Matins calmes à Séoul

2011

Cannes 2011  : Un certain regard. (Book chon bang hyang / The day he arrives). Avec : Yu Jun-Sang (Seongjun), Kim Bok-yung (Kyungjin /Yejeon), Kim Sang-joong (Youngho), Song Sunmi (Boram). 1h19.

Seonggjun, un professeur de faculté autrefois cinéaste, vient rendre visite à son ami Youngho à Séoul. Comme il n'arrive pas à le joindre sur son téléphone portable, il déambule dans le quartier traditionnel de Bukchon, au nord de la capitale. Il rencontre une ancienne collègue non pas professeur-cinéaste mais professeur-actrice, ravie de le revoir... ce qui ne semble pas partagé. Seonggjun s'éloigne et se promet de passer quelques jours dans la capitale pour la visiter, lire et bien manger... Et c'est tout. Dans un restaurant, il est gentiment invité par trois jeunes gens qui le trouvent sympathique. Ceux-ci se révèlent des étudiants de cinéma qui respectent Seonggjun pour avoir réussi à réaliser quatre films mais qui n'ont pas vu ses films ou ne les ont pas aimés. Leur admiration se teinte du soupçon qu'il tombe bien vite dans l'oubli puisqu'il a de lui-même abandonné ce métier pour le seul professorat dans une ville de province. Seonggjun qui a déjà bien bu leur propose de les amener dans un endroit dont ils se souviendront. Presque à la sortie du taxi, sans doute irrité par leur admiration teintée de perfidie, il les laisse en plan et fuit sous leurs regards interloqués.

Seonggjun a, de fait, rejoint le quartier de son ancienne maîtresse, Kyungjin. Il ne l'a pas revu depuis deux ans et frappe à la porte de son appartement en espérant qu'elle n'a pas déménagé. Kyungjin hésite à le laisser entrer et est offusquée qu'il n'est pu venir la voir autrement que saoul. Seonggjun, pitoyable éclate en sanglots, se dit désespéré et quémande son amour. Kyungjin est horrifiée d'un tel avachissement mais sa laisse enlacer. Le matin, les deux amants se séparent en se promettant... de ne plus se revoir. Ce qui leur ferait trop de mal à l'un et à l'autre. Kyungjin quémande quand même le numéro de téléphone de Seonggjun qui lui avoue ne pas en avoir changé mais lui interdit de le rappeler ou de lui envoyer des SMS.

Ce second matin, Seonggjun croise de nouveau la professeur-actrice qui lui dit avoir bien besoin de ses conseils pour savoir si elle doit s'obstiner à faire du théâtre. Seonggjun, une nouvelle fois, l'abandonne rapidement. Cette fois Youngho est devant chez lui et les deux amis décident d'aller manger dans un restaurant coréen. Youngho avait invité son amie Boram, professeure de cinéma, au restaurant. Ils vont ensuite au bar "Le roman". Seonggjun croit que Youngho est amoureux de Boram mais la jeune femme montre un vif intérêt pour lui surtout lorsqu'il se met à jouer du piano. Seonggjun reçoit un SMS amoureux de Kyungjin mais est surtout bouleversé par l'apparition de la propriétaire du bar du "Roman", Yejeong, en qui il croit revoir un amour de jeunesse. Il s'en va fumer dehors, espérant qu'elle sorte mais c'est Boram qui vient le voir pour discuter. Les trois amis se séparent le soir sur le regret de Boram de voir les deux amis si proches.

Le troisième jour Youngho a donné rendez-vous à un ami acteur parti au Viêt-Nam dont il est revenu le moral en berne et de nombreux kilos en plus. Seonggjun est content de le revoir puisqu'il joua dans son premier film. La rencontre tourne cependant rapidement à l'affrontement, l'acteur aigri reprochant à Seonggjun d'être devenu un minable professeur et de l'avoir évincé lors de son second film au profit d'un acteur célèbre sans même avoir pris la peine de lui téléphoner lui-même pour le lui annoncer. Il l'accuse d'égoïsme, de mesquinerie et d'avoir brisé sa carrière. Pour les réconcilier Youngho amène ses amis une deuxième fois au "Roman" où ils retrouvent Boram. La patronne, Yejeong est de nouveau en retard. Alors que Boram cherche une explication à une étrange coïncidence qui l'a fait rencontre quatre personnes du cinéma en moins de vingt- minutes dans sa journée, Seonggjun l'impressionne par son discours sur le hasard rationnalisé après coup en suite de causes et de conséquences alors que la réalité est bien plus complexe et inexplicable. Si bien que lorsque Seonggjun sort dans l'espoir de voir le rejoindre la jeune patronne, c'est de nouveau Boram qui vient discuter avec lui en lui faisant clairement des avances. Pendant ce temps Yejeong est arrivée et discute avec Youngho et l'ami acteur. Celui-ci lui explique qu'il a toujours réussi à impressionner les filles en leur disant tout et son contraire sur elles-mêmes. Ainsi quelqu'un peut paraitre gai et cacher des pensées sombres. Quand Yejeong l'interroge sur elle même, il lui déclare qu'elle parait très pratique et ordonnée mais qu'elle doit être très émotive. Yejeong est stupéfaite de cette pénétrante observation sur elle même. Elle sort alors acheter des raviolis pour poursuivre la soirée. Seonggjun se propose de l'accompagner alors que la neige commence à tomber. Sur le chemin du retour, Seonggjun embrasse Yejeong avec avidité et la jeune femme y répond de même s'enquérant du temps qu'il compte encore rester à Séoul. Au petit matin, les cinq amis se séparent.

Le quatrième matin, Youngho et Seonggjun se promènent dans le quartier de Bukchon et ce dernier y croise pour la troisième fois la professeur-actrice. Celle-ci a tout juste le temps de leur dire qu'elle est avec ses étudiants que Seonggjun reconnait ceux qu'il a planté l'avant-veille et fuit précipitamment dans le même restaurant coréen où il est déjà allé deux fois. Quand Boram les rejoint, celle-ci se fatigue de se avances sans résultats vis à vis de Seonggjun qui a dit aimer les femmes apparemment équilibrées mais profondément émotive sans lui reconnaitre ces qualités. Boram s'effondre en sanglots et Youngho explique que c'est parce qu'elle a perdu son chien. Pour la troisième fois il les amène au Roman. Yejeong sort de nouveau acheter de quoi compléter le repas de ses hôtes. Et, une nouvelle fois, mais avec un peu de retard, Seonggjun la suit. Sur le chemin du retour, il s'excuse pour ce qui s'est passé la veille. Yejeong dit ne pas se souvenir de quoi que ce soit. Seonggjun la plaque alors contre un mur pour l'embrasser encore plus avidement que la veille. Yejeong appelle alors Seonggjun son chéri et lui demande combien de temps il va rester à Seoul. Elle accepte de l'attendre à la fin de la soirée lorsque ses amis seront partis. Yejeong et Seonggjun deviennent amants et le second promet à la première de la rendre toujours heureuse.

Pourtant, au matin ils décident de ne jamais plus se revoir. Seonggjun demande trois chose à Yejeong : rencontrer un homme intéressant qu'elle saura retenir, ne boire que modérément et tenir un journal intime. En quittant le quartier, Seonggjun croise un réalisateur qui lui répond froidement puis un producteur qui ne lui promet rien puis un jeune admirateur qui est peut-être musicien et auquel il laisse son numéro de téléphone. Il croise enfin une jeune femme qui a vu et aimé ses quatre films et qui tient son journal intime en prenant des photographies. Fasciné, il accepte qu'elle le prenne en photo.

Film une nouvelle fois très gracieux, subtil et foisonnant de Hong Sang-soo réalisé avec presque rien. Il adopte cette fois une structure triple, trois rencontres avec la professeur-actrice et trois soirées au bar "Le Roman" où Seonggjun est présenté trois fois à sa propriétaire Yejeong comme si chacun des jours pouvait être indépendants. Dans cette structure en creux, réactivée tous les matins, on ne sait jamais trop où les personnes dorment. Les deuxième et troisième jours, Seonggjun dort-il ainsi chez son ami ou dans l'appartement vide de son frère ? Autre coup de force du scénario, l'actrice Kim Bok-yung interprète deux personnages Kyungjin et Yejeong sans qu'il soit dit si cette dernière rappelle la première au héros ou si la première est cet amour de jeunesse qui défraya la chronique de l'université. Le choix du noir et blanc, effectué au moment du montage seulement, est en adéquation avec l'atmosphère d'hiver comme dans La vierge mise à nu par ses prétendants (2000).

La grâce rohmerienne de la mise en scène, faite de perpétuels échos, laisse à la vie sa part de mystère qui fait que, souvent, elle offre aux personnages les plus pitoyables, égoïstes et démoralisés bien plus que ce qu'ils méritent ou cherchent. Seonggjun, alter égo bien peu reluisant du metteur en scène, se promet-il ainsi la vie la plus simple à Séoul. Il parviendra, in fine, à séduire rien moins que les quatre jeunes femmes qu'il rencontre. En effet, la jeune étudiante qu'il rencontre à la fin l'admire et peut réaliser les trois souhaits qu'il vient d'émettre pour Yejeong : rencontrer quelqu'un de bien, ne pas boire et faire son journal.

Un peu comme la neige qui tombe, la grâce est inexplicable et le hasard maître du destin. Seonggjun explique que le hasard est souvent rationnalisé après coup en suite de causes et de conséquences alors que la réalité est bien plus complexe et inexplicable. Cet appel à briser les relations causales toutes faites, les clichés, pour y introduire le mystère et la grâce, c'est là tout l'art de la mise en scène de Hong, déja exprimé, de façon plus imagée, dans Woman on the beach (2006).

On s'amusera aussi de la méthode de l'acteur pour impressionner les filles : leur dire tout et son contraire sur elles-mêmes. Ainsi quelqu'un peut paraitre gai et cacher des pensées sombres, paraitre pratique et ordonnée et être très émotive, paraitre équilibré et être fragile.

Jean-Luc Lacuve le 19/05/2012.
Retour