Toute la carrière d'Alexei Guerman (Aleksey German) fut marquée du sceau de la dissidence, de l’opposition aux régimes successifs et des ennuis avec la censure. Ses motifs de prédilection sont l’ancrage dans le passé, la guerre comme épreuve de vérité, la complexité morale, la cruauté de l’Histoire, l’utopie trahie, l’abjection des hommes. La monstruosité des systèmes (le totalitarisme ubuesque, la jouissance des bourreaux, l’aveuglement de la guerre) et la faillite intime (la trahison, la déconvenue, la maladie), l’être humain chez Guerman est incessamment confronté à ce qui menace de dissoudre son humanité, de le ravaler au rang de l’animal, à la chose, au néant. Plus précisément encore se pose à lui la question de savoir si l’on peut se relever d’un tel abaissement, renaître d’une telle ignominie, peu importe que le système en soit responsable.

Alexeï Yuryevich Guerman est né à Léningrad en 1938. Son père, Yuri P. Guerman, écrivain soviétique, humaniste prisé et ami du metteur en scène Vsevolod Emilievich Meyerhold, le convainc d’intégrer l’Institut de Théâtre de Leningrad. Après avoir obtenu son diplôme, Guerman collabore avec Georgy Tovstonogov, figure clé du théâtre soviétique des années 1950- 60. En 1964, il commence à travailler avec Lenfilm, le plus ancien studio de l’Union soviétique, devenu un berceau du cinéma d’auteur. En 1967, il réalise, avec Girgori L. Aronov, son premier film, Le septième compagnon, inspiré d’un roman de son père. Cette histoire de trahison et de duplicité durant l’hiver 42, sous l’occupation nazie, très critique à l’égard de Staline , est immédiatement interdit pour déformation de faits historiques et ne sera pas diffusé avant 1985. Le film au formalisme impressionnant est parsemé d’images fortes comme cette mitrailleuse brûlante jetée à terre par un soldat après le combat et faisant fondre la neige autour d’elle.

En 1977, il met en scène Vingt jours sans guerre, inspiré de la nouvelle de Constantin Simonov, célèbre écrivain du Parti qui défendit le film devant les responsables du Comité central et permit sa distribution. Le film est présenté à la Semaine de la Critique à Cannes, sans que Guerman soit autorisé à s’y rendre.

En 1984, Guerman réalise Mon ami Ivan Lapchine, son film le plus célèbre, autre adaptation d’un roman de son père (Lapchine, 1937). En compétition internationale au Festival du film de Locarno, cette enquête policière sur le thème de la mémoire rencontre le succès en URSS. L’action se situe en 1935 au début des purges staliniennes. Le policier de la brigade criminelle Lapchine est un pur et dur impitoyable dans l’exercice de ses fonctions mais incapable d’avouer son amour à une femme. La dureté de la vie à cette époque est remarquablement traduite par la monochromie des images et une caméra omniprésente pour saisir le moindre détail révélateur de l’atmosphère. Interdit par la censure pendant deux ans, le film a suscité, à sa sortie, une controverse passionnée.

Afin de gagner sa vie, il écrit des scénarios avec la collaboration et sous le nom de sa femme Svetlana Karmalita. En 1988, durant sa plus longue période d’inactivité cinématographique, Guerman réussit néanmoins, avec Svetlana, à diriger les studios Lenfilm, en vue de promouvoir l’expérimentation et les jeunes metteurs en scène

Fruit d’une gestation de dix ans, Khroustaliov, ma voiture ! (1998) est présenté au Festival de Cannes Il dresse un tableau cauchemardesque de l’empire soviétique sous le joug du stalinisme en pleine décadence, entre antisémitisme d’état et persécutions politiques. Le film raconte la descente aux enfers d’un neurologue victime du célèbre complot d’épuration des « blouses blanches » en 1953. 2h30 en noir et blanc de confusion, de chaos, de violence et de folie Khroustaliov, ma voiture ! est une expérience sensorielle éprouvante grouillante de personnages, de situations et de détails truculents ou atroces.

L’adaptation du classique de la littérature de science-fiction Il est difficile d’être un dieu des frères Arcadi et Boris Strougatsi (écrit en 1964, publié en France en 1973 chez Présence du Futur puis réédité en 2009 chez Denoël) est le dernier film d'Alexei Guerman. Un tournage difficile, la santé de Guerman et surtout une postproduction particulièrement longue en raison des méthodes anticonformistes et du perfectionnisme du cinéaste (qui a travaillé avec de nombreux comédiens non professionnels ou handicapés mentaux ensuite doublés en studio) retardent la livraison du film. Alexei Guerman décède en février 2013 avant d'avoir pu le finir. Il est achevé par sa compagne, Svetlana Karmalita, et leur fils Alexeï A.Guerman.

Filmographie :

1968 Le septième compagnon
 

(Sedmoy sputnik / Coréalisé avec Grigori Aronov). Avec : Andrei Popov (Maj. Gen. Adamov), Aleksandr Anisimov (Kukhtin), Georgiy Shtil (Kimka), Pyotr Chernov (Zykov), Vladimir Osenev (Priklonski). 1h29.

un général russe blanc acquis à la cause bolchevique puis exécuté par les siens durant la terreur rouge

   
1971 La vérification

(Proverka na dorogakh). Avec : Rolan Bykov (Ivan Egorovich Lokotkov), Anatoliy Solonitsyn (Igor Leonidovich Petushkov), Vladimir Zamanskiy (Alexander Ivanovich Lazarev), Oleg Borisov (Victor Mikhailovich Solomin). 1h36.

Hiver 1942. Dans le Nord-Est de la Russie occupée par l'ennemi nazi, un groupe de partisans accueille un prisonnier russe, passé dans l'autre camp. Lazarev, reçu comme un traître, désire se racheter. Le lieutenant Lokotkov et le commandant Pétouchkov s'opposent : l'un serait enclin à lui faire confiance, l'autre pas. La question sera tranchée lorsque, pour les besoins d'une opération délicate, Lazarev doit infiltrer l'ennemi.

   
1977 Vingt jours sans guerre
 

(Dvadtsat dney bez voyny). Avec : Yuriy Nikulin (Major Lopatin), Lyudmila Gurchenko (Nina), Aleksey Petrenko (Pilot), Angelina Stepanova (Dirrectrice du théâtre), Yekaterina Vasilyeva (Roubtsova). 1h41.

La guerre sans gloire d'un soldat ordinaire durant la seconde guerre mondiale.

   
1985 Mon ami Ivan Lapchine

(Moy drug Ivan Lapshin). Avec : Andrei Boltnev (Ivan Lapshine), Nina Ruslanova (Natasha Adasova), Andrey Mironov (Khanin), Aleksei Zharkov (Okoshkin), Zinaida Adamovich ( Patrikeyevna), Aleksandr Filippenko (Zanadvorov). 1h40.

Leningrad en 1935: tandis que le marche noir fait rage et que le grand banditisme dont le heros est Soloviev defie les forces de police, Ivan Lapchine, chef de l'instruction policiere, fete ses quarante ans dans l'appartement communautaire entoure de ses amis.

   
1998 Khroustaliov, ma voiture!

(Khrustalyov, mashinu!). Avec : Yuriy Tsurilo (Gen. Klensky), Nina Ruslanova (Sa femme), Mikhail Dementyev (Son fils), Aleksandr Bashirov (L'idiot), Natalya Lvova. 2h30.

Médecin chef et spécialiste du cerveau, Youri Glinski est également général de l'Armee rouge. Nous sommes début 1953. Sa vie de pere de famille nombreuse bascule quand, a l'initiative de Staline, le KGB organise le complot des blouses blanches. Entraine dans l'histoire, le general est envoye au goulag et torture. Mais lorsque le Petit Pere des peuples se meurt, Youri est libere pour le sauver. Dix ans apres, ayant fui Moscou et sa famille, il est devenu chef de bande et de trafics en tout genre dans un train qui traverse la Russie.

   
2013 Il est difficile d’être un dieu

(Trudno byt bogom). Avec : Leonid Yarmolnik (Don Rumata), Aleksandr Chutko (Don Reba), Yuriy Tsurilo (Don Pampa), Evgeniy Gerchakov (Budakh), Natalya Moteva(Ari), Dmitriy Vladimirov , Laura Lauri, Aleksandr Ilin ( Arata). 2h50.

Un groupe de scientifiques est envoyé sur Arkanar, une planète placée sous le joug d’un régime tyrannique à une époque qui ressemble étrangement au Moyen-Âge. Tandis que les intellectuels et les artistes sont persécutés, les chercheurs ont pour mot d’ordre de ne pas infléchir le cours politique et historique des événements. Le mystérieux Don Rumata à qui le peuple prête des facultés divines, va déclencher une guerre pour sauver quelques hommes du sort qui leur est réservé…

   
   

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(1938-2013)
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