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Stromboli

1950

(Stromboli terra di Dio). Avec : Ingrid Bergman (Karin), Mario Vitale (Antonio), Renzo Cesana (Le pretre). 1h47.

Printemps 1948. Un camp d'accueil pour étrangères venues se réfugier en Italie avec la guerre mais en situation irrégulière. Karin Bjornsen souhaite émigrer en Argentine mais faute de mieux se dit aussi prête à épouser l'un des soldats revenus des geôles ennemies et bientôt en partance pour leur village qui les fréquentent de l'autre côté des barbelées. Ainsi Karin se laisse-t-elle faire la cour par Antonio, un jeune soldat faisant parfois usage d'un dialecte qu'elle ne comprend pas mais qui la demande en mariage avec insistance. Il lui propose de l'emmener vivre sur son île en méditerranée. Aux consul argentin, Karin déclare qu'elle est née à Kovno en Lituanie en 1920. Elle vivait en Tchécoslovaquie avec son mari architecte tué à l'arrivée des Allemands. Elle a fui en Yougoslavie et est entrée avec de faux papiers en Italie. Elle présente une lettre de sa famille en Argentine, jugée insuffisante et son émigration est refusée. Karin épouse Antonio pour sortir du camp.

Le voyage jusqu'à Messine puis pour l'île de Stromboli est long même si Antonio est prévenant. Sa déception est toutefois immense lorsqu'elle découvre l'île volcanique. L'endroit est aride, désespérément pauvre, toujours menacé par une éruption du volcan. Le prêtre rencontré en chemin lui confirme que la vie est dure et même ceux qui sont nés ici sont presque tous partis en Europe, aux États-Unis ou en Australie. Après une nuit sans sommeil, Karin s'emporte contre son mari qui n'a que 19 000 lires d'économie. Elle s'estime d'une autre race et qu'il faut plus de moyens pour vivre. Elle erre dans les rues et ne rencontre qu'un gamin qui refuse de lui parler. Heureusement, des hommes âgés, des maçons formés en Amérique, sont dans la maison pour la réparer, appelés par Antonio.

Karin écrit sur un rocher quand le prêtre vient tenter de l'encourager à rester. Karin dit aimer son mari mais vouloir partir; les efforts d'Antonio pour avoir trouver un travail n'y changent rien. le prêtre lui conseille de prendre soin de sa maison.

Antonio revient enthousiaste de la fructueuse pêche de bonites et part à Messine vendre le poisson directement. Suivant les conseils du prêtre, Karin fait des rideaux, peint les murs mais les femmes qui viennent à sa porte refusent d'entrer et la tante la tance : "Tu n'as aucune modestie". Elle échoue à faire valoir sa différence.

Elle veut faire coudre sa robe et l'ouvrier ne la dissuade pas d'aller chez la couturière à la mauvaise réputation. Alors qu'elle est encore chez elle, des célibataires viennent lui chanter une sérénade. Antonio la ramène à la maison mais se met en colère la menaçant mais il est surtout triste que la pêche ne lui a rapporté que 30 000 lires . En se faisant employé comme simple pêcheur, sans son bateau qui a pourri pendant la guerre, il est exploité d'autant que l'on sait qu'il doit travailler pour entretenir sa femme. Mais rien ne semble le décourager.

Karin vient se plaindre au prêtre et tente même de le séduire pour le 30 000 dollars qu'il a reçu d'un émigré américain pour le village: elle avoue avoir couché avec un Allemand pour survivre et avoir besoin de cet argent pour partir. Le prêtre déjoue sons stratagème et lui conseille d'être humble.

En rentrant, elle s'attendrit devant un furet en cage qu'Antonio a acheté. Il lui indique que c'est pour les lapins nécessaires à la pêche au thon du lendemain et, attrapant un lapin, il libère le furet qui l'égorge, écœurant Karin qui le traite de sauvage.

Karin se repose sur un rocher face à la plage et suit une troupe de gamins qui chassent le poulpe. Le gardien du phare vient en bateau à leur rencontre et lui fait observer une pieuvre. Elle glisse, il la rattrape et l'enlace; elle est prête à se laisser embrasser quand elle surprend le regard des femmes du village qui les observe. Elle rejoint la plage.

Quand Antonio rentre le soir, il est la risée des hommes du village qui le traite de cocu à travers des fenêtres fermées. Il va s'en prendre à un groupe sur la place quand sa tante le retient lui indiquant que c'est la faute de sa femme qui "fait la coquette". Furieux, Antonio rentre chez lui où Karin lui a préparé à manger et la frappe de plusieurs coups avant qu'elle ne se relève. Le matin, elle regarde une rougeur à sa joue pendant qu'Antonio remet ses portraits de famille sur la commode. Il l'entraîne ensuite à l'église pour la messe et défie l'assemblée qui semble réprouver leur venue.

Le jour de la pêche au thon, elle vient rejoindre Antonio, heureux de son intérêt. Elle assiste horrifiée à la remontée des filets où les thons piégés sont ramenés à coup de harpons dans les barques. Au retour, elle lui dit être enceinte depuis trois mois.

Une éruption du Vésuve envoie des pierres sur le tout de la maison, Karin fuit avec les habitantes du village qui rejoignent avec les enfants les bateaux des pêcheurs sur le rivage qui les entraîne un peu plus loin au large pendant que le Vésuve crache lave et fumées. Ils passent la nuit sur les bateaux et rentrent le matin. La décision de Karin est irrévocable: elle va partir ne pouvant accoucher ici. Elle réclame l'argent à Antonio et fait ses valises. Mais Antonio l'enferme depuis l'extérieur avec une planche cloutée.

Karin appelle au secours et le gardien du phare, en bateau, approche. Il ouvre la porte; elle l'entraîne dans une grotte et se plaint d'être battue, de vouloir gagner Ginostra en passant par le volcan et d'emprunter un bateau à moteur. Elle a besoin d'argent et se donne à lui.

Un matin, Karin prend sa valise et son sac à main rempli des billets du gardien de phare et grimpe vers le Vésuve. Mais de la fumée lui fait perdre valise et argent. Elle grimpe encore quand la nuit tombe mais finit par s'écrouler sur le sol : "c'est fini, je ne peux pas, assez. Le courage me manque. J'aimerais mieux mourir. J'ai peur". Puis, regardant le ciel  étoilé :  "Dieu, si tu existes, donne moi un peu de paix. Donne moi un peu de paix".  Au matin, elle se réveille sous un ciel pur "Oh mon dieu, mon dieu, quel mystère, quelle beauté". Puis marchant en regardant le village, elle dit "Non, je ne peux pas y retourner. Je ne veux pas. Ils sont horribles. Tout est si horrible. Ils ne savent pas ce qu'ils font. Mais je suis encore pire" ; regardant son ventre : "Je te sauverai mon enfant" ; regardant le ciel "Dieu. Mon Dieu. Aide-moi. Donne moi la force, la compréhension. Le courage. Dieu mon dieu, dieu miséricordieux ; mon Dieu, mon Dieu".

"Je me laissais rechercher de qui ne me demandait pas; je me laissais trouver de qui ne me recherchait pas" (Ésaïe 65-1). Les verset de la bible en exergue du film, tout comme d'ailleurs le titre original "Stromboli terra di Dio", indiquent sans doute de manière plus claire que la fin ambiguë quel sens Rossellini entend donner à son film.

Comme il l'a indiqué lui-même dans le célèbre entretien donné au Cahiers du cinéma : "Le néoréalisme est une position morale de laquelle on regarde le monde. Elle devient ensuite une position esthétique, mais le départ est moral". La position morale du film est donc la révélation pour Karin d'une chose plus grande que les petits stratagèmes utilisés jusque-là pour mener sa vie.

" Le néoréalisme, disait Bazin, c'est la primauté donnée à la représentation de la réalité sur les structures dramatiques. La réalité n'est pas corrigée en fonction de la psychologie et des exigences du drame, elle est toujours proposée comme une découverte singulière, une révélation quasi documentaire conservant son poids de pittoresque et de détails". Jusque-là tout avait fait horreur à Karin : le village déserté dans laquelle elle erre, le furet, la pêche au thon, l'éruption du Vésuve (non prévue, elle s'est parfaitement intégrée au film). Karin continue d'utiliser ses charmes pour parvenir à ses fins : elle s'est mariée à un architecte pour fuir la Lituanie où elle est née, elle a pris un amant allemand pour survivre à la guerre, elle est prête à séduire le prêtre et séduit le gardien du phare pour obtenir l'argent de sa fuite. C'est de contempler la grandeur du Vésuve au petit matin qui d'un coup la transfigure et la changera, qu'elle décide ou non de quitter l'île. Il est probable qu'elle ne le fera pas : les mouettes volant en  descendent, indiqueraient plutôt qu'elle va rejoindre le village.

Rossellini, en plein idylle avec Ingrid Bergman, lui impose un rôle ingrat alors que la star, au fait de sa gloire en Amérique, lui a écrit à peine un an plus tôt avant de tomber amoureuse de lui et de braver le scandale. Les journalistes ne manqueront d'ailleurs pas de suivre le tournage. Qui plus est Rossellini et Bergman briseront leur deux mariages pour vivre leur amour qui s'achèvera huit ans plus tard mais jalonné de chefs-d'œuvre: Europe 51 (1952), Voyage en Italie (1954), La peur (1954) et Jeanne au bûcher (1954).

Jean-Luc Lacuve, le 13 novembre 2025

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