Présente

Les bourreaux meurent aussi de Fritz Lang

DVD Les bourreaux meurent aussi

Editeur : Carlotta-Films, juin 2008. Nouveau master restauré, version originale, sous-titres français. Format 1.33. Durée du Film : 2h15. DVD 1 : version longue originale. DVD2 : version courte tronquée pour l'exploitation en France et suppléments

Suppléments:

 

Dans Prague occupée par les Nazis. Le 27 mai 1942, le Reich Protektor Heydrich vient d'édicter de nouvelles mesures de terreur à Prague quand il est assassiné par le Docteur Svoboda, membre d'un réseau de résistance tchèque dirigé par Dedic. Menacé par l'alarme donnée et le couvre-feu, le Docteur Svoboda finit par se réfugier chez la famille du professeur Novotny, un ancien révolutionnaire dont la fille, Mascha, l'a déjà aidé dans sa fuite...

 

Présentation (3 mn) de Bernard Eisenschitz

Lors de la première projection américaine, le 22 mars 1943, les journaux indiquent une durée de 135mn ou de 131mn. Lang avait signé pour un film d'une heure trois-quarts maximum, les durées plus longues étant réservées aux super productions. Malgré tout, Lang n'a jamais coupé de lui-même dans son film terminé.

Mais lorsque le film sort en France à la libération en août 47, il sort parmi d'autres avec un gros arriéré. Le distributeur coupe le film et le ramène à 1h55. Un contretype de cette mutilation est conservé dans un laboratoire français. Il est donc facile de faire des copies.

En 1963, Pierre Rissent et Claude Makowsky sortent le film dans sa version intégrale avec l'aval de Lang. C'est une révélation. Ce qui avait été coupé, c'est l'alternance entre les différentes histoires.

Pourtant, ce sera souvent la version de 47 qui sera projetée en salle ou diffusé à la télévision.

La collaboration Brecht / Lang (28 mn) par Bernard Eisenschitz

Analyse érudite et passionnante de Bernard Eisenschitz, historien du cinéma autour de la collaboration entre Brecht et Lang sur le film. Bernard Eisenschitz retrace la genèse du film réfute un certain nombre d'idées fausses sur la mésentente entre les deux auteurs allemands. Il indique que la structure épique du film tient essentiellement à Brecht. Lang a voulu cette structure et a, en revanche, fait sien, contre Brecht les caractéristiques du bourreau et du peuple. Lang a aussi choisit les acteurs avec une intelligence que Brecht n'a pas perçue.

1 - Genèse

En 1942, Lang est sans contrat. Il vient de faire trois films pour la Fox puis deux films interrompus où il a été remplacé et son contrat d'un an a ainsi expiré. Sans projet depuis plusieurs mois, sa carrière américaine est vacillante.

Lang est l'un des fondateurs du comité antifasciste d'Hollywood. Ce comité aide des émigrés à trouver du travail et à fuir l'Allemagne. Lang aide notamment Bertold Brecht qui se trouve en Suède depuis 1939. Il correspond avec lui comme l'indique le dossier du FBI et contribue pour une large part à l'arrivée de Brecht aux USA en 41.

Depuis 42, le reich protecteur de Tchécoslovaquie, Heydrich (qui à Paris a organisé la solution finale) fait une politique de terreur avec des fusillades de masse. La résistance londonienne décide de l'exécuter, probablement contre l'avis de la résistance sur place. Un commando parachuté exécute Heydrich dans sa voiture. Suit une violente répression avec le massacre du village de Vidiche un mois plus tard en juin 42 jusqu'au siège d'une église dans laquelle les auteurs de l'attenta sont réfugiés et l'assassinat de tous les résistants qui se trouvent dans cette église. La nouvelle parvient aux Etats-Unis sans que l'on sache rien des conditions de l'attentat ni des circonstances de l'exécution des otages.

Dès juin, Lang se met en quête d'un producteur et engage Brecht a titre personnel pour trouver un synopsis autour de l'assassinat de Heydrich et des otages. Ils travaillent du matin au soir et, début juillet, deux textes sont prêts : 437, un texte d'une trentaine de pages et Never surrender de 80 pages.

Lang trouve un producteur en la personne d'Arnold Pressburger. Il arrive d'Europe et a produit un seul film aux USA, Shanghai gesture de Sternberg. Lang avec son texte de 80 pages peut s'imposer comme producteur pendant que Pressburger trouve les financements dans les banques. Les artistes associés entrent dans la distribution. Lang peut alors engager un autre scénariste, John Wexley, auteur du scénario du premier film anti-nazi de la Warner qui parle bien allemand et qui s'entend bien avec Brecht. Ainsi de juillet à septembre, deux scénaristes travaillent ensemble sous les indications d'un producteur-réalisateur.

A un moment, Brecht parvient à persuader Wexley de travailler avec lui seul, séparément de Lang, pour développer ce qu'il appelle un "scénario idéal" où l'on trouvera plus de scène avec le peuple. Brecht, il l'écrit dans son journal, prévoit ensuite de présenter ce scénario à Lang pour discussion. Irène Bonot, chercheuse américaine, a examiné les fonds Brecht et Lang : ce scénario idéal n'a jamais consisté qu'en un polissage des premières scènes du scénario. Wexley écrit d'ailleurs à Lang de regarder ce polissage du scénario avec un œil neuf, pas comme ce qu'il a leur a demandé. Lang prend ça très mal. Il engueule Wexley et lui réaffirme qu'il fait un film pour le grand public et se fout des scènes avec le peuple.

 

2- Pas de divergence poétique et politique

Lang veut engager un troisième scénariste, Gunsbourg, car le film qu'il a prévu avec Brecht durera trois heures. Ce scénariste qui a travaillé à la radio réduit le film mais au-delà d'une durée normale. Gunsbourg conseille de suivre classiquement la jeune femme et son fiancé plutot que de passer d'une histoire à une autre. Gunsbourg propose d'éliminer l'intrigue avec Czaka, l'espion de la Gestapo.

Or cette construction épique, selon le terme de Brecht, qui s'oppose à la conception dramatique, on la retrouve aussi bien chez Lang (M le maudit) que chez Brecht (Grandeur et misère du 3ème Reich).

Il n'y a donc pas, d'un coté, un magnifique scénario de Brecht, complètement révolutionnaire que malheureusement nous ne pouvons pas trouver et qui a disparu et, de l'autre, ce pauvre Lang, complètement hollywoodisé, commercialisé qui en a fait ce film de suspens indigne de Brecht et du Lang allemand.

Lang veut faire un film anti-nazi et veut toucher le public américain. Il garde notamment le vibrant hommage du scénario de trente pages à la démocratie américaine, celle de la Tchécoslovaquie avant Heydrich était très proche de l'américaine. Brecht déclare que le cadre du film est celui d'une Résistance nationale bourgeoise.

La structure épique est donc conservée avec quatre intrigues qui finissent par se rejoindre : l'auteur de l'attentat, la fille d'un otage, le traître, le brasseur Czaka et l'enquête policière de l'inspecteur Gruber de la Gestapo.

Il n'y a pas non plus de divergence politique entre Lang et Brecht. Le film est conçu alors que fait rage la bataille de Stalingrad. Il n'y a alors aucune divergence entre les émigrés. Ce qui compte, c'est la lutte contre le nazisme. Les divergences politiques se feront jour après la bataille de Stalingrad et que l'on sait la victoire sur le nazisme en marche.

 

3- Les points de désaccord : les scènes coupées, les acteurs, Heydrich, le rôle du peuple.


Brecht est en désaccord quand il voit que son scénario a été réduit par les deux autres notamment des scènes avec le peuple et notamment des conflits entre otages.

Brecht qui assiste au tournage n'aime pas les acteurs. Il veut des acteurs épiques pour le traître. Il voudrait Oskar Homolka mais Lang ne veut pas d'acteurs allemands pour les rôles de tchèques qui auraient alors un accent allemand. Il veut pour les Tchèques des acteurs anglophones alors que les Allemands sont joués par des allemands avec la gestuelle du théâtre allemand.

Brecht veut que sa femme, Helen Wiegel, obtienne un rôle. Mais Lang n'en veut pas. Elle est l'une des femmes révoltées de Metropolis et Brecht a prévu pour elle le rôle muet de la marchande de légumes. Lang rajoute quelques répliques au rôle et affirme que son anglais n'est pas assez bon. En fait, il manque d'empathie avec son jeu trop théâtral.

Brecht fait de Heydrich, un tyran intelligent qui joue la carte de la terreur pour influencer pour l'économie. Lang en fait une grande folle qui hurle. La terreur nazie passe avant l'intelligence. Celle-ci n'est plus qu'une composante secondaire du personnage. Lang tient aussi beaucoup à montrer la déformation de la langue allemande par le nazisme.

Pour Brecht, la résistance organisée commet des erreurs et c'est la population de Prague qui corrige ces erreurs. Au milieu du film, l'héroïne, de cœur avec la résistance mais veut éviter la mort des otages lorsqu'elle se rend à la Gestapo pour dénoncer le résistant, elle est conduite par un cocher qui, acquis à la résistance l'emmène autre part. Elle déclare alors vouloir aller à la Gestapo, elle est prise à parti par le peuple. Pour Brecht elle découvre que le peuple a raison et va changer d'avis en arrivant à la Gestapo et va essayer de s'enfuir.

Pour Lang c'est l'inverse, le peuple c'est la possibilité du lynchage. Pour Lang, le peuple (M le maudit, Furie) est toujours celui qui risque d'être détourné d'une manière ou d'une autre (c'est la brutalité du nazisme qui la convainc)


Brecht ne voit pas l'intelligence de Lang dans le choix des acteurs. Walter Brennan en Novotny, vieil intellectuel révolutionnaire est aux antipodes de ses rôles dans les westerns de Hawks notamment. Il n'a ici aucune dramaturgie émotionnelle dans son jeu. Alexander Cranah qui joue Alois Gruber, l'inspecteur de la Gestapo, est également parfait pour jouer le seul personnage de bon vivant du film.

Brecht et Lang sont également d'accord pour que la machination passe par des moyens pas très éloignés de ceux de l'occupant allemand.

4 - Wexley impose son seul nom au scénario, contre l'avis de Brecht et de Lang.


Wexley revendique son seul nom comme auteur du scénario au générique. Brecht n'aime pas le film mais il est dans la nécessité de faire reconnaître son travail pour continuer dans le cinéma.

Le procès est jugé par la guilde des scénaristes. Pressburger témoigne contre Brecht, Lang et Eisler pour lui. Mais Wexley, anglophone, avait des relations avec le secrétariat et faisait mettre son nom en tête des pages. La guilde attribue le scénario au seul Wexley alors qu'il reconnaît que l'adaptation et le sujet original sont de Lang et Brecht. Fritz Lang demande que l'ordre soit inversé et que le nom de Brecht apparaisse avant le sien.

La vérité étant qu'il s'agit d'un scénario de Brecht, surtout pour la structure épique, en collaboration avec Lang et Wexley.

 

Version courte

La version courte est celle qu'a imposé le distributeur français à la libération. Comme l'a indiqué Bernard Eisenschitz, malgré l'existence d'une copie intégrale du film existant depuis 1963, c'était jusqu'à présent la version de 47 qui était projetée en salle ou diffusée à la télévision.

Le distributeur a fait les mêmes choix de coupes que celles proposées par le troisième scénariste engagé par Lang et que celui-ci a refusées. Il a coupé dans les intrigues secondaires pour se focaliser sur l'histoire entre le résistant et sa fiancée et a transformé l'intrigue épique en intrigue dramatique.

L'intérêt théorique de cette double version est donc important.

Il y a une certaine ironie à constater que l'apport essentiel d Brecht au scénario a été évacué dans la version courte mais que, contrairement à la version américaine, c'est son nom qui apparaît comme auteur du scénario. Wexley lui n'est même pas mentionné.