2011

La cime d'un arbre dégarni devant la façade d'un luxueux immeuble que la lumière du soleil levant éclaire peu à peu. L'oiseau dans l'arbre, d'abord flou, devient ainsi visible alors que se fait entendre le cri d'un autre oiseau qui vient bientôt déloger le premier.

Elena s'éveille dans cet immense appartement silencieux, et entame avec une application mécanique les préparatifs du matin. Elle fait chambre à part avec Vladimir, son mari fortuné et hautain, et lui prépare son petit déjeuner. Ils échangent l'un et l'autre sur le programme de leur journée. Il ira à son club de sport. Elle fera le ménage, touchera sa pension et portera l'argent à son fils, issu d'un premier mariage. Il lui reproche de devoir elle même se rendre chez son fils alors que c'est lui qui a besoin d'argent. Elle lui fait remarquer qu'il n'a pas su mieux gérer l'éducation de la fille qu'il a eu d'un premier mariage. Il reconnait qu'il vaut mieux en rester là.

Elena touche sa pension et prend le train pour attendre une banlieue de Moscou où s'alignent les tours HLM à l'ombre d'une centrale nucléaire. De jeunes désœuvrés discutent au pied de l'appartement de son fils Sergueï, issu d'une première union. Au chômage, il passe son temps à boire de la bière tandis que Sacha, l'ainé de ses deux fils, passe ses journées devant une console de jeux vidéo. Sergueï et sa femme remercient Elena pour l'argent mais lui en demandent plus encore : ils doivent corrompre l'administration pour faire entrer Sacha, mauvais élève à la fac pour lui éviter un service qui l'enverra en Ossétie. Elena les prévient qu'il ne sera pas facile de convaincre Vladimir de leur donner de l'argent.

Le soir Elena et Vladimir regardent chacun la télévision dans leur chambre respective. Elena, qui n'ose affronter son mari, lui fait une demande écrite afin d'obtenir l'argent de Sacha. Le lendemain matin Vladimir lit le mot de sa femme mais lui fait la morale, renvoyant les membres de sa descendance à leur propre responsabilité individuelle.

Le lendemain Vladimir se rend à son club de sport. Il est victime d'une défaillance cardiaque. A sa demande, Elena appelle Katia au téléphone. La fille de Vladimir est une jeune femme négligente, un peu bohème, qui maintient son père à distance et qui déteste Elena en qui elle voit une arriviste qui a profité de sa fonction d'infirmière pour séduire son père il y a dix ans et obtenir le mariage depuis deux ans.

Elle n'a guère l'intention d'être tendre avec son père auquel elle reproche de ne s'être toujours intéressée qu'à l'argent. Alors qu'Elena lui demande de partir sans voir son père pour ne pas l'excéder et fatiguer son cœur, c'est elle qui exige de le voir. Elena s'en va brûler un cierge. Contre toute attente, Vladimir et Eléna se réconcilient.

De retour à la maison, Vladimir annonce à Elena qu'il a l'intention de léguer toute sa fortune à sa fille, hormis la rente à vie qu'il lui garantit. Il refuse définitivement d'aider Sacha. Elena ne cache pas sa colère mais obéit à Vladimir qui lui demande du papier pour rédiger son testament qu'il présentera le lendemain à son notaire.

Elena consulte le Vidal et décide sur le champ d'assassiner son mari. Elle mélange les cachets de viagra qu'utilisait Vladimir à son repas. L'effet est immédiat : Vladimir meurt. Elena brûle les ébauches de testament écrites par son mari avant d'appeler les secours. Elle déclare au médecin n'avoir jamais su que son mari prenait du viagra et n'est pas inquiétée. A l'enterrement, elle joue facilement la veuve éplorée et en rajoute quand Katia, dont tous ignorent la réconciliation avec son père, arrive en retard à l'église, sincèrement émue.

Elena déleste le coffre de Vladimir de la grosse somme d'argent qu'il contenait et se rend chez le notaire où Katia l'attend déjà. Sans testament, il lui revient la moitié de la fortune de son mari.

Elena, son sac rempli d'argent sous le bras, s'en va le porter à Sergueï. Soudain le train s'arrête : un cheval a été tué sur la voie. Des jeunes trainent toujours en bas de l'immeuble mais Elena parvient sans encombre chez son fils. L'argent est accueilli avec chaleur. Sacha s'en va pourtant rejoindre ses copains qui ont prévu une baston. Il est roué de coups mais se relève.

La famille d'Elena vit désormais dans le grand appartement luxueux qui lui reviendra une fois fait le partage avec Katia. Sacha crache au balcon. Sergueï se sert une bière et sa femme se réjouit d'attendre leur troisième enfant.

Dehors, il n'y a plus d'oiseau sur la branche.

Le cinéma d'Andrei Zviaguintsev est volontiers programmatique et moral. Les plans initiaux et finaux disent que la construction culturelle (l'immeuble luxueux) dont se targuent les Russes, nouveaux riches ou prolétaires, s'est effacée devant un terrible état de nature sans grâce et sans rédemption. La veulerie des prolétaires a remplacé la morgue du nouveau riche mais les uns comme l'autre n'ont guère de légitimité à occuper ce lieu paisible et protégé, loin de la misère et des centrales nucléaires de la banlieue

La métaphore préférée à l'accident

La rigueur de Zviaguintsev est encore plus tirée au cordeau que celle dont faisait preuve Kieslowski dans ses Dix commandements. Hors les éléments de même nature, rien ne communique. La damnation vient de la soumission du même au même.

Il n'y a nul pas besoin d'élément extérieur pour anéantir les individus. En bas de l'immeuble de Serguei, des jeunes désœuvrés discutent alors que, par deux fois, Elena passe devant eux en serrant son sac plein d'argent ; le train s'arrête en pleine nature alors qu'Elena serre son sac contre elle ; une panne de courant plonge dans l'obscurité l'appartement de Serguei alors qu'une grosse somme d'argent s'y trouve et que les voisins accourent. Mais d'un quelconque vol qui pourrait détourner Elena de son chemin, il n'en sera pas question.

Pas de punition définitive non plus pour Sacha, ou même de leçon ; il est tabassé mais se relève encore debout, inchangé. Aucun faux suspens sur l'enquête policière qui innocente Elena.

Nul incident ne vient déranger la soumission de chacun aux forces les plus brutes de la nature : avachissement, combat à mains nues, assassinat, enfantement ou rigorisme froid et égoïste.

Quand le plan s'arrête ou se prolonge c'est pour placer une rime ou une métaphore. Le très long plan-séqeunce où Elena fait disparaitre les traces de son forfait indique sa détermination son, "plan" ,que rien ne vient interrompre. Le cheval et son cavalier tués par le train, c'est la rencontre de la carpe et du lapin, brutale et sans autre effet que la mort brutale.

Le réquisitoire face à des logiques les plus basiques est sans appel. Même les détails révèlent que la situation est toujours pire que prévue : Serguei prélève sur la pension de sa mère un billet pour lui ; Sacha crache comme son père du haut du balcon ; Vladimir est riche mais c'est avec l'argent de sa pension, dont elle n'a certes pas besoin avec lui, qu'il laisse Elena aider son fils.

La splendeur enfuie

En creux, on distingue les raisons de l'incommunicabilité grandissante hors de sa sphère dont le film fait un implacable état : la splendeur s'est enfuie. La grâce de la lumière du matin a fait place aux cris des oiseaux ; la vieillesse stricte et repliée sur elle-même a pris la place de la splendeur de la jeunesse : terrible regard d'Elena aux photos du bonheur accrochées au mur. Son corps lourd contemple désormais celui d'elle-même plus jeune au milieu d'une allée boisée telle qu'elle a sans doute séduit son riche patient. Si Vladimir la désire encore ce n'est que par intermittence et grâce au viagra.

La seule qui se tient hors de ce champ de ruine c'est Katia à la rhétorique acérée, lucide mais sans haine, à la larme imprévue ; la seule encore ouverte au changement à et l'émotion face au nouveau. Peut-être aussi le match de football en bas de l'immeuble représente-t-il une trace d'espoir collectif (comme le volley d'Habemus papam) différent de l'enfermement auquel était confronté Sacha avec ses jeux vidéo.

Jean-Luc Lacuve le 25/03/2012.

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Cannes 2011  :  Quinzaine des realisateurs, prix du jury Avec : Nadezhda Markina (Elena), Andrei Smirnov (Vladimir), Aleksey Rozin (Sergueï), Yelena Lyadova (Katia). 1h49.
Elena
Genre : Drame social