Passion

2012

Genre : Film noir

Avec : Rachel McAdams (Christine), Noomi Rapace (Isabelle), Karoline Herfurth (Dani), Paul Anderson (Dirk), Rainer Bock (L'nspecteur Bach), Benjamin Sadler (Le procureur), Michael Rotschopf (L'acocat d'Isabelle), Max Urlacher (Jack). 1h41.

Christine et Isabelle, derrière un écran d'ordinateur, trouvent vraiment nulle la nouvelle publicité qu'elles sont chargées de mettre au point pour une grande marque de téléphone. Christine est la patronne de la filiale allemande de Koch International image. Isabelle, sa brune collaboratrice ne peut qu'admirer son appartement, admirer son charisme, admirer son amant, Dirk, qui débarque soudain et la met poliment à la porte. Christine lui offre son écharpe en cadeau de consolation.

Rentrée chez elle, Isabelle a l'idée géniale pour la publicité du téléphone. Elle convoque son assistante, Dani, et toutes deux réalisent un clip publicitaire où le téléphone portable est mis dans sa poche de derrière d'un jean pour voir les mecs qui matent le cul des filles dans la rue. Christine est séduite et envoie Isabelle à sa place à Londres défendre son idée. Elle l'a fait accompagner de Dani et de Dirk. La démonstration publicitaire est un succès. Isabelle refuse l'invitation de Dani pour passer la soirée, prétextant un mal de tête mais Dani s'aperçoit avec tristesse que ce n'était que pour sortir avec Dirk. De retour à l'hôtel Dirk et Isabelle font l'amour devant une caméra que Dirk a installé devant eux.

De retour à Berlin, Isabelle est chaleureusement accueillie par Christine qui a profité de son voyage pour inviter un amant soumis chez elle. Isabelle déchante cependant bien vite lors de la visioconférence qui suit. Le patron de Koch international image félicite Christine de la publicité dont elle s'est appropriée la création ce qui lui vaut une nomination à New York. "Ce n'est pas de la trahison Isabelle, c'est le monde des affaires" lui affirme Christine qui, pour se faire pardonner, tente de l'embrasser et l'invite dans un défilé de mode de chaussures. Elle l'invite dans une réception mondaine où Isabelle échoue à attirer le regard d'un gros client. Isabelle est meurtrie de voir Jack draguer Christine après leur soirée intime et traiter Isabelle de jouet entre ses mains. Elle est encore plus meurtrie quand Dani lui affirme que la publicité ne passera pas en l'état mais sera jouée par des acteurs professionnels. Elle refuse une soirée chez Christine ce qui met cette dernière en rage.

Lors d'un comité de direction, Christine tente de séduire Isabelle en lui racontant la tragédie de la mort de sa sœur. Isabelle à peine sortie, Christine lance un ultimatum à Dirk. S'il ne parvient pas à rembourser la facture de plusieurs millions qu'il doit maintenant depuis trop longtemps comme sous-traitant elle le fera condamner avant son départ à New York.

Isabelle poursuit Dirk dans l'ascenseur qui lui déclare tout net que leur histoire est terminée car Christine veut qu'il en soit ainsi. Désespérée, Isabelle met sa version de la publicité sur internet comme le lui avait conseillé Dani.

Elle apprend en se levant que c'est un succès. Dans la visio-conférence organisée avec le patron de Koch International image, Christine doit reconnaitre qu'elle a usurpé la paternité de la publicité et c'est Isabelle qui se voit offrir une place à New York. "Ce n'est pas de la trahison Christine, c'est le monde des affaires" lui retourne cruellement Isabelle. Sure de sa victoire, Isabelle rappelle Dirk qui finit par accepter de sortir avec elle le soir même. Mais au lieu de le trouver sur Skype à l'heure dite c'est Christine qu'Isabelle découvre en train de mater avec Dirk saoul la vidéo de ses ébats sexuels avec Isabelle à Londres manifestement téléguidés par Christine.

Isabelle s'effondre et ne parvient pas à sortir du parking souterrain tellement elle est perturbée, emboutissant ainsi l'avant et l'arrière de sa voiture. Le lendemain matin, Dani vient l'avertir que Christine a prévu une petite fête. Juste avant celle-ci, Christine, les mains protégées par des gants, écrit sur l'ordinateur d'Isabelle un mail où celle-ci dit ne devoir jamais pardonner à sa patronne l'humiliation qu'elle vient de subir.

La petite fête est en effet un jeu de massacre organisé par Christine pour se moquer des cadres stressés de son entreprise, l'un qui casse un ordinateur dans une crise de nerfs, deux autres qui s'improvisent une séance sexuelle devant la photocopieuse et surtout, Isabelle qui emboutit sa voiture dans le parking.

Christine convoque alors Isabelle et lui montre le mail qu'elle a prétendument reçu d'elle. Il lui servira de preuve si elle s'acharne contre elle après l'humiliation qu'elle sait lui avoir fait subir de la part de Dirk et qu'elle a camouflée en humiliation de bureau. Elle croit s'être ainsi protégée, mais est-ce si sûr ?

Devant le Linbury Studio du Royal Opera House qui propose Le prélude à l'après midi d'un faune de Debussy, Isabelle appelle son psychiatre à l'aide. Les jours s'écoulent et elle a de plus en plus besoin des pilules pour tenir le coup. Seule une représentation du ballet de Debussy peut la reposer. Elle s'y rend. Alors que le ballet se déroule, Christine accompagne jusqu'à la porte les nombreux amis qu'elle a invités chez elle. Dirk, à contrecourant, tente d'entrer. Elle le repousse. Un mot sur sa porte lui promet un jeu sexuel et Christine s'empresse de se doucher et de se préparer pour ce mystérieux amant. Dirk, trop saoul pour conduire, revient sur ses pas. Christine se fait belle, le ballet se termine. Un assassin portant le masque blanc de Christine égorge celle-ci d'un coup de couteau effilé.

Isabelle est réveillée par l'inspecteur Bach et tout semble l'accuser du meurtre de sa patronne, un bout de l'écharpe de Christine qu'elle s'est appropriée devant tous a été retrouvé arrachée dans les mains de Christine et le mail compromettant donne le mobile du crime. Isabelle, à bout de nerfs, avoue.

Puis dans sa prison, Isabelle se réveille de son cauchemar éveillé et revient sur ses aveux. L'écharpe n'est pas la sienne, elle n'avait pas d'accroc et surtout le mail ne pouvait être d'elle puisque daté d'avant l'heure de la petite fête d'humiliation. Isabelle accuse clairement Christine de l'avoir écrit pour la pousser à bout ce qui lui est bien arrivé puisqu'elle a perdu pied au point de s'accuser d'un meurtre qu'elle n'a pas commis. Un ouvreur du Linbury Studio du Royal Opera House confirme qu'elle a bien assisté à la représentation du Prélude à l'après midi d'un Faune. Qui plus est, en procédant à la fouille de l'appartement, Bach découvre le dossier compromettant sur Dirk qu'Isabelle prétend avoir voulu cacher pour couvrir encore un peu de temps ce dernier.

Le procureur voit les charges contre Isabelle s'écrouler mais l'écharpe sans accroc que Christine prétend avoir chez elle et qui l'innocenterait définitivement n'est toujours pas là. Isabelle demande une seconde fouille et cherche assidûment derrière un placard sans rien trouver. Toujours emprisonnée, elle demande à Dani de faire une nouvelle fouille de l'appartement, toujours en vain. C'est alors que la femme de ménage surgit avec l'écharpe qu'elle ramène du repassage. Bach s'empresse alors d'intercepter Dirk et trouve, sous le siège de sa voiture, l'écharpe ensanglantée.


Christine est libérée et fête chez elle avec Dani la fin de cette épreuve. Dani l'embrasse mais Isabelle repousse ses avances faisant semblant de n'avoir pas remarqué que son assistante était amoureuse d'elle. C'en est trop pour Dani qui lui révèle qu'elle sait tout de sa machination : elle l'avait suivie acheter une écharpe semblable à celle de Dirk. Elle l'avait suivie au Linbury Studio du Royal Opera House et vu l'esclandre provoquée. Elle l'a même filmée enfilant le masque blanc pour entrer chez Christine, vu Dirk s'approchant et Isabelle profitant de sa voiture ouverte pour y glisser l'écharpe pleine de sang.

Dani prévient : si Isabelle ne se plie pas à sa volonté, il lui suffit de faire "envoyer" sur son téléphone pour que Bach trouve toutes les preuves.

Les deux jeunes femmes assistent à l'enterrement de Christine où sa sœur jumelle, aux chaussures vertes, est présente. Ce n'était qu'un cauchemar, au milieu de la nuit, Isabelle est réveillée par une sonnerie qui s'avère être celle du téléphone portable de Dani. Celle-ci se réveille à son tour et les deux femmes se battent. Isabelle étrangle Dani mais celle-ci parvient à appuyer sur la touche "envoyer". Bach, qui montait lentement les escaliers spiralés d'Isabelle pour lui porter les roses du pardon, parvient devant le seuil de la porte. Après avoir vainement sonné, il s'en retourne et découvre alors sur son portable les preuves accablantes contre Isabelle. Ce n'était qu'un cauchemar. Isabelle se réveille : sur le sol git Dani.

Le scénario reprend très fidèlement celui de Crime d'amour (Alain Corneau, 2010) dont l'emprunt figure au générique de début. La succession des scènes est presque identique et dans les deux cas c'est au même châtiment, la solitude, qu'est condamnée l'héroïne qui sort victorieuse de son stratagème visant à faire accuser l'amant de Christine du crime qu'elle a commis par dépit amoureux. La mise en scène d'Alain Corneau est plus subtile dans sa psychologie alors que De Palma accentue l'respect vénéneux des deux héroïnes. La multiplication et l'omniprésence des images ne permettent plus de s'assurer un pied solide dans le réel, toujours susceptible de n'être qu'une surface trompeuse ou un cauchemar. Pour De Palma, il ne s'agit pas tant d'en faire le constat et encore moins la critique mais de proposer à son spectateur un exercice pratique, ludique et au final terriblement émouvant pour saisir ce qui dans l'image fait moins sens que signal.

Un monde d'images rassurantes

Fabriquées et cadrées pour un public qui les attend ou qui s'y laisse prendre de façon consentante, nombre d'images modernes sont efficaces et rassurantes puisque l'on sait d'où elles viennent : images filmées depuis un Smartphone dans une poche de jean, caméra pour filmer ses ébats sexuels, mise en ligne de publicité sur Youtube, conversations en visio-conférences ou sur Skype, email envoyé depuis un ordinateur, caméra de surveillance dans le parking, dans le comité de direction, devant la photocopieuse, affiches des spectacles, preuves filmées et accumulées depuis un téléphone portable.

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Le combat pour l'appropriation de ces images relève du classique droit d'auteur et les conflits qu'elles génèrent ont des protagonistes bien identifiables contre qui se retourner. Elles sont celles du monde cruel des affaires où les capacités de séduction sont sans cesse utilisées pour manipuler les cadres ; où vie intime, fantasmes et frustrations personnelles sont les ressorts d'une carrière.

Quand l'image excède son cadre

Plus inquiétantes sont les images qui signalent, qui alertent sur quelque chose que l'on ne comprend pas. Ainsi des chaussures rouges et vertes, des téléphones portables qui sonnent comme des réveils, des heures qui s'affichent comme des avertissements ainsi les 49 minutes qui reviennent, obsédantes, s'afficher sur le radio-réveil mais avec des heures différentes.

Ce sont là des grains de sable dans une intrigue complexe. Mais De Palma va plus loin avec des séquences qui inquiètent la trame narrative sur une plus longue durée. La caméra débullée pour des plans en oblique, dans les tons bleuâtres, alertent lorsqu'Isabelle, dans son lit, tend la main vers ses pilules. Il pourrait ne s'agir que du début d'un long cauchemar. De Palma laisse subsister le doute mais, une fois celui-ci levé et la machination révélée par Dani, ces séquences peuvent néanmoins être vues comme une machination cauchemardesque d'Isabelle dont elle ne se relèvera pas.

Se signale par une plus grande beauté formelle encore le split screen, écran partagé entre le ballet de L'après-midi d'un faune et l'œil qui le voit. Dans une première partie, l'œil de la partie gauche envahit l'écran rejetant le ballet sur la partie droite, de plus en plus petite. Puis dans une deuxième partie après avoir vu Dirk s'approcher saoul de la maison, le split sceeen reprend avec le ballet qui repousse à son tour l'œil dans la partie gauche, de plus en plus réduite. Outre sa beauté, la forme alerte sur une machination possible d'Isabelle dans sa première partie et, avec la disparition de l'œil dans la seconde, donne un indice de sa mise en œuvre : son départ avant la fin.

Plus qu'à Corneau et Hitchcock, c'est à Lynch (pour les réveils inquiétants) et à Fritz Lang que ce thriller est redevable. Au Lang allemand des Mille yeux du docteur Mabuse et surtout au Lang américain de L'invraisemblable vérité où le coupable compte sur une fausse preuve pour faire s'écrouler l'accusation qui pèse contre lui et ainsi l'innocenter. Il est probable que seul le cinéphile attentif comprendra que la preuve cachée par Isabelle a disparu à son insu mais que, même retrouvée, elle ne lui garantit pas l'impunité. Chez Lang, Dana Andrews marchait vers la chaise électrique. Ici Isabelle est condamnée au cauchemar permanent. Le mannequin du défilé de mode qui tombait préfigurait tous ceux qui tomberont au cours du film : la mystérieuse Christine, l'innocente Dani ou l'inconsistant Dirk et, finalement, Isabelle.

Ce qui résiste au règne général de l'image, c'est le doute. C'est quand l'image signale que ce que l'on voit cache une vérité plus trouble et plus inquiétante ; qu'il faudra une autre image placée plus loin pour la comprendre et en faire surgir toute la beauté. C'est lorsque l'image excède son cadre qu'elle sort du domaine publicitaire pour devenir image de cinéma.

Jean-Luc Lacuve le 22/02/2013

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