Le miroir magique

2005

(Espelho magico). D'après L’Âme des riches, roman d’Agustina Bessa-Luís. Avec : Leonor Silveira (Alfreda), Ricardo Trêpa(José Luciano), Luis Miguel Cintra (Filipe Quinta), Leonor Baldaque (Vicenta / Abril), Duarte de Almeida (Bahia), Lima Duarte (le père Clodel), Marisa Paredes (Monja, la religieuse), Michel Piccoli (le professeur Heschel), José Wallenstein (Américo, le prisonnier), David Cardoso (Florido, le frère de Luciano), Susana Sá (Noémia, soeur de Alfreda), Glória de Matos (L'infirmière Hilda), Adelaide Teixeira (Queta, la gouvernante), Diogo Dória (Le commissaire), Maestro Atalaya (Oboé), João Marques (le père Feliciano), Eugénia Cunha (la couturière). 2h17.

Voir : édition DVD

Dans leur riche demeure près du fleuve Lima, Alfreda et sa soeur Noémia se souviennent de leurs onze ans. Alfreda, inspirée par les soeurs qui dirigeaient son éducation, n'avait pas de désir plus cher que de voir apparaître la vierge Marie.

José Luciano discute avec le directeur de la prison où il est enfermé. Tous deux sont de la race de Caïn, le premier provocateur de l'histoire. Au commissaire venu l'interroger, Luciano parle de sa mère tant aimée qui était servante chez Alberto, père de Camilia. Sa mère, tout comme Camilia, furent accusées d'avoir participé à un incendie criminel dans lequel péri le premier mari de celle-ci. Pour couvrir sa mère et Camilia, Luciano se laissa accuser.

Luciano informe son compagnon de prison, Américo, un criminel qui tua toute sa famille exceptée sa soeur, qu'il sera bientôt libéré. Américo préfère garder sa haine avec lui.

Libéré, Luciano s'en va rejoindre son frère Florido qui lui annonce que leur mère est morte. Il le conduit chez Alfreda une riche bourgeoise habitant une splendide demeure. Alfreda est entourée du père Feliciano, du père Clodel et du professeur Heschel, tous spécialistes des textes bibliques. Elle annonce à Luciano son désir qu'il l'accompagne en terre sainte.

Lors du dîner, le professeur Heschel affirme à Alfreda que selon les écrits de Saint-Jacques retrouvés près de la mer morte, la vierge Marie était riche. Alfreda en est profondément marquée et renoue avec son désir ancien de voir lui apparaître la Vierge Marie.

Alfreda n'a pas d'enfants et se dit plus misérable que les animaux et les rivières. Son mari, Bahia, vit pour son école de musique en espérant découvrir de nouveaux talents. Luciano se sent mal a l'aise. Il lui parle de l'idylle entre les enfants et sa mère. Alfreda lui fait dénouer ses sandales avant de se baigner dans le fleuve.

Bahia discute avec l'accordeur du piano. C'est Filipe Quinta. Luciano reconnaît en lui son camarade de prison surnommé le faussaire. Il lui explique l'obsession de Alfreda. Avec Filipe, ils décident de la mystifier avec une fausse apparition.

Luciano trouve Abril dont Filipe tombe amoureux. Mais une série de morts ou de maladies repoussent la mise en oeuvre de la machination projetée. Le père Clodel, qu'on dit mort, envoie Monja parler de ses apparitions à Alfreda.

Alfreda s'enfonce dans une léthargie de plus en plus profonde. Ni l'infirmière Hilda, ni le père Clodel, qui n'était pas mort, ni la nonne Monja ne parviennent à l'en sortir.

Plus tard, Bahia racontera avoir promené sa femme dans les lieux splendides de Venise et de Palestine sans réussir à la sortir de son coma.

Pourtant, elle finira par voir le bout du tunnel. Luciano se satisfait de son rôle de chauffeur. Filipe et Abril filent le parfait amour

Un garçonnet court, rieur, dans le jardin. Bahia et le professeur Oboé dirigent avec un enthousiasme enfantin la Danse macabre de Camille Saint-Saëns, jouée par leur petite troupe de musiciens.

Le miroir magique est incontestablement un film difficile qui exige du spectateur le goût pour les personnages singuliers, le goût de la théologie hérétique, un goût pour les plans longs et une indifférence aux ressorts dramatiques. En contrepartie et probablement s'il peut retourner voir le film, le spectateur appréciera la splendeur du texte, la splendeur des plans de respiration silencieux et la dimension tout à la fois métaphysique et politique de ce film éminemment facétieux et plein d'allant.

Une machination, une apparition et un miroir magique qui se font attendre.

Le film s'est peut-être un peu trop vendu sur le pitch de son dossier de presse : "Libéré de prison, après avoir purgé une peine pour un crime qu'il n'a pas commis, Luciano trouve un emploi auprès d'Alfreda. Il se lie d'amitié avec cette dame fortunée, qui vit dans une spacieuse demeure et apprécie le luxe, tout en exprimant le voeu de voir apparaître la Vierge Marie."

Il n'y en effet aucun lien dramatique qui unisse la condamnation à la prison de Luciano et son emploi par une femme riche pas plus qu'il n'apparaîtra à celle-ci la Vierge Marie. Alfreda a certainement voulu faire une bonne action en employant un ancien prisonnier mais ce sont les rapports d'amitié et de sujétion entre eux qui seront l'enjeu du film. Tout comme l'apparition donnera lieu à des enjeux sentimentaux et métaphysiques qui s'épuiseront avant la mise en oeuvre de la supercherie projetée.

Autre attente déçue par un public trop pressé celui du supposé pouvoir magique du miroir. Il faudra en effet attendre la toute fin du film pour que nous soit donné l'intention de Oliveira. Celle-ci s'exprime par l'intermédiaire de Monja, la religieuse qui dit à la solide infirmière Hilda que la folie d'Alfreda était un moyen de "contrer "l'effet". Quel effet demande Hilda ? Et Monja de répondre : " l'effet du temps qui nous tend comme un miroir sur notre passé".

Le film se termine en effet pour Alfreda comme il avait commencé : sur un miroir. Dans la séquence initiale, Alfreda se désole : "comme le temps passe" dit-elle devant le miroir qu'elle contemple avec sa soeur Noemie où elle se projette enfant lorsque sa ferveur relieuse la conduisait à vouloir que lui apparaisse la vierge Marie. Mais alors aussi se forgeait sa volonté d'être quelqu'un : tout sauf une poupée mécanique que l'on remettrait avec un ressort. Or c'est bien ce qu'elle est devenue. Désœuvrée et sans but, elle est remontée par le discours du professeur Heschel qui lui dans l'espoir d'une apparition magique..

Elle laissera ainsi lui échapper la vie. Dans la dernière séquence avec Alfreda, le miroir fait défiler dans son reflet, pour elle qui entend les descriptions de son mari, comme pour nous, les voyages à Venise et en Palestine.

Les révélations du miroir magique et de l'apparition

Le miroir est pourtant dans cette dernière séquence doublment magique. Il sort Alfreda de sa léthargie en la faisant renouer avec le temps. Il est magique aussi sutout pour nous car il rompt avec la succession des plans fixes (tous les plans sauf quatre) vus jusqu'alors. Nous suivons Bahia au son d'une musique évoquant la sphère céleste dans certains des lieux les plus mythiques du monde.

D'apparition de la Vierge Marie, il n'en sera rien montré en dehors de ce qu'Alfreda se suggère à elle-même. C'est d'abord les effets du soleil dans l'eau avec la voix déformée de Luciano qui semble l'appeler. Ce sera aussi l'effet du vent par la fenêtre ouverte où elle semble entendre son nom, prononcé à la manière dont Abril se proposait de le faire dans la machination projetée.

Pourtant il y aura bien une apparition, et une apparition superbement mise en scène : celle de Vincenta à Filipe. Luciano a prévenu son compère de s'attendre à une surprise. Installé à son bureau, face à la porte, Filipe attend. La porte s'ouvre et surgit, dans une lumière blanche artificiellement composée, la belle Vincenta costumée en Vierge. Ebloui, Filipe récite quelques paroles convenues d'action de grâce pour masquer le trouble amoureux qu'il a ressenti.

 

L'âme des riches

Le roman est une adaptation du roman d'Agustina Bessa-Luís, L'âme des riches. La question centrale posée par le film est ainsi bien celle de comment savoir si l'on aune âme lorsque l'on est riche ? Ce thème est tenu de bout en bout et se superpose à la psychologie souvent très fouillée des personnages qui constitue un autre intérêt du film.

Le monde appartient à ceux qui sont vif d'esprit voudrait croire le commissaire. "Non le monde appartient aux riches" lui répondra séchement Luciano. La poésie qui voudrait cacher cela serait comme ces papiers décoratifs anciens qui n'arrivent pas à cacher la crasse dira aussi le directeur.

En sortant dans le jardin son chapeau est emporté par le vent. Alfreda semble déçu que ce ne fut pas pour elle que Luciano alla chercher son chapeau mais, selon sa théorie parce que les pauvres ne peuvent se résoudre à perdre un objet, même de peu de valeur.

La séparation est ainsi nettement marquée entre riches et pauvres. Le débat porte sur le fait de savoir qui d'Alfreda qui veut sauver le monde lorsque la vierge Marie lui sera apparue ou de Bahia ou du professeur Oboé qui s'investissent dans leur école de musique ont raison. Malicieusement, oliveira sembel donner toutes els cartes à Alfreda mais conclue comme il vait commencé sur la la Danse macabre de Camille Saint-Saëns donnant raison après l'apparition du visage rieur de l'enfant, à Bahia, probable alter-ego du cinéaste.

La psychologie d'Alfredo est d'autant plsu mystérieuse qu'Oliveira nous en donne que parcimonieusemnt et tardivement les clés. Il est troublé par Alfreda mais la considère sans doute comme une soeur ou une mère avec laquelle l'amour ou le tango sont interdits. Filipe expliquera à Vincenta, à la fin du film, le pourquoi de l'apparente froideur de Luciano vis à vis de Alfreda. Luciano aima follement Camilia qui lui préféra un de ses amis, un riche avocat. Celui-ci avait pour maîtresse, Vanessa, une cocotte qui était également la maîtresse de Luciano. Un incendie probablement volontaire fit périr le mari de Camilia dans la demeure de Vanessa. Pour les protéger toutes dont sa mère, également mêlée à l'affaire, Luciano se laissa accuser mais fut à tout jamais dégoûté de l'amour.


Théologie bunuellienne

Dans la prison déjà le débat théologique fait rage. Pour le directeur, les criminels sont des idéalistes aux ambitions frustrées. Le bien se trouve souvent parmi le mal. C'est pourquoi il n'apprécie rien tant que la fleur du cactus. Les femmes sont pleines d'illusions et les désillusions les conduisent au crime. Le meurtre est le signe d'une exigence et vaut mieux que l'insensibilité telle celle de ces riches touristes gras et indifférents à la misère du monde.

Le détournement de sens opéré à partir des textes pour servir une cause politique est ici porté à un niveau de burlesque tout à fait bienvenu. C'est d'abord la discussion sur la sexualité de Sunamite, cette bergère de race égyptienne qui aurait chauffé le lit du roi David sans coucher avec lui. Selon le proto-évangile de Saint-Jacques dont un manuscrit a été retrouvé près de la mer morte, la vierge marie serait ainsi riche. C'est ce que prouvent les riches noces de Cana, la tunique obligatoirement de valeur puisqu'elle fut jouée aux dés, le riche jardin des oliviers appartenait à sa famille. De plus la vierge apparaît toujours telle une reine et seul un fils de riches pouvait aller enseigner aux docteurs du temple.

Endoctrinée Alfreda s'étonnera : pourquoi la Vierge a-t-elle choisi d'apparaître à des bergers incultes alors qu'elle, si bien éduquée et de son milieu, pourrait l'inviter à prendre le thé ?

Alfreda, personnage interprétée par Leonor Silveira comme l'Emma du Val Abraham de la même Agustina Bessa-Luís pourrait ainsi être une sorte de Emma Bovary, non pas pervertie par ses rêves romanesques, mais par le discours religieux.

En 1975, Oliveira réalisait Benilde ou la Vierge mère, l'histoire d'une jeune fille enceinte d'un ange et qui se meurt d'avoir suscité tant de tracas dans son honorable lignée c'est dire si, comme Bunuel la théologie et même l'iconographie chrétienne l'intéresse. On repère ainsi ici une orchidée blanche qui remplace le lys en amorce du plan où Alfreda déclare qu'elle sent qu'on lui a annoncé la venue prochaine de la vierge Marie. Précédemment on l'avait vue en compagnie d'un paon blanc à la sortie de la piscine. De même, la symbolique du blanc et bleu est constamment travaillée.. Ce sont les couleurs de la demeure. Alfreda porte un maillot de bain bleu et un peignoir blanc puis un pantalon blanc et une tunique bleue

Au rang du religieux aussi le brin de laine qu'on croit voir tomber au ralenti mais qui n'existe peut-être que pour exprimer le désir de Luciano de voir une Alfreda pure dont il dénoue les lacets de ses sandales avant qu'elle n'aille au bain. Cet épisode fait ainsi référence à saint Jean-Baptiste ému de baptiser le christ lui qui ne s'estimait pas digne de dénouer les lacets de ses sandales.

La matière humaine, romanesque, politique et métaphysique du film n'est pas compliquée mais profondément originale. La fracture entre le bien et le mal n'est pas là où on l'attend mais placée entre ceux qui admettent le temps et les ruptures et ceux qui se réfugient dans l'intemporel et l'indifférence au monde.

La motivation des deux anciens détenus Filipe et Luciano était double : s'amuser et satisfaire leur spectatrice. Il est fort à parier que c'est bien là aussi le but de Oliveira à travers ce film. Il nous embarque dans une histoire faite de blocs apparemment nullement faits pour aller ensemble pour nous délivrer un message où triomphe le rire de l'enfant et le concert du grand enfant qu'est Bahia interprétant la Danse macabre de Camille Saint-Saëns. C'est la surprise, le heurt du bien et du mal qui intéresse Oliveira. Si, finalement, il renonce à faire apparaître la Vierge, c'est que s'il est facile de la faire apparaître, il sera plus difficile de la faire disparaître et, qu'ici bas, rien de dure.

Jean-Luc Lacuve le 10/01/2009

critique du DVD
Editeur : Les films du paradoxe. Octobre 2009.
critique du DVD