Chroniques industrielles
2010

Dix-huit ans après la fermeture des Mines de Soumont et quinze après celle de la Société Métallurgique de Normandie, la valeur du patrimoine industrielle redevient un enjeu pour redonner une identité aux villes européennes. Les anciens sites industriels sont souvent au cœurs de quartiers populaires. Les enjeux de leur reconversion sont ainsi liés aux enjeux sociaux et urbains.

Un jeune tagueur vient deux fois par semaine peindre à la bombe la friche industrielle où ses oncles ont travaillé. Le passé s'était clôt sur une défaite, fermeture et dépôt de bilan. Personne n'avait alors envie d'en parler. La récupération de ce passé aurait été mal comprise. N'aurait-ce pas été celle du malheur des uns par des esthètes qui en feraient leurs affaires ? demande Pierre Coftier, historien du patrimoine industriel.


La SMN a ainsi eut les mains libres pour nettoyer le site en effaçant les traces de l'activité industrielle. Au centre du parc d'activé et campus technologique n'est resté, comme un repère, que le grand réfrigérant, un monument à la mémoire des anciens de la SMN.

Anne-Marie Fixot, géographe de l'université de Caen pointe cette marque matérielle comme un peu artificielle. Est-ce ce symbole que les ouvriers auraient voulu garder de leur activité ? Colin Sueur, urbaniste et maire de Colombelles doit faire face aux inquiétudes des entreprises qui s'installent dans el parc d'activité : ce garnd réfrigérant est ce même objet que l'on rencontre dans les centrales nucléaires pour refroidir l'eau. Le maire doit rassurer les entreprises : le site n'est pas nucléaire ni hériter d'une centrale nucléaire. Frédéric Sézille salarié de NXP, entreprise nouvellement installée, ne se sent pas redevable d'une mémoire industrielle. L'entreprise pour laquelle il travaille a ses objectifs ses valeurs.

L'association "Vivre ensemble au plateau", a fait son objectif de cette dimension mémorielle en organisant conférences ou débats se rapportant à la SMN à la vie dans les cités ouvrières. François Lopez se souvient de la voie de chemin de fer qui reliait Caen à Potigny et ses mines de Soumont où il allait chercher le minerai. L'organisateur des visites se souvient de 1942 où l'équipe de la SMN n'avait perdu qu'après prolongation contre les bourgeois du stade Malherbe de Caen où jouaient quelques internationaux. Il insiste sur cette culture ouvrière par le sport où tous les étrangers étaient reconnus. Dans la mairie de Giberville, il commente les 60 mètres du grand réfrigérant, il parle des 6 000 ouvriers qui faisant vivre quatre à cinq personnes chacun soit 30 000 personnes. Pour Gilles Leneuveu, le maire de Giberville, il est important de transmettre avant tout la curiosité et goût de la lutte. C'est aussi le sentiment de Pierre Yves Ozouf, Alain Vasseur, Lucien Morel, retraités de la SMN qui revoient les images d'une locomotive 42 000 de 1954. Jacques Dauphin (VEP), parle de l'usine rasée en 95. On entend, off, La traversée des ombres de Jean-Baptiste Pontalis.

Pierre Coftier explique la nécessité du temps du deuil après la fermeture et les reclassements pour commencer le travail de la mémoire. Le travail de la mémoire doit être sollicité par ceux qui l'ont vécu. Durant ce temps, il s'est attaché à étudier les archives ouvrières et syndicales, à rencontrer les syndicalistes.

Dans la campagne caennaise, se dressent des accumulateurs pour minerais que beaucoup confondent avec des silos à grains. Pierre Coftier évoque avec Alain Leménorel, historien, la SMN du temps où au coeur du deuxième bassin de minerais de fer de France, elle était une forteresse ouvrière. Aujourd'hui, il s'agit de sécuriser les installations. Ainsi les vestiges des mines de May-sur-Orne.

Hervé Fritsche, du musée de May-sur-Orne montre la gare de Fugerolles saint-André les éléments de 1930 et de 60, juste avant la fermeture sur une maquette faite par les collégiens. On est loin des envolées lyriques, des cathédrales industrielles et monument historique, loin aussi maintenant des douloureux licenciements qui empêchèrent de construire la mémoire.
Anne-Marie Fixot explique, en reprenant les thèses du sociologue Marcel Mauss, l'importance de l'échange, du donner recevoir pour produire du lien social. La mémoire se base sur le sentiment de reconnaissance avec ses lacunes plus que sur la volonté de retrouver une impossible vérité. Comme dans toute relation, des choses échappent et comme dans toute filiation, il faut accepter cette part de perdu.

Michel Lebaron, Laurent Hamel Jérôme Leconte, Roger Cayerancine, salariés évoque cette usine dangereuse, immense, magique. Gérard Prokop, professeur des écoles parle de son grand-père tchèque, arrivé ici en 1921, quatre ans seulement après la première coulée. Sur le plateau, on trouvait tout : pain, cinéma, graines pour le jardin.
Emmanuel le Brun, médecin qui a racheté en l'embourgeoisant une maison du plateau parle d'une géographie sociale très visible avec les maisons ouvrières éloignées des maisons cossues des cadres et des très belles maisons du côté des tennis. Frédéric Sézille salarié de NXP revient sur l'importance de la valeur travail beaucoup plus forte autrefois, où les ouvriers aimaient le travail et construisaient leur vie autour, plus fiers des coulées qui sortaient des usines que les employés d'aujourd'hui des composants fabriqués dans les entreprises informatiques.

La mémoire sélective, lacunaire, reconstruit le passé selon ce qui nous arrange. L'usine abandonnée de tous fut démontée par une équipe de chinois et produit de l'acier dont nous sommes aujourd'hui clients.
Marc Pottier historien, maire adjoint de Colombelles se souvient qu'il a fallu sept après 1993 pour organiser un temps culturel, événementiel et convivial autour su souvenir de la fermeture de l'usine.

Le chevalement de Flers est le dernier debout de l'Ouest, fêtes animations, visites, seront nécessaires pour préserver ses 33 mètres de fer c'est ce que pensent Daniel Jouvencel, Roland Gély anciens mineurs ou Philippe Pichereau et, Thierry Olivier, de l'association mémoire de fer.

A La Ferrière-aux-etangs, c'est une batterie de fours, qui calcinaient le minerai une trentaine d'heures avant d'être descendu vers le chemin de fer qu'il faudra sauver autour d'un projet culturel qui témoigne d'une civilisation passée, projet de socialisation militantisme mixité générationnelle et sociale

Jean-Pierre Vermeulen et Maurice Perez maire et ancien maire de Saint Germain le Vasson expliquent comment ils ont construit leur musée. Benjamin Père, président de Mémoire de fer les soutient

Y-a-t-il autre chose à commémorer que la fermeture ? Cette fois ci c'est la découverte des lauréats d'un un appel à projets pour un musée de la SMN qui sert d'évènement fédérateur. Maxime Marie, Florian saint Martin, Alexis Lecerf, Amandine Dguara insistent dur l'échange nécessaire entre anciens de la SMN et visiteurs.

Dépêchons-nous de conserver ou empêchons-nous d'oublier ? se demande Pierre Coftier soulignant que le musée ne doit pas apparaître comme un rapace qui s'abat la charogne pour en tirer quelque chose. Alice Gandin du Musée de Normandie explique que depuis 93 des ouvriers ont déposé des objets au musée de Normandie qui accueille chaque année 120 000 visiteurs dont 30 000 scolaires.

La culture ouvrière s'éteindra-t-elle avec les ouvrages auxquels elle a participé ? Verra-t-on la disparition de l'ouvrier respecté, aujourd'hui où l'individu est seul face à un destin incertain. Le devoir de restitution d'une mémoire est aussi celui d'une exigence de dignité pour le monde ouvrier.

Suite à une prise de conscience de la valeur du patrimoine industrielle, son intégration dans les contextes urbains et sociaux est devenu un des enjeux majeurs pour l'aménagement et l'identité des villes européennes. Les anciens sites industriels sont souvent au cœurs de quartiers populaires. Les enjeux de leur reconversion sont ainsi liés aux enjeux sociaux et urbains. Leurs vestes espaces désaffectés, leur esthétique industrielle peuvent accueillir de nouvelles expressions artistiques et actions sociales citoyennes. Doit-on alors parler de patrimoine industriel ou de patrimoine ouvrier ? Quelle est désormais son rapport avec la mémoire, l'histoire et l'espace

Dix-huit ans après la fermeture des Mines de Soumont et quinze après celle de la Société Métallurgique de Normandie, le film part à la recherche des traces concrètes de cette histoire industrielle, à l’écoute des acteurs passés et présents, pour montrer comment la mémoire industrielle évolue et perdure, comment le milieu industriel se délite ou se transforme. Comment évolue la mémoire et comment s’extériorise t–elle ? Que cherche-t-on à transmettre ? A qui et pourquoi ? En quoi ce passé structure–t-il encore notre société ? Et si notre société en a fait le deuil, qu’en est-il de l’organisation sociale qui était induite ? Quels sont les liens de sociabilité qui persistent ?

 

Test du DVD

Editeur : Baraka Production et le CRéCET juin 2010. Double DVD de quatre films. 20 € .

quatre films autour de la thématique du patrimoine industriel en Basse-Normandie. Trois de ces films ont été réalisés alors que les usines se transformaient, La fonderie Legoupil en 1991, ou disparaissaient La société Métallurgique de Normandie en 1993, L’usine France Charbons en 2009. Chroniques industrielles (2010) est quant à lui porteur d’une réflexion plus large sur la mémoire de ce patrimoine industriel.

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Avec : Pierre Coftier (historien du patrimoine industriel), Anne-Marie Fixot (géographe), Colin Sueur et Gilles Leneuveu (maires de Colombelles et de Giberville), les anciens salariés de la SMN, Frédéric Sézille (salarié de NXP), Gérard Prokop (professeur des écoles), voix off de Nadia Bertrand. 0h59.

Voir : photogrammes

Genre : Documentaire. 0h59.

DVD chez Bach Films
Thème : Les ouvriers