Crise

1946

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(Kris). Avec : Inga Landgré (Nelly ), Stig Olin (Jack), Marianne Löfgren (Jenny), Dagny Lind (Ingeborg Johnsson), Allan Bohlin (Ulf), Signe Wirff (Tante Jessie), Svea Holst (Malin). 1h33.

Jenny, propriétaire d'un institut de beauté à Stockholm, arrive sans prévenir dans un petit bourg du sud de la Suède. Elle se rend chez Ingeborg Johnsson, qui a élevé sa fille Nelly, maintenant âgée de dix-huit ans. Ingeborg gagne modestement sa vie en donnant quelques leçons de piano et en louant une chambre au vétérinaire Ulf d'une dizaine d'années plus âgé que Nelly et très amoureux d'elle. L'adolescente est surtout préoccupée par la robe qu'elle portera à son premier bal organisé par le maire. Un pesant face à face oppose Ingeborg et Jenny, car celle-ci a bien l'intention de récupérer sa fille.

Peu avant le bal, Jenny voit arriver son amant Jack, un acteur raté, volubile et suicidaire. Le maire ouvre le bal. L'orchestre ne joue que des valses. Jack invite Nelly et lui fait son habituel numéro de séduction. Avec quelques jeunes amateurs de jazz, il perturbe la performance vocale d'une cantatrice. Nelly, qui s'est jointe au groupe des chahuteurs, suit Jack à l'extérieur de la salle. Le couple est surpris par Ulf, en proie à la jalousie. Celui-ci humilie Jack en le jetant à l'eau. Dès le lendemain, les commérages amplifient le scandale. Nelly décide de partir avec sa mère.

Quelques mois plus tard, Ingeborg qui n'a reçu que peu de nouvelles de Nelly se sent mal. Le docteur diagnostique un cancer qui ne lui laisse qu'une année à vivre. Dans la nuit, Ingeborg entend Nelly l'appeler au secours et décide de se rendre à Stockholm pour revoir sa protégée. Jenny la reçoit et lui montre le luxe dans lequel vit dorénavant Nelly. Celle-ci s'est habituée à sa nouvelle vie beaucoup plus luxueuse mais ne parvient pas à convaincre Ingeborg qu'elle est heureuse. C'est Jack, rentré très tard qui raccompagne Ingeborg à la gare et lui fait état de son amour pour Nelly qui ne serait qu'égoïsme puisqu'il est un raté sans avenir. Dans le train du retour Ingeborg est victime d'une crise d'angoisse mais sait que la crise que traverse Nelly ne pourra être résolue que par elle.

Nelly est de plus en plus attirée par Jack et quand celui-ci lui avoue un crime passé qu'il avouerait avec soulagement si elle l'accompagnait à la police, elle se donne à lui. Jenny surprend les nouveaux amants mais pense d'abord à protéger sa fille. Elle révèle à Nelly que Jack lui a servi le même discours pour l'attendrir. Jack se rend alors devant la façade du théâtre et se tire une balle dans la tête. Fortement traumatisée par cette expérience douloureuse, Nelly revient dans la maison d'Ingeborg. Elle se résigne à épouser Ulf.

Le commentaire off indique que le rideau (le store de la maison) va s'ouvrir sur ce qui est presque une comédie. C'est pourtant un drame de l'adolescence, un premier amour déçu et un retour piteux dans le paisible village dont Nelly ne sortira probablement plus. Jack est le personnage le plus étrange, sorte de diable chétif, petit garçon apeuré plutôt que gigolo sans scrupules comme on le croit au début. Il aime dire avoir "une vie de clair de lune, il s'agit de lumière irréelle et des ténèbres réelles. De la peur". Il avoue à Ingeborg qu'il a besoin de Nelly comme d'une ancre dans la réalité. Sans avoir probablement commis le crime dont il s'accuse pour attendrir les femmes il est victime d'un traumatisme d'enfance mystérieux :

Une fois j'ai habité sous un escalier dans un château en ruine. En face de moi, il y avait une grande fenêtre cassée. Je pouvais y voir les prés éclairés par la lune, la mer et la forêt et deux usines de phosphate. A l'époque j'étais heureux". Il poursuit de manière plus claire en faisant allusion à Jenny. "Maintenant ça va bien mais je ne suis pas heureux. Il y a un dragon qui me surveille. Il me donne tout ce que je veux contre quelques centigrammes de mon corps et quelques milligrammes de mon cerveau".

Lorsque Jenny et Nelly sortent, ayant entendu le coup de feu par lequel Jack s'est donné la mort, un vieil homme, immobile, vu au travers de la fenêtre en début de séquence, est encore là. Il a seulement changé la direction de son regard, maintenant orienté vers l'endroit où est tombé Jack. C'est la première figuration de la mort dans l'œuvre de Bergman, témoin muet, peut-être sourd ou aveugle.

Une séquence placée sous sous le signe de la mort (voir : crise)
Nelly regarde Jack qui s'est suicidé : la mort qui a fait son office recule dans le flou (voir : retour)

Le film ne cesse de traquer l'ambivalence avec une caméra plutôt mobile. Ainsi, au sein de la séquence de la mort voyant au travers de la fenêtre, un long plan-séquence de 3'10 prend Jack, Jenny et Nelly d'abord ensemble puis cadre Nelly seule et effrayée puis Nelly et Jenny qui la rassure puis Jenny et Jack menaçant puis s'en allant par le fond de la pièce. Cette séquence très expressionniste (comme les beaux fondu-enchaîné et surimpressions) rythmée par la musique du théâtre voisin s'oppose à la féérie de la sortie du couple près de la rivière. 

critique du DVD
Editeur : Opening. 2006. VOST
critique du DVD

Edition double DVD avec De la vie des marionnettes ou inclus dans le coffret Bergman