatif, le tout emporté par la musique mélodramatique ou pleine de pompe de Fabio Massimo Capogrosso

Edgardo est sujet à des accès schizophrènes tant son enlèvement fut douloureux. Son père est une figure ambivalente depuis qu'il a été saisi de terreur d'être jeté par la fenêtre pour s'enfuir ; et qu'importe alors les amis prêts à le réceptionner en bas. Lors de la séparation de la mère, nouvelle occurrence du Kid de Chaplin, explicite dans Vincere, avec cette fois le geste tendu des bras et le cri de douleur.  Sa mère n'a pas non plus pu le protéger alors qu'il se cachait sous ses jupes pour rester à la maison. C'est Pie IX qui peut rendre ce geste protecteur lorsqu'il l’abrite sous sa soutane lors d’une partie de cache-cache qu'il peut ainsi gagner.

Jean-Luc Lacuve, le 14 novembre 2023