Du 27 juin au 17 octobre 2010

MUSEE DU DESSIN ET DE L'ESTAMPE ORIGINALE Château, Arsenal 59820 GRAVELINES (Nord) Ouvert tous les jours, sauf le mardi.

 

Bien qu'accaparé durant quatre décennies par l'écriture, la préparation, le tournage de ses films ou l'enregistrement d'arrangements musicaux, le cinéaste David Lynch n'a jamais cessé de s'intéresser aux arts plastiques en réalisant notamment : dessins, aquarelles, mobiliers, photographies, tableaux avec ou sans ajouts de matières organiques... L’important étant pour lui de trouver à chaque fois, la bonne atmosphère et le bon support pour saisir les idées qui lui viennent. Après avoir exposé en 2007 à la Fondation Cartier : peintures, photos, créations sonores (The Air is On Fire), en 2008 à la Galerie des Galeries Lafayettes : lithographies (I see Myself ), et dans les vitrines du Boulevard Haussmann : onze installations éphémères et créations sonores (Machines, Abstraction and Women), l’auteur de Elephant Man, Dune, Twin Peaks et Mulholand Drive investit la Poudrière du Musée du Dessin et de l’Estampe Originale de Gravelines. L'idée d’y présenter une partie très récente et plutôt méconnue de son travail d'artiste, son oeuvre lithographique, l’a d'emblée séduit. Connu des amateurs d'estampes, le site quasi lynchéen, avec ses épais murs de pierre, sa Poudrière au plancher sur lequel raisonnent les pas des visiteurs, ses longs couloirs en pente et ses salles souterraines, ne pouvait pas le laisser indifférent. Cette exposition accompagne une année 2010 chargée pour Lynch, puisque fin septembre il assistera à l’ouverture de l’exposition que lui consacre le GL Strand Museum à Copenhague, puis recevra le Kaiserring, prix accordé une fois par an par la ville de Goslar en Allemagne à un grand artiste de renommée internationale, enfin, assistera en octobre à la première projection de la rétrospective complète de tous ses films à la Cinémathèque française.

Photo : Item éditions, Paris
Photo : Chihiro Minato

 

David Lynch découvre en 2007 le procédé de la lithographie dans un lieu magique où l'on trouve les presses sur lesquelles ont travaillé Picasso, Giacometti, Matisse : l'atelier parisien Idem. " Avant que je fasse des films, vous savez, je voulais être peintre. J'étais obsédé par la peinture, et l'image fixe. Ensuite, sont venus le cinéma et l'image en mouvement. (…) C'est Hervé Chandès de la Fondation Cartier qui m'a fait découvrir ce lieu et rencontrer Patrice Forest. J'ai vu ce lieu incroyable, et on m'a donné l'occasion d'y travailler. Tout cela a été comme un rêve ! Cela m'a permis d'accéder à ce nouveau monde de la lithographie et à la magie des pierres. Cela a été quelque chose de vraiment formidable! Ce procédé de la lithographie, ce vaste champ de la lithographie s'est ouvert. Et plein d'idées en sont sorties, et cela a donné une centaine de lithographies ". 1 Pour lui , il existe des liens entre la pratique du cinéma et de la lithographie. Le cadre tout d'abord : " Toutes les deux sont une forme de photographie, car la pierre est le cadre dans lequel vous travaillez. La pierre peut être dure, mais elle a une sorte de porosité qui rend l'intérieur du cadre très accueillant. Vous avez le sentiment que les images que vous faites sur la pierre n'auraient pas pu être réalisées d'une autre façon. Les règles qui président au cadre d'un film ou d'une photographie existent aussi dans la lithographie. Il y a cette chose qui se passe dans le cadre, donc c'est assez semblable ". 1 L'encre noire également , point de départ idéal d'une histoire pour faire apparaître ou disparaître des personnages, une histoire. " Quand vous ne connaissez pas quelque chose complètement, l'imagination et le rêve peuvent intervenir. Parfois, les choses sont perdues dans le noir, et vous commencez à imaginer et une histoire prend forme ". 1 Le processus de création, enfin : " Il y a une petite histoire dans ma tête pour chaque lithographie. Parfois des personnages sont suggérés, alors naît une histoire et de cette histoire naît l'image fixe. Vous savez, tout cela est enrichi par les qualités organiques de la pierre, de l'encre, et du procédé. Ce n'est pas inspiré par les films, c'est inspiré par les idées, et les films aussi sont inspirés par les idées, donc c'est le même processus : idées, histoires, personnages. C'est théoriquement possible qu'une lithographie inspire une scène ou un film entier, c'est tout à fait possible ".1 Pour l'occasion, le musée co-édite le premier catalogue raisonné de l'oeuvre lithographique de l'artiste. On y trouve un entretien de David Lynch avec Dominique Païni, ancien directeur de la Cinémathèque française, puis directeur des projets pluridisciplinaires du Centre Georges Pompidou, ainsi qu'un texte de l'artiste japonais Chihiro Minato.

Family of Bugs in House, 2008, Lithographie sur papier Japon H 66 x L 89 cm, Item éditions, Paris
(Photo : Marc Domage) © David Lynch

 

Au rez-de-chaussée sont exposées : - Une première suite de 12 estampes tirées sur zinc en 2007 et intitulée : Suite de Paris, interprétations agrandies de 12 dessins non datés sélectionnés parmi d'autres, réalisés par Lynch au fil des années sur des pense bêtes (post it), dont le lecteur n'a pas toujours la clé. Imprimée en trois couleurs (rouge, jaune et noir), très biologique, on peut y voir comme des esquisses, des sensations notées sur le vif, ou encore des micro organismes, vues au microscope de chromosomes, noyaux et autres bactéries (bâtonnets) dont il garde secrètement l'origine. Cette première suite d'estampes numérotées n'est pas un simple jeu de cartes. Elle est le fruit d'un paradoxe : le Postit, par définition, est un lieu de mémoire appelé à disparaître dès qu'il s'est révélé utile. On ne garde pas le noeud d'un mouchoir. L'idée d'éterniser un post it sous la forme d'une gravure est un bel exemple de contraste esthétique. On ne s'étonnera pas que Lynch l'ait eue. - Une seconde série… noire de 62 grands tirages imprimés sur papier japon à partir de 2007 jusqu'à 2009 est toute différente. Voici Lynch qui s'attaque à mains nues à la pierre... blanche de Sonthofen (Bavière). Davantage figurative, il nous propose presque toujours comme piste, le niveau littéral de l'image, son sens le plus simple. Comme s'il voulait nous éviter d'errer. Et éprouve le besoin de nous dire ce que c'est, en titrant à l'intérieur de l'oeuvre en lettres maladroites. C'est un retour volontaire vers des formes simples, souligné par les lettres enfantines des titres, pour nous laisser le soin de développer librement tous les autres niveaux de lecture. Ce n'est pas pour rien que le titre d'une de ces lithographies intitulée I see Myself fut utilisé comme titre d'exposition en 2008 à la galerie des Galeries Lafayettes à Paris. Il résume bien l'invitation de Lynch à projeter notre imaginaire dans chacune de ses oeuvres. Au sous-sol, deux espaces : - Un espace de projection présentant trois des premiers courts métrages de Lynch qu'il porta en gestation après les premiers vomissements de Six Men Getting Sick (conçu en 1967 comme une sculpture mouvante) et avant l'accouchement du bébé d'Eraserhead (sortit en 1976 après cinq années de tournage chaotique). Ces courts métrages The Alphabet, The Amputee et The Grandmother, traitent du traumatisme à travers des thèmes qui lui sont chers : l'apprentissage délicat du langage vécu comme une souffrance, l'impossibilité de traduire une émotion autrement que par le langage et la cellule familiale dépourvue de sentiments. - Un espace de projection présentant les films de trois étudiants du Studio National des Arts Contemporains du Fresnoy : Daniel Browne (Abraxas, 2006), Daan Spruijt (Morning Lemon, 2006), Annie Mac Donell (Cinema and visual pleasure, 2006).

 

Le musée a souhaité souligner l'influence que David Lynch exerce sur la génération actuelle des étudiants cinéastes. Un partenariat a été créé avec Le Fresnoy, Studio National des Arts contemporains de Tourcoing qui a sélectionné trois oeuvres vidéo d'étudiants sortis de l'école en 2006. Morning Lemon, de Daan Spruijt (Film d'animation 35mm, 8'30 - 2006) Production Le Fresnoy - Studio national Un coup de téléphone d'outre-mer, une supposition et un mauvais calcul amènent au dénouement inévitable de ce film d'animation. Mais à quoi d'autre s'attendre avec notre perception de la réalité ? Notre principal système de communication est une illusion. Les mots sont complètement individuels et ne sont donc pas bien faits pour la communication. Les choses se passent à peu près bien avec les mots qui renvoient à des sujets concrets : chaise, voiture, cuiller - tout le monde met plus ou moins la même chose sous le mot cuiller. Mais quand les mots renvoient à des choses plus abstraites ou personnelles, on tout à fait le coche. Abraxas, de Daniel Browne (Film 16mm, 11' - 2006) Production Le Fresnoy - Studio national Une vision du passé et du présent, de l'évolution des mémoires de la terre vaine des fantômes de l'âge moderne. Les chutes des archives trouvées sur internet sont combinées avec des visions et des images personnelles dans la recherche d'une cosmologie interne et externe. Le matériel est passé à travers une combinaison de différents processus de manipulation numérique avant d'être développé manuellement afin d'affecter physiquement la substance du film. Cinema and visual pleasure, de Annie Mac Donell (Film 16mm, 9' - 2006) Production Le Fresnoy - Studio national Ce film est un expérimente formel. Son contenu (ou intrigue) est une structure à part entière et son axe est vertical. L'événement du film évolue à l'intérieur de lui-même, au lieu d'évoluer à travers le temps ou en direction de son dénouement. Les deux éléments principaux sont la durée et le rythme.

The Paris Suite VII, 2007, Lithographie sur BFK Rives H 54 x L 54 cm, Item éditions, Paris
(Photo : Marc Domage) © David Lynch
The Paris Suite IX, 2007, Lithographie sur BFK Rives H 54 x L 54 cm, Item éditions, Paris
(Photo : Marc Domage)© David Lynch