Laurence anyways

2012

Genre : Mélodrame

Festival de Cannes 2012, Un certain regard Avec : Melvil Poupaud (Laurence Alia), Suzanne Clément (Fred Belair), Nathalie Baye (la mère de Laurence), Monia Chokri (Stéfanie Belair), Susan Almgren (La journaliste), Yves Jacques (Michel Lafortune), Sophie Faucher (Andrée Belair), Magalie Lépine Blondeau (Charlotte), David Savard (Albert), Catherine Bégin (Mamy Rose). 2h39.

Septembre 1989, Laurence annonce à Fred, sa petite amie, qu'il veut devenir la femme qu'il a toujours eu le sentiment d'être. Fred, tempérament de feu, est scripte dans le milieu du cinéma et Laurence, funambule mélancolique, enseignant en littérature à l'université essaient de préserver leur couple.

Envers et contre tous, et peut-être bien eux-mêmes, ils affrontent les préjugés de leur entourage, résistent à l'influence de leur famille, et bravent les phobies de la société qu'ils dérangent. Pendant dix ans, ils tentent de survivre à cette transition, et s'embarquent dans une aventure épique dont leur perte semble être la rançon.

Après un drame de l'adolescence et un drame sentimental, c'est au genre du mélodrame que se confronte Xavier Dolan avec une détermination aussi flamboyante qu'obstinée. Le désir d'assumer sa position minoritaire comme une façon de vivre y est affirmé au sein de la grande forme du mélodrame.

Une femme qui s'affiche

Longueur hors norme, cadre 1,37 hors norme, personnage tabassé, rejeté mais jamais mort et toujours relevé sur une bande-son éblouissante (The Funeral Party, The Cure, la Cinquième de Ludwig Van Beethoven mais aussi Prokofiev, Depeche Mode et Fade to Grey) ; tout vient proclamer ici le désir d'être différent.

Différent mais romantique à l'extrême : La femme AZ qui est tout pour Laurence, de A à Z, à laquelle il aimerait dire "Ne me quitte pas" (les Belges parlent lentement, mais ils ont l'esprit de synthèse) ; Liberté, le poème d'Eluard tatoué au creux du dos et affiché à la bombe sur le mur de la chambre ; le Ecce homo écrit au tableau ; le linge propre et chamarré que l'on verse sur l'être aimé (Fred, l'enfant, l'ile au Noir), les listes des choses qui enlèvent beaucoup de plaisir.

Tout vient dire le plaisir de la transgression, de l'écrivain-poète assumant comme un danger, le regard désapprobateur des passants du début comme celui simplement étonné de la longue promenade dans le couloir de l'université. Tout vient dire la lutte contre la bêtise et l'uniformité qui réduisent la vie aux plus plates conventions.

Le mélodrame du couple

Laurence assume la vie dans le paradoxe, le chatoiement, la déstabilisation, le renouveau, le goût d'être spécial pour garder intacte la violence des sentiments et des émotions, voir la transsexualité, ici seulement transgression plus forte que la simple homosexualité ronronnante de la sœur. Mais le mélodrame se noue lorsque le désir d'être soi à tout prix se heurte, plus qu'aux souhaits de normalité de la société, aux contraintes du désir de l'autre. C'est Fred qui en fait les frais alors que la mère, qui avait perdu son fils, retrouve sa fille.

Les bouleversements de la chronologie (de septembre 1989 où se fêtent les trente-cinq ans de Laurence à la veille du bug de l'an 2000 où il est interviewé par la journaliste) et les décors (de Montréal à la neige des Trois-Rivières en passant par les glaces de l'île au Noir) donnent au film des ressorts suffisants pour déployer dans la longueur les rires et les larmes du mélodrame.

Jean-Luc Lacuve le 19/07/2012