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Abraham et Melchisédech

1618

Abraham et Melchisédech
P. P. Rubens, entre 1615 et 1618
Panneau transposé sur toile, 204 x 250 cm
Musée des Beaux-Arts de Caen

Ce tableau, contemporain de la naissance du grand atelier dont sortirent tant de tableaux de Rubens, est réputé être de la seule main du maître.

La composition restitue merveilleusement les apports vénitiens, ton rompu, empâtement fluide, sensualité titienesque et décor monumental inspiré de Véronèse, avec cet art d'enchaîner dans la clarté chromatique et la précision des volumes, des figures en mouvement d'une grande complexité, caractéristiques du premier grand style rubénien.

C'est ainsi que l'oeuvre conjuge, dans une construction classique, des effets sculpturaux et monumentaux à la Michel-Ange, à la fusion et à la profondeur baroque, favorisée par la vision dite soto in su.

Autrefois sur bois et transposé au siècle dernier, le tableau a été saisi en 1808 à Kassel, puis envoyé à Caen en 1811. Une légende probablement vraie tant elle est savoureuse attribue au conservateur Elouis le maintien du chef d'oeuvre dans le patrimoine français grâce à une ruse : en 1815, lors des réclamations, alliées, il fit diner les officiers prussiens sur le tableau recouvert et tenant lieu de table, empêchant ainsi sa découverte.

Melchisédech ou Melki-Tsedeq ("Roi de Justice") est un énigmatique personnage biblique qui apparaît très brièvement dans l’histoire d’Abraham telle que la rapporte le livre de la Genèse, chapitre 14 versets 18 à 20. Revenant d’une campagne victorieuse, Abraham rencontre ce mystérieux personnage dont on ne sait rien de plus :

Melchisédech, roi de Salem, apporta du pain et du vin ; il était prêtre du Dieu très haut. Il prononça cette bénédiction : " Béni soit Abraham par le Dieu très haut qui créa ciel et terre, et béni soit le Dieu Très Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains ". Et Abraham lui donna la dîme de tout. (Livre de la Genèse 14)

Le nom de Melchisédech apparaît à nouveau dans le livre des Psaumes :

Le Seigneur l'a juré dans un serment irrévocable : Tu es prêtre à jamais selon l'ordre du roi Melchisédech. (Psaume 110)

On en déduit que, répondant à l’appel de Dieu, Abraham a quitté son pays, en Mésopotamie , pour aller vers une terre promise, le pays de Canaan, aujourd’hui la Palestine. Abraham a du faire la guerre pour arriver en terre promise (le Dieu Très Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains) et est donc représenté en soldat.

L'arrivée d'Abraham en terre promise est symbolisé par la rencontre avec Melchisédech (son nom est symbolique "roi de justice") comme son titre de roi de Salem (Paix), future Jérusalem.

Les deux hommes se saluent. Le roi Melchisédech rend grâce à Dieu en lui présentant le pain et le vin, et il partage l’offrande avec son hôte. Plus qu'un roi, Melchisédech est le prêtre de Dieu. C'est pourquoi il est coiffé d’un bonnet ou d’une mitre, et habillé d’une robe. Souvent il offre lui-même le pain et le vin dans un calice, à la façon d’un prêtre chrétien.

Aussitôt après l'offrande à Dieu, Abraham, en signe de soumission, offre au roi la dîme, c'est-à-dire la dixième partie de ses revenus. Cette reconnaissance étant plus abstraite, la représentation concerne plutôt la rencontre et l’offrande du roi.

Cet épisode valorise le sanctuaire juif de Jérusalem. Pour les Chrétiens, Melchisédech préfigure Jésus Christ dans l'ancien testament, c'est pourquoi il pratique l’offrande du pain et du vin, celle de la Cène. Ceci explique la fréquence des représentations de ce récit très mineur. L'épisode valorise aussi le rôle du prêtre, Melchisédech, par rapport à celui du guerrier, Abraham.