Lou ! Journal infime

Julien Neel
2014

Avec : Ludivine Sagnier (La mère), Kyan Khojandi (Richard), Lola Lasseron (Lou), Nathalie Baye (La grand-mère). 1h44.

Lou est une jeune fille créative et rêveuse d’une douzaine d’années qui habite avec sa mère, Emma, dans un petit appartement parisien. Sa meilleure amie, Mina, invente et filme depuis toujours avec elle des histoires tragi-comiques dont elles montent tout les décors. Lou est obsédée par deux choses. Il y a d'abord le beau voisin d'en face à qui elle n'a jamais parlé mais dont elle colle les photos prises en cachette dans de nombreux albums. Et puis il y a sa mère, traductrice du moldave (!) ratée et geek invétérée. Malgré les efforts de cette dernière pour entourer Lou d'amour et de bonne humeur, la petite fille sent bien le découragement, la désillusion et la dépression latente de cette mère à laquelle elle tient tant. Prête à tout pour lui redonner la joie de vivre, elle va échafauder des plans rocambolesques.

Julien Neel adapte sa bande-dessinée au cinéma en mêlant prises de vues réelles et univers en carton pâte, jeu de cinéma et situations ubuesques de comics. Il narre ainsi la vie comme une aventure et exalte la relation mère-fille.

Adapter une bande-dessinée

Lou, est une bande-dessinée toute colorée dont les graphismes originaux sont repris dans le générique du film.  L'action se déroule dans une ville entre réalité et cartoon. On voit au loin des immeubles en pâte à modeler, le joyeux désordre de l'appartement de Lou et sa mère est très bien rendu, tout en couleurs, tout en accumulation, jusqu'à la "malle de la honte", sorte de coffre à jouer magique et portail vers un autre monde en forme de cocon rose où les personnages plongent pour se cacher. Le jeu d'acteur des adultes s'inscrit tout en douceur dans cet univers cartoonesque. Les scènes d'introduction des personnages reprennent au cinéma les codes de la BD. On découvre par exemple en même temps la mère de Mina et le futur amoureux de la mère de Lou, Richard. Ils se disputent une place de parking. Le plan capture la toute petite voiture blanche de la mère de Mina (symbole de son obsession pour la pureté et la simplicité) face à l'improbable véhicule de Richard l'artiste musicien, bancale à force d'accumuler sur son toit toute sortes d'instruments inconnus et colorés. La mère de Mina gagne (facilement) le duel d'autorité en effrayant Richard avec une expression digne d'un cartoon américain.

La voix-off omniprésente de Lou aurait pu amplifier l'effet romanesque. Elle le desserre par l'intonation, souvent agaçante, de la jeune actrice.

Narrer la vie comme une aventure

Vers le milieu du film, le spectateur est un peu perdu. Ce qu'il prenait pour l'intrigue principale vient de se résoudre, et pourtant, le rythme ne ralentit pas. On va avoir le droit à une, puis deux autres péripéties, et c'est à peine si la fin semble clore quoi que ce soit. La vie comme une aventure, apporter de l'épique au quotidien, enchanter le réel, le rythme du film amplifie l'univers planté entre réalité et cartoon.

Chaque petit événement insignifiant du quotidien est une véritable aventure. L'histoire s'emballe à chaque péripétie. Mais c'est la vie, elle ne s'arrête pas à la fin de l'histoire, elle continue, remet toujours d'autres embûches sur le chemin. Le film ne suit pas une trajectoire balisée; de nouveaux personnages entrent en scène régulièrement, et ils ont chacun le droit à une introduction en règle.

 Le film laisse entendre que pour se sortir des difficultés, pour échapper à la vie pas toujours rose, il faut en tartiner partout, justement, du rose, et s'inventer des histoires. Ce sera l'art en général et la fiction en particulier qui résoudront tous les problèmes. Lou se réconcilie avec Mina en réparant le petit théâtre, pierre angulaire de leur amitié. La renaissance de sa mère est symbolisée par le succès de son roman, autobiographie complètement barrée où elle campe une héroïne intergalactique. Richard et Lou parlent d'amour en composant de la musique. Lou retrouve la paix intérieure en peignant et en prenant des photos. 

La relation mère-fille, le monde des adultes et celui des enfants

Le film honore la force de la mère de Lou, responsable de cet enchantement du réel. D'apparence je-m'en-foutiste et paumée, elle invente la "danse du bonheur", transforme l'appartement en maison magique et semble libérée de tout ce qui accable les autres parents (La mère de Mina est régie par les principes et les apparences, les parents de Marie-Emilie ne comprennent pas leur fille, ceux de Tristan sont tout simplement absents). En retour, Lou se sent responsable de cette mère-enfant.

Elles s'entraident, et ressemblent plus à des copines qu'à des parentes. Lou est mature pour son âge, sa mère est encore jeune dans sa tête. Elles se situent toutes les deux dans ce flou adolescent où l'on a l'impression que se cache le bonheur. 

Meredith Lacuve, le 06/10/2014