Woman at war

2018

(Kona fer í stríð). Avec : Halldóra Geirharðsdóttir (Halla / Ása), Jóhann Sigurðarson (Sveinbjörn), Juan Camillo Roman Estrada (Juan Camillo), Jörundur Ragnarsson (Baldvin). 1h41.

Dans la lande islandaise, une femme décidée pointe la flèche de son arc vers les câbles d’une ligne à haute tension. Halla, provoque ainsi un court-circuit qui stoppe l'alimentation électrique de l'usine d'aluminium. Halla est une guerrière, une militante écologique d'une cinquantaine d'années qui agit seule. Traquée par les hélicoptères, elle a toutefois besoin de l'aide de l'éleveur de moutons du coin, Sveinbjörn, qui se révèle entre un possible cousin et qui lui prête une voiture pour fuir vers Reykjavik.

Là, Halla retrouve la chorale qu'elle dirige avec tout juste un peu de retard. Son action a fait grand bruit dans les journaux télévisés et sur Internet. On suppose qu'il s'agit d'un groupuscule très bien organisé dont l'arrestation devient la priorité de toutes les polices. Les négociations sont en effet dorénavant rompues avec les Chinois qui voulaient développer leur production d'aluminium mais qui considèrent désormais l'Islande comme un pays peu sur.

Halla toute fière de son action doit néanmoins faire avec le stress de Baldvin, son amoureux transi, qui espionne pour elle au sein du cabinet du premier ministre. Il la supplie de mettre fin immédiatement à ses actions de sabotage sur cette réussite et de rédiger le manifeste qu'elle a en projet. Le gouvernement a en effet sollicité la CIA et les services secrets israéliens pour surveiller les lignes à haute tension avec satellite, hélicoptères et drones. Halla promet d'y réfléchir.

Mais c'est un autre avènement qui la décide à arrêter. Elle s’apprête à devenir maman. Sa demande d’adoption, déposée quatre ans auparavant, a enfin abouti. Il va lui falloir aller chercher la petite fille qui l’attend en Ukraine et abandonner définitivement ses entreprises de sabotage. Asa, sa sœur jumelle, sur laquelle elle compte pour être sa garante lui annonce toutefois une retraite imminente dans un ashram en Inde. Elle est cependant décidée à remplir toutes les formalités nécessaires à l'adoption.

Halla rédige donc son manifeste et le distribue crânement du haut des toits de la place principale. Le succès populaire sur Internet est immédiat. Mais Baldvin la prévient : ses arguments sont faibles et vont se retourner contre elle. L'opinion est effet soumise à la communication efficace du gouvernement qui fait passer "la femme des montagnes" pour une illuminée, une terroriste, allant contre la prospérité, le progrès, l'unité de la nation et la démocratie.

Halla en est bouleversée et veut mener une ultime attaque, plus dangereuse et destructrice encore pour montrer sa détermination. Elle cambriole un dépôt d'explosifs, les fait passer dans la voiture de son cousin camouflés sous la crotte de poule et s'en va faire exploser un pylône. Le retour vers la vallée est alors terriblement dangereux. Halla est traquée par les hélicoptères et les drones et reçoit encore l'aide de son cousin qui, alors qu'elle est transie de froid, l'imerge dans des sources d'eau chaude après lui avoir fait traverser les barrages de police cachée sous des moutons.

Toutefois, Halla a laissé une trace de sang au pied du pylône et une vaste campagne de prélèvements d'ADN est lancée dans les aéroports. Sa sœur, qui partait pour l'Inde, est arrêtée puis c'est son tour.

Asa, sa sœur jumelle, se substitue alors à elle pour qu'elle aille chercher l'enfant en Ukraine. Après un long périple sous la pluie, Halla retrouve la petite fille avec qui le contact est immédiatement chaleureux. Les pluies diluviennes les contraignent à faire un bout de chemin à pied sur des routes où l'eau leur arrive à mi-corps. Dans ce naufrage écologique, mère et enfant avancent néanmoins.

Il est rare qu'un film présente autant de mélange des genres et de mélange des tons sans que l'un vienne ralentir ou amoindrir les autres. La performance de l'islandais Benedikt Erlingsson est ainsi tout à fait exceptionnelle. Il réussit même à conclure son film sur une séquence symbolique, lyrique et ouverte.

Trois genres pour un film

Woman at war est sans doute d'abord un film d'aventures avec deux grandes scènes de sabotage, à l'arc puis à l'explosif, avec des courses dans les magnifiques paysages de la lande islandaise avec ruses et suspens (la peau d’un mouton mort , immersion dans la rivière glacée) pour échapper aux hélicoptères et aux drones. C'est aussi un film politique. L'écologie est-elle une cause supérieure aux lois des politiques, obnubilés par le court terme ? Comment faire passer ses idées face aux communicants qui ont tôt fait de se servir des failles d'un manifeste pour retourner l'opinion publique ? C'est enfin un portait de femme. Hella décidée, prête à tout perdre pour défendre ses idées et qui, entre une obstination malsaine dans l'action violente et un retrait du monde, choisit d'aider une enfant qui a besoin d'elle. La résolution de ces trois genres, aventure, politique et portrait se clôt sur une séquence les synthétisant : les pluies causées par le réchauffement climatique n'empêchent pas Halla et sa fille d'avancer sur des routes inondées.

Humour et lyrisme

De bout en bout, ces trois fils narratifs sont emprunts d'humour, de bonne humeur et de lyrisme. La bonne humeur tient à la complicité des deux sœur liées par leurs souvenirs d'enfance et l'admiration envers leur mère et ses bons mots : "Les mamans peuvent tout faire" et "Trouver des solutions", au chant choral ou au yoga. L'humour c'est celui qui voit le pauvre touriste sud-américain faisant toujours les frais (pour peu de temps heureusement) des sabotages d'Halla, c'est le cousin avec sa chienne "woman" et les crottes de poule qui empêchent les chiens de détecter les explosifs. Le lyrisme, c'est celui des masques de Mandela et Gandhi, et le chœur des musiciens et chanteuses. Il y a en effet deux chœurs qui viennent jouer directement à l'écran et commentent ainsi l'action qui se poursuit comme s'ils n'étaient pas là. Le chœur des musiciens, trois hommes, commente l'action. Celui du chant des trois femmes ukrainiennes est plutôt dévolu à l'exacerbation des sentiments d'Halla. Il s'agit plus d'un cœur antique que d'une distanciation brechtienne tant leur rôle semble s'accroître au fur et à mesure de l'intrigue, jouant d'abord seulement puis observant et enfin encourageant l'héroïne.

Jean-Luc Lacuve, le 25 juillet 2018.