Abbas Kiarostami entre orient et occident
Conférence-débat avec Alain Bergala
dans le cadre des séminaires des cahiers du Cinéma, du Café des images et du CDN, le dimanche 10 décembre.

Le parcours de Kiarostami est exemplaire, il appartient à la poignée des très grands cinéastes. Je vais essayer de montrer que son originalité tient à sa position particulière entre occident et orient.

La Perse a toujours été un lieu d'échange entre l'orient et l'occident ; aussi bien de part sa position géographique que politiquement et ce pendant des siècles. Elle est aussi un lieu d'échange artistique notamment dans l'art de la miniature.

Abbas Kiarostami : un artiste en son pays

Kiarostami hérite de cette culture mixte. Au départ, il n'a pas une vocation de cinéaste. Son premier métier a consisté à régler la circulation des voitures à Téhéran. Il dessine aussi. Il fait ses débuts grâce à l'ancien régime la shamanou étant passionnée par le cinéma pour enfant et avait monté un festival de film pour enfants de très grand luxe à Téhéran. Elle a également fondé l'institut Kanun pour le développement intellectuel des enfants et des adultes qui comporte un département cinéma. C'est dans ce cadre que Kiarostami a réalisé ses premiers films, pédagogiques et didactiques apprenant aux enfants comment se brosser les dents.

Le pain et la rue (1970) est son premier moyen métrage. Mais c'est Où est la maison de mon ami ? (1987) qui le révèle à la cinéphilie mondiale. L'institut Kanun reste toujours aujourd'hui l'un des commanditaires de ses films même si la coproduction avec la France par MK2 est devenue majoritaire.

Kiarostami continue en effet de vivre à Téhéran malgré ses déboires avec le pouvoir, le jeu continuel de rapports de force et de négociations. Il refuse d'en partir bien que chacun de ses films ne soit projeté que dans une salle en périphérie de la ville. Cette projection permet aux journalistes d'écrire que ce n'est pas du cinéma, que c'est nul et que ça n'intéresse personne.

Lorsque Le Goût de la cerise (1996) est sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes, il est bloqué pour non-respect du code de la censure qui indique très clairement et très longuement tout ce qu'il ne faut pas faire et notamment parler de suicide. Cependant, la veille du palmarès, Téhéran lâche le film. Présenté le soir même, il obtient le lendemain la palme d'or. A Cannes, Kiarostami embrasse la présidente du jury et, lorsqu'il arrive à Téhéran, où aucun journaliste n'a dit qu'il avait obtenu la palme d'or, ils sont 50 personnes à lui jeter des pierres. Les jets de pierre continueront longtemps dans son jardin

Kiarostami est non seulement cinéaste mais aussi photographe et poète et pour lui la question de savoir qu'est-ce qu'être artiste passe par le fait de rester un artiste dans son pays.

Pourtant, comme tous les cinéastes, il a été reconnu en France où sont les instances de légitimation (cahiers du cinéma, critique et coproductions).

Abbas Kiarostami : entre Rossellini et Welles

Lorsque l'on a vu son premier film distribué en France : Où est la maison de mon ami ? (1987), on a tous fait, tous les critiques y compris moi-même, la même erreur, voyant en lui l'héritier de Rossellini, qui filme la réalité telle qu'elle est pour qu'elle se révèle.

Kiarostami n'est pas un cinéphile. Il a vu très peu de films. Il n'a pas dit qu'il refusait la filiation avec Rossellini. Mais, à la vision de Close-up (1990), on s'est tous dit que nous nous étions trompés, que Kiarostami était aussi proche d'Orson Welles, d'un cinéma du faux, de la boucle et de la complication. Il est deux choses réputés contradictoires.

Et je vais essayer de montrer que cela s'explique par son rapport particulier et original à la relation entre orient et occident. Sous l'apparente simplicité de son cinéma se cache, souterrainement toute la complexité de l'orient

L'art en Iran

L'Invasion arabe date de 642. La Perse, à la grande et longue culture, adopte alors l'islam mais lui donne un caractère propre. L'Islam interdit l'imitation des créatures animées ce qui n'interdit par la figuration de personnage.

Ce qui est interdit c'est la figure comme le double d'un être vivant ainsi sont interdits l'art du portrait et la mimesis. Cet interdit ne figure pas dans le Coran où parle le prophète mais seulement dans l'un des textes qui rapporte les paroles du prophète.

Le but de l'art n'étant pas l'imitation, il y a refus de la perspective qui imite la perception humaine, de cette illusion optique qui voudrait imiter la perception du réel. L'art islamique supprime aussi les effets d'ombre et de lumière et le modelé, toutes techniques qui génèrent des formes ayant pour but d'imiter le monde. L'art islamique privilégie les aplats et génère un monde autonome de formes et de couleurs qui répond à des règles mathématiques, à des compositions secrètes que, seuls, les initiés remarqueront

L'art abstrait, géométrique, est une réponse plus radicale au danger qu'il y a à braver l'interdit de l'imitation. Dans l'islam, religion du livre elle aussi, écrire le mot dieu c'est déjà le représenter. La calligraphie devient un art, l'écriture étant à la fois signe et formule mathématique. La calligraphie est figurative : elle va d'un point à un autre pour dire quelque chose. Les formes circulaires, en spirale ou en miroir, répétitions infinies d'une même unité avec variation géométrique les arabesques avec leurs variations calculées sont un moyen d'échapper à l'imitation.

Les Perses, en acceptant l'art de l'imitation réaliste, sont en accord avec leur philosophie platonicienne : le monde que l'on voit n'est que le double d'un monde absolu. Il convient donc de, représenter vers l'absolu et non ce que l'on croit voir

Kiarostami ne valide toutefois pas cette interprétation : il veut bien parler des ses méthodes, d'esthétique mais refuse de parler de la religion : " Je suis désolé cela ne vous regarde pas" répond-il lorsque l'on l'interroge sur ce domaine aussi bien en privé avec des amis qu'en public lorsqu'il est interpellé par la salle.

Pourtant Kiarostami est bien ce cinéaste sensible de la captation des choses et le cinéaste de la géométrie et de l'organisation secrète

Projection d'une dizaine de miniatures persanes.

Cette projection commentée de reproductions de miniatures prépare la projection des extraits de films qui seront présentés ensuite et dans lesquels on retrouvera soit des motifs identiques soit le goût des aplats qui rachètent ou expient des représentations trop perspectivistes ou des gros plans en désaccord avec l'idéalisme perse et l'interdit islamique.

Les motifs

L'arbre en haut d'une colline ou la répétition du motif de l'arbre sont très présents dans les miniatures persanes. Ici : photogrammes de séquences au début et à au milieu du film Le vent nous emportera (1999).

Les troncs d'arbre, "le code barre", signe qui empêche la communication. Dans Au travers des oliviers, le garçon interroge la grand-mère puis la fille

 

Le devenir minuscule des personnages dans l'aplat de couleur

Le vent nous emportera (1999). Très gros plan de visage comme racheté par un pur aplat de couleur.

Dans Au travers des oliviers plan perspectiviste avec barrière, fenêtre qui finit sur un aplat de couleur pure. La caméra, comme l'œil la machine, obéit aux règles de la perspective rechercher une représentation autre pas maladroite mais obéissant à d'autres règles Lettre vidéo où la figure est évacuée : le dernier mouton est chassé par la voiture laissant un pur, les figures évacuées ou , le ciel, le devenir minuscule des personnages,


Ligne en Z géométrique

Deus autres figures du chemin en Z dans Le vent nous emportera (1999).

La figure du chemin en Z provient de Où est la maison de mon ami ? où Kiarostami a fait faire un chemin en Z dans un exercice de mise en scène proche du Land art : il a transformé la nature en gravant sur elle.

Ce chemin est sur une colline à 25 km du village. Il y a ainsi 25 kilomètre entre le plan du regard du grand-père et celui du garçon s'en allant au village de son ami par le chemin. Dans Et la vie continue, Kiarostami reprend ce chemin. Il le reprend enfin dans Au travers les oliviers, (qui narre les à-côtés du tournage d'un plan de Et la vie continue). Répétition avec variations : le chemin est alors fleuri et les lieux sont cousus autrement : il y a bien une route à prendre entre le village et le chemin en Z.

Le chemin en Z est devenu ainsi une œuvre d'art, connue des Japonais qui le photographient régulièrement. C'est aussi une forme secrète, cachée et récurrente, dans le cinéma de Kiarostami.

 

Question : Ce que vous avez brillamment démontré avec Abas Kiarostami me fait penser à Carlos Saura. Il a été bon du temps de la censure et moins bon après.

Alain Bergala : c'est vrai que, souvent, la censure oblige à être intelligent

Question : Avec Ten (2002), Kiarostami joue aussi de la répétition et des variations : juste une voiture avec deux personnes.

Alain Bergala : oui Kiarostami connaît aussi les répétitions à l'occidental du type de celles de Warhol. Five est une oeuvre d'art contemporaine. Au début on a des formes mangées par le blanc du soleil qui se lève. La figure, des chiens qui se réveillent, surgit de l'informe et y retourne. On est entre art et cinéma. Marin Karmitz, qui a longuement hésité entre marché du cinéma et marché de l'art, s'est finalement décidé vers ce marché, sans doute plus porteur en terme de recettes.

Question : est-ce que le fait d'être oriental change les choses dans l'utilisation des mouvements d'appareils ?

Alain Bergala : sans doute plus de travellings empruntant le sens de lecture perse : de la droite vers la gauche. A vérifier...

 

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