A tombeau ouvert

1999

(Bringing out the dead). Avec : Nicolas Cage (Frank Pierce), Patricia Arquette (Mary Burke), John Goodman (Larry Verber), Ving Rhames (Marcus), Tom Sizemore (Tom Wall), Marc Anthony (Noel), Mary Beth Hurt (Constance, l'infirmière), Cliff Curtis (Cy Coates), Nestor Serrano (Dr. Hazmat). 2h01

À Manhattan, l'ambulancier Frank Pierce souffrant de dépression et d'épuisement professionnel n'ayant sauvé aucun patient depuis des mois. Il commence à halluciner les fantômes de ceux qui sont perdus. Une nuit, Frank et son partenaire Larry répondent à un appel de la famille de M. Burke qui est en arrêt cardiaque. Là, Frank se lie d'amitié avec la fille désemparée de Burke, Mary, une ancienne junkie, et découvre que Mary était amie avec Noel, un toxicomane et délinquant qui est fréquemment envoyé à l'hôpital.

Après quelques appels mineurs, Frank et Larry répondent aux conséquences d'une fusillade, où Frank remarque que deux flacons d'héroïne "Red Death" sortent de la manche d'une victime survivante. À l'arrière de l'ambulance avec Frank et Noel, la victime tente de se repentir de ses habitudes de trafic de drogue mais meurt avant de pouvoir atteindre l'hôpital.

Le lendemain, Frank est jumelé avec Marcus, un homme excentrique et religieux, et les deux répondent à un homme qui serait en arrêt cardiaque dans un club. À leur arrivée, Frank diagnostique qu'il souffre en fait d'une surdose causée l'héroïne "Red Death". Alors que Frank injecte du Narcan à l'homme, Marcus commence un cercle de prière avec les amateurs de club, déconcertés. Juste au moment où sa prédication atteint son apogée, l'homme en surdose reprend conscience.

Sur le chemin du retour à l'hôpital, Frank visite l'appartement de Mary pour lui dire que l'état de son père s'améliore. Frank et Marcus répondent alors à un appel d'un jeune homme dont la petite amie donne naissance à des jumeaux. Frank et Marcus emmenent en urgenceles deux nourrissons et la mère à l'hôpital. Marcus conduit la mère et le jumeau en bonne santé à la maternité, tandis que Frank tente de faire revivre l'autre jumeau avec le personnel de l'hôpital. L'hôpital est incapable de faire revivre le plus petit jumeau. Frank, consterné, commence à boire avant que Marcus ne le rejoigne et écrase l'ambulance dans une voiture garée.

Le lendemain matin, Frank voit Mary quitter l'hôpital et la suit dans un immeuble; Mary dit à Frank qu'elle rend visite à un ami et il l'escorte jusqu'à la chambre. Après avoir attendu un moment, Frank fait irruption et découvre qu'il s'agit d'un repaire de drogue, L'oasis, dirigé par un dealer nommé Cy Coates. Mary admet qu'elle a replongé pour faire face à l'état de son père. Alors que Frank essaie de la faire partir, Cy lui propose des pilules.

Dans un moment de désespoir, Frank prend la drogue et commence à halluciner, voyant les fantômes de ses patients. Une fois sobre, il emène Mary hors du bâtiment. En visitant Burke, comateux, à l'hôpital, Frank commence à entendre la voix de Burke dans sa tête, lui disant de le laisser mourir. Au lieu de cela, Franck redonne vieà Burke.

Lors du troisième jour, Frank travaille avec Tom Wolls, un homme enthousiaste aux tendances violentes. Un couple appele du repaire de drogue de Cy où une fusillade s'est produite. Cy est empalé sur une balustrade. Frank s'accroche à Cy alors que les services d'urgence coupent la balustrade, mais les deux sont presque projetés dans le vide. Rattaché au balcon par un cable, Frank sauve la vie du dealer en le maintenant par les bras au-dessus du vide. Cy remercie alors Frank de lui avoir sauvé la vie et devient le premier patient que Frank a sauvé depuis des mois.

Par la suite, Frank accepte d'aider Tom à attraper Noel. Frank recommence à avoir des hallucinations, en sortant juste au moment où il tombe sur Tom en train de battre Noel avec une batte de baseball. Alors que Frank rend à nouveau visite à Burke, la voix plaide à nouveau pour la mort et Frank enlève l'appareil respiratoire de Burke, provoquant un arrêt cardiaque. Frank se dirige alors vers l'appartement de Mary pour l'informer qu'il est mort. Mary accepte la mort de son père. Frank s'endort aux côtés de Mary.

On peut voir le film comme un drame en trois actes avec trois nuits qui se suivent et se ressemblent. Chaque soir, mal réveillé d'un sommeil trop bref, Frank arrive au bureau, se voit attribuer un nouvel équipier et monte dans son ambulance. Puis il part dans la nuit, d'une fusillade à un accident dans les rues de New-York, ballotté d'une cour des miracles à l'autre, pour repasser par l'hôpital à intervalles réguliers. C'est le même circuit, il revoit toujours les mêmes lieux, les mêmes visages, les mêmes corps souffrants. Il y a Noel, le cinglé présumé à l'étrange maladie (il a soif mais boire lui est interdit) et Oh, le clochard malodorant.

Au début du film, Frank Pierce est déjà mal en point. Il a le regard fortement halluciné que Nicholas Cage sait prendre. Robert De Niro peut donner l'impression d'une machine infernale prête à exploser. Cage, lui, irradie la douleur et la folie à dose constante, donnant à ses traits lourds une étrangeté, un déséquilibre qui imprègnent tout le film. Le drame se transforme alors en mission, moins celle de sauver les gens que de les empêcher de mourir.

Cette mission, que l'on peut entendre au sens religieux du terme, Frank Pierce la vit comme une Passion. Le calendrier hebdomadaire l'indique : le récit commence un jeudi soir et se finit un dimanche matin. La récurrence des symboles tirés des évangiles ne laisse aucun doute : à ses côtés, ses collègues d'ambulance tiennent la place des larrons, plus ou moins bons : Larry (John Goodman), un professionnel sans imagination ; Marcus (Ving Rhames), qui ne fait plus de différence entre intervention divine et secourisme ; Tom (Tom Sizemore), qui se voit bien en cavalier de l'Apocalypse. Viennent renforcer l'imagerie chrétienne : Noel, le drogué qui prétend venir du désert ; Patricia Arquette, qui se prénomme Mary ; un dealer qui termine crucifié ; le plan final rappelant explicitement une Pieta.

Le principe moteur du film est de faire osciller son héros perdu entre deux figures féminines : Mary, la fille d'un homme qu'il a provisoirement arraché à la mort, ancienne toxicomane, ancienne catholique, elle s'est repliée sur elle-même aussi sûrement que Frank s'est lancé à corps perdu dans l'autodestruction. Patricia Arquette prête une violence émouvante interprète ce personnage ingrat. L'autre femme n'est qu'une apparition, un fantôme, celui d'une victime que Frank n'a pas su sauver et qu'il croit reconnaître à chaque coin de rue. L'une lui donne une chance de revenir vers la réalité, l'autre l'enfonce dans son imaginaire mortifaire.

Comme dans Casino, le personnage se trouve confronté à un enfer parce qu'il ne peut pas voir la réalité. Enfermé dans un travail harassant, perpétuellement condamné à l'échec, il vit comme ses collègues dans un imaginaire qu'il s'est fabriqué. La mise en scène, par l'importance accordée aux effets de vitesse, de couleur, à la musique et à la symbolique christique, s'installe délibérément dans l'imaginaire.

On a dit que le film était un éloge de la compassion, un film fait pour attirer l'attention sur le grave dénuement dans lequel sont tenus les sans-abri new-yorkais. Si la dimension documentaire est bien présente,en revanche les dimensions morale et sociale me semblent absentes du film. Il me semble même qu'il s'agit de tout le contraire. Le christianisme est systématiquement détourné pour servir de repoussoir à cette compassion stérile au profit d'un éloge du combat avec le réel. Entièrement centré sur le personnage de Frank, c'est lui -nous- que le film essaie de sauver ou d'alerter. Comme un autre immense cinéaste, Kenji Mizoguchi, Scorsese montre que la beauté est un danger lorsqu'elle s'éloigne du réel. Ce danger de l'imaginaire est ici symbolisé par "l'oasis", cet appartement repos où le dealer tente de faire dormir les personnages souffrants. Artificielle et ambiguë (le repos est probablement un bien mais qu'en est-il de la drogue ? de son prix ?), "l'oasis" est le dernier refuge d'un Christ moderne. En sauvant celui-ci Frank réalise le sauvetage ambigu d'un sauveur ambigu ; posture sans issue que viennent ironiquement surcharger les feux d'artifice.

S'il existe une porte de sortie, elle est plus probablement à chercher du côté de Mary qu'à force d'obstination Frank finit par séduire.