Les Hauts de Hurlevent

2011

(Wuthering Heights). D'après Emily Brontë. Avec : Solomon Glave (Heathcliff jeune), Shannon Beer (Catherine Earnshaw jeune), Lee Shaw (Hindley Earnshaw), Paul Hilton (Mr. Earnshaw), Simone Jackson (Ellen Dean), Steve Evets (Joseph), Jonny Powell (Edgar Linton jeune), Eve Coverley (Isabelle Linton jeune), James Howson (Heathcliff), Kaya Scodelario (Catherine Earnshaw), Nichola Burley (Isabelle Linton), James Northcote (Edgar Linton). 2h08.

Angleterre - XIXème siècle. Heathcliff est revenu dans la pauvre chambre qu'il occupait enfant avec Catherine Earnshaw. Il se cogne la tête contre les murs encore marqués des graffitis enfantins faits autrefois.

Il était en effet un petit vagabond, peut-être débarqué d'un bateau venu d'Afrique et recueilli sur le port de Liverpool par M. Earnshaw qui l'avait conduit dans sa ferme isolée. Heathcliff est bientôt confronté aux violences de Hindley, jaloux de l'attention de son père pour cet étranger. Le jeune garçon devient le protégé de Catherine, l'autre enfant de M. Earnshaw. Celui-ci envoie Hindley au collège lorsqu'il se montre cruel, mauvais chrétien, envers Heathcliff.

M. Earnshaw meurt et Hindley revient accompagné de sa femme, Frances, pour prendre possession de la ferme. Cathy est courtisée par le fils de riches voisins, laissant peu à peu Heathcliff à la merci de son frère. Malheureusement, l'épouse de Hindley meurt en donnant naissance de leur fils, Hareton. Hindley est fou de chagrin, devient plus aigri encore et traite Heathcliff de plus en plus durement. Cathy annonce désespérée à Ellen qu'Edgar l'a demandée en mariage et que, malgré ce que lui dicte son cœur, elle a accepté car épouser Heathcliff serait déchoir. Celui-ci a surpris la conversation et s'enfuit immédiatement dans la nuit.

Après le mariage de Catherine, Heathcliff, devenu un grand et beau jeune homme d'allure prospère, réapparaît. Il rencontre Catherine et tout deux constatent qu'ils se sont toujours aimés. Catherine qui attend un enfant refuse toutefois de suivre Heathcliff qui a pourtant promis de s'occuper de l'enfant. Heathcliff, désespéré, se venge diaboliquement d'Edgar et d'Hindley. Il laisse Hindley se ruiner au jeu pour entrer en possession des Hauts de Hurlevent. Il séduit Isabelle, sœur d'Edgar, l'enlève, l'épouse, la maltraite et la ramène aux au Hauts de Hurlevent. Catherine meurt après avoir donné à un enfant mort-né. Heathcliff, désespéré, déterre le cadavre de Catherine et, rentré chez lui, se cogne le front à n'en plus finir. Il achète les Hauts de Hurlevent à Hindley devenu insolvable et reste à jamais sur cette terre désormais sienne et sauvage comme le prouve Hareton qui pend son chien à la barrière pour plaire au nouveau maitre des lieux.

En n'adaptant que la première moitié du roman d'Emily Brontë, Andréa Arnold aurait pu réaliser un sombre drame naturaliste. Son refus des séductions de la littérature, de la musique ou de l'écran large la conduit toutefois à user et abuser d'effets de montage qui virent rapidement au procédé révélant une mise en scène plus intelligente que sensible.

Des corps entre la boue et le ciel

Andrea Arnold souhaitait filmer l'histoire de Catherine et Heathcliff sans recourir au texte d'Emily Brontë, en insistant sur la force obscure qui lie ses deux personnages à la lande dans un amour mystérieux et fantastique lié à la terre et au ciel.

Reste de cette volonté naturaliste la scène où les deux enfants se pressent contre le sol, se mêlant à la terre noire alors que de leur jeu intime et brutal sort un peu de sang. Reste aussi, bien plus tard, le moment où Heathcliff déterre sous une pluie battante le cercueil enfermant Catherine. Vont dans le même sens les plans de lande battue de pluie ou noyée sous le brouillard. La lande s'oppose ainsi à tout ce qui relève du sang appauvri et glacé des Linton : demeure pleine de joliesses, verger fleuri, costumes élégants et réserve aristocratique.

Le maniérisme au secours du naturalisme

Le refus de faire entendre le texte de Brontë (le film est presque muet dans sa première partie), de la musique (une seule chanson) et de l'écran large (retour au format 1,37) relève du même rejet des effets faciles pour exacerber ce qui ne relève que du cinéma, à savoir du montage. Font l'objet de nombreux plans sous des axes différents tout ce qui exacerbe la sensualité du cheval, de sa peau et de sa crinière, sorte de substitue ou d'intermédiaire entre la nature et le corps de Catherine. Mais ce sont surtout des plans de coupe sur la nature, les oiseaux, les insectes, les papillons ou les fruits qui symbolisent l'union de la nature et des personnages.

L'utilisation des ces plans de coupe vire souvent au procédé. Ceux-ci sont en effet soit trop peu motivés vis à vis de l'instant vécu (oiseaux, coléoptères, papillons) soit trop voyants (les chardons pour les rudes amours enfantines qui se brisent à la fin de celles-ci ou les fruits d'abord splendides qui pourrissent). Ils finissent même par servir de béquille à la fiction. En introduisant de nombreux plans de coupe sur des scènes passées qui reviennent à l'esprit des personnages lorsqu'ils sont devenus adultes, Arnold révèle que sa première partie était insuffisamment forte pour se passer de ce procédé maniériste qui brise ce qu'a d'immédiat, de brutal et d'inextinguible l'amour des amants.

Relève de ce même principe maniériste le début in media res qui place le récit dans un flash back inutile. Le point de sortie du flash-back se fait dans une ellipse : Heathcliff s'est cogné la tête dans sa chambre avant de rejoindre la servante qui lui annonce la mort de Catherine qu'il avait pressentie. Sa marque au front avant de s'écouler en larmes sur le tronc d'arbre en est la preuve. Il reviendra ensuite s'y cogner pour figurer la folie monstrueuse qui démarre de lui et qui est bien davantage développée dans le roman (Seul les dix-sept premiers chapitres sont adaptés et pas les dix-sept suivants se passant après une ellipse de douze ans).

Tout ceci donne une utilisation intelligente de l'adaptation littéraire mais qui ne fonctionne que difficilement sur le plan de l'émotion romanesque. En témoignent les multiples fins successives du film (mort de Catherine, cadavre déterré, folie de Heathcliff...) auxquelles s'essaie Andréa Arnold pour conclure une histoire dont elle a supprimé l'aspect démoniaque.

Jean-Luc Lacuve le 05/01/2013.