Still life

2006

Voir : photogrammes du film
Genre : Drame social
Thème : Ouvriers

Festival du film asiatique de Deauville 2007(Sanxia haoren). Avec : Tao Zhao (Shen Hong), Han Sanming (San Ming). 1h48.

Chine. Ville de Fengjie en amont du barrage des Trois-Gorges. San Ming fait le voyage dans la région pour retrouver Mâ, la petite qui habitait là il y a une vingtaine d'années.

Aujourd'hui, l'immeuble, la rue, le quartier où elle a vécu ne sont plus qu'une tache verte, engloutie sous les eaux du barrage des Trois-Gorges. Le guide un peu escroc qui l'a accompagné propose de le conduire dans les locaux des autorités administratives qui pourront le renseigner sur la nouvelle adresse de Mâ. L'ordinateur est hélas hors service...

Son guide lui négocie une chambre chez l'habitant. Les locataires se la jouent un peu, un jeune garçon lui chipe une cigarette. "Cigarette" vient s'inscrire en incrustation pendant qu'à la télévision un héros de pacotille allume une cigarette à l'aide d'un billet de banque. Dans la séquence suivante, un jeune homme lui en demandera une qu'il allumera en singeant avec un bout de journal ce qu'il a vu faire à la télévision. San Ming explique sa recherche à son propriétaire qui connaît l'adresse de Mâ l'aîné : un bateau au bord du fleuve.

Son beau-frère ne le renseigne qu'avec parcimonie sur le devenir de Mâ, la petite, sa femme qui l'a quitté et surtout sur sa fille, objet principal de son voyage. Son beau-frère et ses trois frères refusent son cadeau, deux bouteilles d'alcool ; "Alcool" vient s'inscrire sur la bouteille filmée telle une nature morte. Ils lui conseillent d'attendre son retour d'ici un mois ou deux.

San Ming, en attendant le retour de sa femme qui travaille probablement en aval du fleuve, se fait embaucher comme démolisseur des maisons de la future ville engloutie. Il se lie d'amitié avec une prostituée dont le mari est amputé d'un bras et dont la fille était camarade de classe de la sienne ainsi qu'avec un jeune homme mi-désœuvré mi-gangster, frère Mark, avec qui il échange son numéro de téléphone portable et leurs sonneries si particulières.

Dans la même ville, une femme, Shen Hong, cherche son mari, Guo Bin, disparu depuis deux ans. Il a disparu de l'usine où il travaillait ne laissant que de maigres affaires dont un paquet de thé. "Thé" s'inscrit sur le paquet en gros plan. On lui indique qu'il travaille maintenant de l'autre coté du fleuve.

Là, elle s'en va retrouver l'ami de son mari qui dirige des fouilles archéologiques. Celui-ci lui apprend que Guo Bin a fait du chemin pour devenir le second indispensable de la dirigeante du groupe immobilier chargé de reconstruire les villes qui profiteront du barrage. Ils le cherchent vainement tout l'après-midi, dans son QG de démolisseur, au siège du groupe immobilier, dans une fête le soir.

Le matin, l'ami archéologue a retrouvé le mari. Mais Shen Hong ne veut plus le voir. Il la rattrape en voiture, et l'entraîne dans un pas de deux au pied du barrage et tente de la reconquérir. Mais il apprend qu'elle n'est venue que pour demander le divorce. Ils s'en retournent chacun de leur coté.

"Bonbon" s'inscrit dans le ciel nuageux de Fengjie. Frère Mark offre un bonbon à San Ming et part pour une expédition punitive commandée par Guo Bin. Ils promettent de se retrouver le soir au restaurant où San Ming l'attendra vainement. Le lendemain, grâce à sa sonnerie de portable, il le découvre sous un tas de pierres. Il le porte pour son enterrement près du fleuve.

Son propriétaire voit sa maison condamnée à la démolition et la prostituée s'en va seule, abandonnant son mari amputé, chercher du travail dans une région plus hospitalière. Puis Ma l'aîné le prévient que le bateau de sœur vient d'accoster. Celle-ci regrette de s'être dérobée, il y a seize ans, à l'amour de son mari parce qu'il l'avait, selon les coutumes de l'époque, achetée à sa famille. Elle est elle-même aujourd'hui à la merci de la dette qu'a contracté son frère Mâ l'ainé auprès du commerçant qui l'emploie. San Ming négocie son rachat.

Il devra retourner dans son pays pour gagner l'argent nécessaire. La paie d'un mineur est quatre fois plus élevée que celle d'un démolisseur mais le risque de mourir y est plus élevé. Ses compagnons qui voulaient le suivre hésitent. Pourtant tous partiront sans doute le lendemain. Avant de partir prendre le bateau, San Ming contemple un funambule en équilibre précaire entre deux maisons.

Still life et The world ont en commun un titre aussi sobre que lyrique qui résonne avec un décor symbolique de la métamorphose du capitalisme chinois. Dans les deux films, Jia Zhang-ke parle du changement à travers le destin d'individus qui subissent l'évolution du monde, mais qui portent en eux l'espoir d'un monde meilleur.

L'intérêt et l'émotion constante du film tiennent à une dramaturgie minimale, qui permet à Jia Zhang-ke de glisser dans les creux du récit des symboles inattendus. La surprise finale de l'histoire d'amour qui se renoue entre San Ming et son ex-femme se trouve alors liée avec la dimension symbolique présente dès le début du film où les travellings sur les passagers dans le bateau pour remonter jusqu'à San Mingassis à l'arrière se fait à contre-courant de la marche du navire dont on apprend bientôt qu'il se nomme "The world".

Natures mortes : des symboles incertains entre la vie et la mort.

Si le film fait montre d'une extrême sobriété dans l'utilisation des décors naturels et dans l'expression des sentiments, il ne se prive pas de quelques effets où le metteur en scène vient nous rappeler son sujet : la fragilité et l'ambivalence du temps présent.

Sur un gros plan de cigarette, d'alcool, du thé ou de bonbons, les effets d'incrustations soulignent la révélation d'un regard, d'un don qui, peut-être, ne se reproduira plus. Nature morte cette cigarette plus volée qu'offerte, nature morte que ces bouteilles d'alcool refusées par les beaux-frères, nature morte ce sachet de thé découvert dans un placard abandonné, nature morte enfin ces bonbons (grand lièvre blanc) offerts par frère Mark avant de partir pour son dernier voyage ou reçu par son ex-femme par San Ming en haut d'un immeuble délabré. Les natures mortes dans leur destin fragile, entre ce qui est encore en vie (traduction anglaise) ou tout juste mort (ressenti français) sont encore une médiation possible dans un monde qui menace d'être englouti.

La beauté n'est pas acquise en soi par la beauté du décor naturel mais résulte de l'appropriation des symboles figés dans une éternité vide de sentiment. Ainsi, la beauté des Trois Gorges n'est jamais mieux ressentie que vue au travers du billet de banque montré par un ami pour qui s'interroge que la disparition d'un des décors emblématiques de la Chine mais qui symbolisera désormais pour San son histoire avec ces homes.

Le symbole le plus attendu est celui concernant le barrage. Jia Zhang-ke y vient comme à regret laissant le louche Guo Bin entraîner sa femme au pied du barrage dans un très artificiel pas de deux pour essayer de la reconquérir. Mais alors que l'on croyait Shen Hong revenue pour récupérer son mari, elle lui, elle nous annonce brutalement sa décision de divorcer. Et chacun d'eux de s'en repartir de son côté. Guo Bin s'est leurré : sa position au pied du barrage n'a rien arrête du tout.

Si le signe est toujours là, disponible, il dit surtout la force de l'instant et ne s'interprète que dans sa relation aux autres. La dimension métaphorique du dernier plan où un funambule marche sur un fil entre deux bâtisses dit l'équilibre précaire d'une vie fragile. La métaphore va sans doute au-delà du cas personnel du personnage, partagé entre espoir de retrouver sa femme et la crainte de mourir d'un accident à la mine.

La construction du film sous la forme de deux histoires relève de la même volonté de tendre un fil entre deux rives. L'une raconte la reconstitution d'un couple, l'autre son échec, l'une est vue par un homme et l'autre par une femme, l'une concerner un homme plutôt âgé, l'autre une jeune femme.

S'ils ne se rencontrent pas San Ming et Shen Hong croisent quelques personnages en commun. Le mari de la prostituée au bras amputé après un accident de travail quitte le domicile conjugal pour que sa femme reçoive San Ming. Cet homme viendra se plaindre au propriétaire de l'usine et le menacera avec sa famille d'un procès dans l'usine que Shen Hong visite en premier pour retrouver son mari. Amenée à traverser le fleuve, elle croise le jeune garçon qui finit de beugler sa romance amorcée dans une séquence avec San Ming. Guo Bin est aussi le dernier nom prononcé par frère Mark. C'est en ordonnant une action d'intimidation envers un mauvais payeur que le mari de Shen Hong provoque la mort de l'ami de San Ming.

La liaison entre les deux histoires, Jia Zhang-ke la souligne d'un effet numérique. Une sorte d'ovni blanc sonore part de San Ming sur la droite avant de rejoindre dans le plan suivant le regard de Shen Hong qui l'aperçoit sur sa gauche et le regarde disparaître derrière la montagne dans son dos à droite.

Le fantastique social est un engagement politique

La dimension fantastique transparaît aussi dans la référence au Metropolis de Lang. Lorsque Shen Hong se rend dans l'usine désaffectée, elle croise des ouvriers occupés à la détruire. Leurs gestes machinaux frappant sur les cercles boulonnés rappellent ceux des ouvriers de la cité sur leur machine-horloge. Les ouvriers en acceptant les ordres de la fausse Maria contribuaient à engloutir leur propre citée. N'est-ce pas aussi le destin de ces hommes en blanc comme surgit l'imaginaire de San Ming venant, étrangement, désinfecter les ruines qui seront englouties ? San Ming pourrait alors être l'ouvrier 11811 qui s'échapperait de cet enfer pour construire son destin personnel.

L'immeuble qui décolle sous le regard de Shen Hong est d'abord incompréhensible sauf si l'on admet qu'il s'agit d'un flash mental, équivalent à une décision d'en finir, de "décoller" de là de Shen Hong, qu'elle retrouve ou non son mari pour lui dire sa volonté de divorcer. A l'immeuble qui décolle répond en effet, dans l'histoire de San Ming, celui qui s'écroule après l'offrande du bonbon. Un amour qui s'en va et l'autre qui s'installe, tel pourrait être aussi un autre lien tissé par Jia Zhang-ke.

Ces liens entre histoires personnelles, ces liens qui relèvent de la symbolique humaine crânement assumés rendent dérisoires les objets de la modernité : la sonnerie de téléphone ne servira qu'à retrouver l'ami mort sous un tas de pierre, le pont qui s'éclaire comme un jouet lorsque des VIP arrivent tardivement, la jeune fille et son habit marqué "Mickey" qui demande du travail à Shen Hong. L'opinion de Jia Zhang-ke sur la Chine moderne s'y lit autant que dans la tristesse du relogement du propriétaire bon enfant sous le pont ou dans le drame du couple de la prostituée abandonnant son mari au bras amputé.

Jean-Luc Lacuve le 03/05/2007

Le film a pour décor le barrage des Trois-Gorges, sur le fleuve Yangzi, où se construit la plus grande structure hydroélectrique du monde. Défi humain, économique et idéologique de grande envergure, cette construction entamée en 1994 symbolise aux yeux du monde l'ambition chinoise, mais aussi le coût inhumain que sa conversion à l'économie de marché fait payer à son peuple et à sa tradition : plus de 1 million de personnes déplacées et paupérisées, des centaines de villes et de sites archéologiques submergés. C'est ce que décrit, Mise en eau, de Li Yifan et Yan Yü (2004), documentaire primé en 2005 au Cinéma du réel. Un jour le Nil de l'Egyptien Youssef Chahine, fut en 1964 consacré à ce monument du socialisme triomphant que fut la construction du barrage d'Assouan.

Le comté de Fengjie, du nom de la ville, est une subdivision de la municipalité de Chongqing dans la province du Sinchuan. Le barrage, à la frontière de la province du Sinchuan, est situé dans la province de Hubei.

Test du DVD

Editeur : Mk2. Durée du film : 1h47. Durée du DVD2 : 2h50.

Suppléments sur DVD 2 :

Dong (1h07, 2007) de Jia Zhang Ke. Le réalisateur suit son ami peintre Liu Xiaodong sur le barrage des Trois Gorges.

Xiao Jia rentre à la maison (1h52). Documentaire de Damien Ounouri sur le retour de Jia Zhang Ke dans sa ville natale, Fenyang.