Capucine, séduisante attachée de presse nymphomane, arrive dans la somptueuse maison de campagne lyonnaise de l'écrivain Charles Saint-Denis pour le convaincre d'assister le lendemain dimanche à une émission de télévision d'une chaîne locale puis à une séance de signature dans une librairie bien connue de Lyon. Charles rayonnant quinquagénaire cajolé par sa non moins rayonnante épouse Dona accepte cette légère corvée qui lui permet de bien vendre ses livres.

Dans les studios de la télévision locale, Gabrielle Deneige, pétillante jeune femme blonde, présente la météo puis s'engouffre dans le salon de maquillage histoire d'échapper à un chef de service un peu trop empressé. Elle y trouve Charles saint Denis qui al remarque.

Interviewée par un journaliste un peu léger sur sa vie privé, Charles avoue avoir une vie de none enfermé dans a maison lyonnaise et que les articles qu'il écrit pour le Nouvel Observateur lui permettent seuls de garder contact avec le monde réel. Lors de la petite fête qui suit, Charles remarque de nouveau la jeune Gabrielle.

Paul Gaudens, dit "le fils Gaudens", héritier des laboratoires fondés par son père, rentre chez lui fin saoul et feuilletant le journal s'emporte contre Charles qu'il traite de gloire locale et d'usurpateur. Gabrielle est rentrée chez elle et discute avec Marie, sa mère, libraire belle et solitaire qui, en guise de réponse à sa question, juge que Charles Saint-Denis a le sens du récit et que, s'il recourt à des facilités, c'est incontestablement un auteur.

Le lendemain, Charles dédicace ses livres dans la librairie qui est justement celle où travaille la mère de Gabrielle et y rencontre celle-ci. Il lui donne rendez-vous pour une vente aux enchères le samedi suivant. Survient alors Paul Gaudens qui vient dans le but de se moquer de Charles. Celui-ci le revoie à une chute de cheval qu'il fit jadis. Paul en sortant aborde Gabrielle en qui il reconnut la séduisante présentatrice de la météo locale.

De retour chez lui, Charles allume la télévision à la grande surprise de Capucine. C'est pour voir Gabrielle qui présente la météo. A la sortie du studio, celle-ci est abordée par Paul qui l'invite dans un restaurent réputé. Il s'y montre empressé mais vide. Gabrielle lui refuse une invitation pour le samedi suivant et rentre sur sa moto alors que Paul lui lance un dérisoire "je t'aime" énervé depuis sa voiture.

Le supérieur de Gabrielle lui fait miroiter un poste plus important que celui de la météo tout en l'obligeant à l'accompagner dans une soirée mondaine. Gabrielle y rencontre Paul qui cherche de nouveau à la séduire. EIle fuit. Paul la rattrape en voiture et, devant son refus de l'embrasser, la brutalise avant que son garde du corps n'intervienne.

De son côté Charles se rend dans un curieux bar privé fréquenté par des notables qui semblent consommer peu d'alcool mais y assumer leurs pulsions sexuelles.

Le samedi, Gabrielle assiste à la vente aux enchères avec Charles qui achète pour 2 000 euros une œuvre de Pierre Louis, érotomane bien connu qui, comme lui le prétend-t-il, vécut toujours reclus. Il offre le livre à Gabrielle et l'invite dans sa garçonnière, au dernier étage d'un immeuble qu'il désigne sous le nom de paradis. Elle se donne à lui. Après l'amour, une photo encadrée du tramway de Lisbonne lui semble comme une promesse de voyages à deux. Mais l'attitude de Charles change brusquement et il refuse de la revoir au retour de son émission télévision. Blessée, Gabrielle lui jette son livre à la figure lui déclarant qu'il la dégoûte un peu.


Gabrielle présente la météo et y annonce une vague de pluie inattendue. Elle quitte bientôt ce poste pour un autre plus important. Elle présente "La cerise sur le gâteau" émission de variété, et s'y montre pleine de répartie face un Edouard Baer faisant son numéro sur sa rencontre avec Woody Allen en caleçon (entre Woody et son caleçon, est le caleçon qui gagne ! ). Charles se morfond de son attitude

A la sortie de l'émission, plébiscitée par tous, Gabrielle attend un coup de fil de Charles qui ne vient pas. On lui annonce une visite importante dans sa loge. Ce n'est que Paul qui vient s'excuser, un gros bouquet de fleur à la main. Il doit se contenter d'un "Je t'aime bien". Gabrielle a à peine eut le temps de lui pardonner qu'elle reçoit un second bouquet de fleurs. C'est Charles qui lui dit de venir....

S'ouvre alors une période heureuse pour Gabrielle qui ne voit pourtant pas que Charles se lasse et préfère le confort de sa vie bourgeoise entre Dona et Capucine. Lâchement il fuit pour un voyage au long court et Gabrielle tombe gravement malade de désespoir.

Paul Gaudens s'accroche à son chevet et finit par convaincre Gabrielle de partir avec lui en voyage. La destination est Lisbonne et Paul finit par se mettre en colère lorsqu'il comprend que Gabrielle ne pense qu'à Charles. Elle finit toutefois, épuisée par accepter sa demande en mariage.

Charles, revenu de voyage apprend la nouvelle du mariage, essaie de dissuader Gabrielle mais comme il n'accepte pas sa proposition de quitter sa femme, Gabrielle épouse Paul.

Ils repartent en voyage de noce à Lisbonne. Mais Paul s'effraie des talents sexuels de Gabrielle qu'il attribue à juste raison à l'initiation reçue avec Charles.

Lors d'un gala de bienfaisance organisé part sa mère, il abat Charles d'un coup de revolver.

Gabrielle aimerait ne pas salir la mémoire de Charles mais, devant l'insistance de Geneviève Gaudens, la mère de Paul, elle accepte de dire la vérité. C'est elle qui ressort la plus salie du procès. Paul refuse de la voir, elle est flouée de l'argent promis pour sauver Paul, elle n'est plus populaire à la télévision, et elle ne peut que trouver refuge chez son oncle qui lui propose uen curieuse reconversion.

Elle devient son assistante pour un numéro de magie où, coupée en deux, elle ressort pourtant rayonnante et intacte.

Rarement le message d'un film n'aura été aussi clair : le titre et la séquence finale avouent volontiers le noyau créateur du désir de Chabrol de faire ce film. Il s'était d'ailleurs exprimé là-dessus alors que le film était encore en préparation, insistant sur le rôle symbolique de la séquence avec le magicien. Et le film est tendu par ce constat triste à pleurer que la réalité coupe les individus en deux, sépare leur rêve de la réalité et, leur désir d'absolu du quotidien. L'expérience d'où qu'elle vienne ne sert pas à grand chose et seule la salle de spectacle, parce qu'elle assume et se joue du goût du faux, peut redonner l'illusion d'une unité triomphante et heureuse.

 

Ombre et lumière, enfer et paradis, masques et visages.

En grand dialecticien expressionniste de l'opposition du bien et du mal, Chabrol prévient dès le générique qu'il chargera la barque : le filtre rouge et l'air de Turandot préviennent qu'il ne faut pas se fier à cette campagne paisible et que l'on va glisser vers la tragédie. Il opposera ensuite constamment la blondeur et souvent la blancheur de Gabrielle Deneige aux désirs plus sombres des quinquagénaires qui l'entourent souvent habillés de noir. La symbolique de prénom, renvoyant à l'archange et que Chabrol souligne encore par l'achat de l'angelot à Lisbonne, et du nom renvoyant à la pureté ne mettent pourtant pas à l'abri Gabrielle Deneige que l'obscurité menace toujours. Gabrielle croit atteindre au paradis dans la garçonnière de Charles mais celui-ci changera les serrures. La seule élévation qu'elle connaîtra avec lui sera celle de la montée dans l'escalier obscurci conduisant aux chambres où elle devra s'offrir à tous selon le désir de son amant.

Expressionniste ainsi l'utilisation des décors s'imposant comme des surprises et prenant par là une dimension symbolique. Comme chez Fritz Lang, le décor est une métaphore. Ainsi de la pluie qui tombe après la première dispute avec Charles ; ainsi de la découverte de la maison splendide avec baie vitrée donnant sur la piscine juste après que Capucine l'aie affublé du titre de roitelet provincial ; ainsi de l'immense baignoire dans laquelle Charles barbote alors qu'il va apprendre par la radio le mariage prochain de Gabrielle ; ainsi de la voiture de sport rouge, symbole de l'accident mortel toujours possible depuis Le mépris de Godard.

Expressionniste enfin le jeu des acteurs. L'interprétation déjantée de Magimel toujours obscurci par l'alcool ou désespérément enfantin et vide, les trognes bourgeoises du club privé, le masque hideux de haine et d'hypocrisie rentrées de Geneviève Gaudens. L'avocat sait se mettre à son niveau d'hypocrisie mais ce n'est qu'un masque professionnel : il frissonne de dégoût en sortant de chez elle


La magie mieux que l'expérience.

Dans la dialectique qu'il propose entre l'innocence et la méchanceté, Chabrol ne se contente pas de prendre parti pour le premier contre le second. L'attaque contre la bourgeoise provinciale et la télévision est une constante réaffirmée ici avec vigueur. Les coucheries et l'égocentrisme de la télévision ("le bocal à couilles ", les chefs de service maniant, de front, offre de promotion et tentative de séduction) y sont dénoncé comme dans Masques (1986). Les journalistes y sont constamment perfides : "Elle ne s'est pas faite toute seule" dira l'un à la radio alors que le présentateur délaissé grille Gabrielle après le procès en salissant son nom des turpitudes de son amant.

L'expérience sert-elle à quelque chose ? Sans doute pas davantage que l'innocence. "Tu m'apprendras" avait-elle demandé à Charles. "Il faut grandir un peu" lui avait dit Geneviève Gaudens. "Ce ne sera jamais que ta vérité" l'avait prévenu Capucine. L'opposition entre bien et mal ne peut se résoudre que par la salle de spectacle parce qu'elle assume et se joue du goût du faux et peut redonner l'illusion d'une unité triomphante et heureuse.

Cette possibilité salvatrice de l'art est l'une des principales différences avec La fille sur la balançoire (1956) de Richard Fleischer dont le film décalque très fidelement l'histoire pour lui donner un tout autre sens. Dans celui-ci, pareillement, une jeune femme tombe amoureuse d'un homme riche et célèbre beaucoup plus vieux qu'elle. Leur différence d'âge fait renoncer à l'amour l'amant le plus âgé. La jeune femme tombe malade. Un très riche soupirant en profite pour épouser la belle abandonnée mais ne supporte pas qu'elle en ait connu un autre avant lui. Le jeune tue le vieux ce qui conduit la jeune femme à une déchéance certaine : rejetée par la famille du mari, elle se produit dans un cabaret sur la balançoire rouge, célèbre dans la garçonnière de son amant.

 

Le remake comme source de mise en scène

La fille sur la balançoire est ainsi un beau mélodrame en scope et en couleur, reposant beaucoup sur la beauté de Joan Collins et aboutissant à une déchéance : la jeune fille anéantie se balançant au-dessus de spectateurs concupsicents essayant de la toucher au passage.

Claude Chabrol transpose l'histoire des milieux de l'architecture et du cabaret à ceux du roman et de la télévision pour une critique sociale plus violente. Le travail sur la transposition de la névrose de Thaw-Paul Gaudens se réduit certes à une modernisation pour s'adapter au spectateur de son époque. Le scandale n'est plus que Evelyn ne soit plus vierge mais que Gabrielle se soit livrée à une partouze. Chez Fleischer aussi l'hypocrisie est dénoncée mais elle reste abstraite : White, l'architecte se dresse contre le mauvais goût des Gould, ses clients nouveaux riches, mais on ne voit aucun des monuments qu'il a construit et la description du monde du cabaret est édulcorée.


La reprise des scènes du film originale donne toujours lieu à des idées de mise en scène : l'idée de fille coupée en deux est déjà présente puisque citée comme le numéro que fait une obscure danseuse qui remplacera Evelyn pour le peu reluisant numéro de vol-au-vent (fille dans la timbale) consistant à sortir d'un gâteau pour une fête entre "gentlemen éméchés". Mais on voit bien le traitement tout à fait particulier qu'en fait Chabrol. Le travail sur la couleur chez Fleischer est moins original que chez un Minnelli et moins fort que chez Chabrol qui joue des oppositions du noir et du blanc. Le voyage de noce est scandé chez Fleischer par l'interrogatoire incessant, chez Chabrol par le tramway de Lisbonne dont Gabrielle avait vu la photo chez Charles.

La garçonnière de White possède deux escaliers successifs dont le dernier conduit à la fameuse balançoire rouge. La représentation du paradis (elle essaie de toucher la lune) est certes moins forte chez Chabrol mais celui-ci travaille plus explicitement l'opposition paradis-enfer avec la pénombre du club-privé et la montée obscure de l'escalier vers les chambres.

Chabrol fait jouer le même rôle des deux mères, celle compréhensive d'Evelyn-Gabrielle et celle névrosée de Thaw-Paul Gaudens et reprend l'épisode de la table réservée. Il fait jouer toutefois un rôle plus grand à l'oncle de Gabrielle : le frère magicien représente le troisième élément de la dialectique pour sortir de l'opposition entre le bien et le mal. Chez Fleischer le protecteur est le dessinateur mais il quitte le procès dégoûté et laisse gabrielel sous la coupe du forain.


Chabrol est un auteur modeste

Chabrol a la mise en scène modeste et il tient éloigné de lui mélodrame et naturalisme. Le démon de midi qui saisit Charles pourrait ressembler à celui du professeur de philosophie dans Noce blanche (Jean-Claude Brisseau, 1989). Gabrielle cite d'ailleurs Nietzsche "tout ce qui ne me détruit pas me rend plus forte" lorsqu'elle essaie, toute en blanc, sa robe de mariée comme Vanessa Paradis se révélait experte de ce philosophe dans son exposé sur l'inconscient.

Si la bourgeoise et la télévision sont condamnés ce n'est qu'au nom de leur inculture manifeste (commentaire sur Mozart, stupidité du club humaniste). Et Chabrol peut donc tout naturellement s'identifier à Charles Saint-Denis : bourgeois, gastronome (même s'il ne sait pas faire une omelette) et auteur. Marie, la mère, libraire de Gabrielle jugeait ainsi Charles Saint-Denis "A le sens du récit et s'il recourt à des facilités, c'est incontestablement un auteur." C'est bien le moins que l'on puisse lui reconnaître.

Jean-Luc Lacuve le 05/09/2007

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La fille coupée en deux
2007
Genre : Drame social

Avec : Ludivine Sagnier (Gabrielle Deneige), Benoît Magimel (Paul Gaudens), François Berléand (Charles Saint-Denis), Mathilda May (Capucine Jamet), Caroline Sihol (Geneviève Gaudens), Marie Bunel (Marie Deneige), Valeria Cavalli (Dona Saint-Denis), Etienne Chicot (Denis Deneige), Thomas Chabrol (Lorbach). 1h55.