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(1560-1609)
Baroque
La mangeur de fèves 1585 Rome, Galleria Colonna
La pêche 1588 Paris, Musée du Louvre
Sainte Famille avec le jeune Jean-Baptiste 1590 Amsterdam, Rijksmuseum
Vénus, Adonis et Cupidon 1590 Madrid, Musée du Prado
Autoportrait de profil 1590 Florence, Galerie des Offices
Vierge à l'enfant en gloire 1592 Bologne, Pinacothèque
Suzanne et les vieillards 1595 Washington, National Gallery of Art
Paysage fluvial 1599 Washington, National Gallery of Art
Pieta 1600 Naples, Museo Nazionale di Capodimonte
La fuite en Egypte 1604 Rome, Galerie Doria-Pamphili
Persée pétrifie Phinée en lui présentant la tête de Méduse 1605 Rome, Palais Farnèse

Annibal Carrache appartient à une célèbre famille d’artistes de Bologne, avec son frère Augustin Carrache (1557-1602), principalement graveur, et son cousin Ludovic Carrache (1555-1619), qui fut influencé particulièrement par les artistes de Parme (Le Parmesan, Le Corrège). Après une formation auprès des peintres maniéristes Fontana et Bartolomeo Passarotti, Annibal commence à travailler à Bologne avec sa famille.

Bologne est alors une ville importante, où réside notamment l’archevêque Gabriele Paleotti, un des grands instigateurs du Concile de Trente. Celui-ci milite notamment pour un art religieux simple et direct, à fonction essentiellement didactique, à l'opposé du courant maniériste alors en vigueur. D'autres personnalités, en particulier scientifiques, comme Ulisse Aldrovandi influenceront également l'art d'Annibal Carrache.

La fondation de l’accademia degli incamminati par les Carrache est un évènement majeur pour l'art. En effet, cette institution n'est pas un simple bottega, une réunion d'artisans, comme on en trouve à la renaissance, mais elle regroupe aussi des médecins, des astronomes, des philosophes, dans le but de créer des artistes cultivés. L'accademia devient une véritable école, où les élèves apprennent à dessiner d'après le nu et des modèles célèbres, et une institution culturelle, qui permet la conception et la diffusion d’une théorie et d’un style artistiques novateurs. La doctrine de l’académie se résume en trois points : le retour à l’étude de la nature, l'étude des grands maîtres du passé et l'étude de l’antique, tout ceci s'inscrivant dans une recherche du beau idéal. Ces principes seront repris par les artistes de l'école de peinture de Bologne et, pendant plus de deux siècles et demi, surtout en France. «Écrire l'histoire des Carrache et de leurs disciples est presque écrire l'histoire de la peinture en Italie pour les deux siècles qui suivirent» dira même Lanzi dans son Histoire de la peinture en Italie (1792).

Durant son séjour à Bologne, Annibal Carrache peint principalement des tableaux privés, scènes de genre, portrait, paysages, et quelques tableaux d'autel. Mais c'est avec les décors des palais Fava et Magnani, réalisé avec Ludovico et Agostino qu'il acquiert un notoriété suffisante pour éveiller l'attention du cardinal Farnèse.

C'est finalement en 1595 qu'Annibal Carrache est invité à Rome par le cardinal Odoardo Farnèse afin de décorer son palais. Son premier travail a lieu dans le Camerino, mais l'œuvre majeure est sans aucun doute le décor de la galerie. Si la voûte fut réalisée par le seul Annibal, les parois sont en fait l'œuvre de sa famille et de trois de ses élèves, Guido Reni, Giovanni Lanfranco, et le Dominiquin. Pendant son séjour à Rome, Annibal est confronté onze ans aux œuvres très différentes, du Caravage. Son style évolue cependant à l'opposé de ce grand artiste, vers un plus grand classicisme, une étude de l'antique et des grands maîtres comme Raphaël plus poussée. Le décor du palais est toutefois assez mal reçu par le cardinal, provoquant une profonde déception de la part d'Annibal, qui sombre alors dans la mélancolie et la dépression. Il meurt en 1609, plus ou moins fou. Son corps repose au Panthéon de Rome.

On divise généralement la carrière d'Annibal Carrache en deux temps : celui de Bologne, jusqu’en 1595, puis celui de Rome jusqu’à sa mort en 1609. Toutefois, ses dernières œuvres, peintes après la galerie Farnèse doivent être considérées à part car elles relèvent d'une esthétique toute différente.

Les premières œuvres de Carrache représentent en général le quotidien, présenté de manière spectaculaire, vu de près. Il rompt avec les versions anecdotiques et moralisantes de son maître Passerotti pour privilégier le rendu pictural de la réalité, et ce avec des effets de touches, et une absence de stylisation qui donnent une impression de vécu et de spontanéité. Trois grands types de peintures sont alors privilégiés : scènes de genre, portraits et paysages.

Dans La boucherie, réalisée dans les années 1580, la nouveauté consiste non seulement à introduire une scène de genre de format monumental, mais aussi à peindre de manière à ce que les coups de pinceau, rapides, soient bien visibles. Le mangeur de fèves, datant de 1583-84, est encore plus parlant, avec son cadrage serré, qui sollicite le spectateur comme assis en face de la table, et la pose triviale du personnage, pris sur le vif. Idem pour le jeune garçon buvant, réalisé vers 1582.

Dans son Autoportrait avec son père et son neveu, conservé à Milan et peint vers 1585, l'artiste, visiblement un peu bohème, se représente en confrontation directe avec le spectateur, qu'il regarde non sans une certaine inquiétude. D'autres portraits, comme celui du docteur Bossi, présentent ce même rapport direct avec le spectateur, à rapprocher du goût de Carrache pour la scène de genre.

En représentant une nature immédiate et réaliste (arbres cassés, lumière naturelle), Annibal Carrache remet aussi au goût du jour le genre du paysage, considéré jusqu'ici comme tout à fait mineur. Toutefois, même s'il s'appuie sur l'observation du réel, Carrache n'hésite pas à changer la nature, la recomposer, pour lui donner une perfection irréelle. Pour Yves Bonnefoy, ces « milles paysages composés vont bientôt répandre la souvenance mélancolique du pays perdu de toute harmonie » : Carrache recherche une harmonie parfaite et impossible.

Dès ses premiers tableaux d’autel, Carrache cherche à réaliser une synthèse entre dessin et couleur, et à faire entrer le sacré dans le réel. Les tout premiers dénotent encore de ce style un peu brut qu'il utilise dans ses scènes de genre : grands aplats colorés, effets d'empâtement sont notamment remarquables dans la crucifixion de 1584. Par contre, une évolution vers un style différent, a lieu rapidement, passant par des œuvres quasiment baroques comme l'apparition de la Vierge à saint Luc et à sainte Catherine du musée du Louvre (1592) et d'autres plus douces et plus équilibrées, telles la madone saint Louis de la pinacothèque de Bologne (vers 1590). Des influences variées, comme celles du Corrège, de Tintoret ou de Raphaël peuvent être alors mises en évidence.

La peinture à la fresque est toutefois toujours considérée comme l’expression majeure de la peinture. Le succès des trois Carrache débute donc grâce aux décors de fresques à Bologne, comme ceux du Palais Fava, (1583-84), ou encore ceux du palais Magnani, chacun étant signé conjointement par Annibal, Augustin et Ludovic. Au palais Fava, une grande frise est réalisée ayant pour thème Jason et Médée. On y note à la fois un certain réalisme des figures et des nus, mais toujours une inspiration de l’antique, alors que le paysage prend une importance nouvelle. Le décor du palais Magnani marque l’apogée de la carrière des trois peintres à Bologne, et vaudra finalement à Annibal d'être appelé à Rome.

Plusieurs tableaux, notamment d'autels sont réalisés dans les années 1595 et 1605 par Annibal Carrache à Rome, comme une Pietà, datée vers 1600. La référence à la Pietà de Michel Ange semble évidente, mais on retrouve aussi dans le tableau, grâce aux jeux d’ombres et de lumière notamment, le lyrisme du Corrège. Une seconde Pietà, datée de 1606, et conservée à la National Gallery de Londres est encore plus marquée par le lyrisme. Inspirée d'une déposition (conservée à la pinacothèque de Parme), elle s'organise autour d'une composition rigoureuse : les personnages, monumentaux, sont inclus dans un ovale et organisés selon deux diagonales. Liés par les regards, les mains et les formes qui s’emboîtent, il donnent un mouvement ascendant, par paliers, qui tourne autour du Christ. La Vierge, livide, est très réaliste, ajoutant à la dramatisation de la scène ; mais le Christ bien dessiné, posé en pleine lumière, semble un peu idéalisé. Ce tableau exprime néanmoins fortement l’émotion et le drame

Toutefois, la grande œuvre d'Annibal Carrache à Rome est encore une fois un travail à fresque, à savoir le décor du Camerino et de la galerie du palais Farnese. La plupart des historiens d'art estiment d'ailleurs que cette galerie pose réellement le premier jalon de la peinture moderne.

L'iconographie de la galerie peut surprendre. En général, dans ce lieu d’honneur par excellence des demeures romaines, qu'est la galerie, on décore par de grands moments de la famille, ou des légendes héroïque servant de dithyrambe du commanditaire. Ici, cependant, est illustré un thème insolite, surtout dans le palais d'un cardinal la domination universelle de l'amour. Cette iconographie pourrait être liée au mariage entre le duc de Parme et Marguerite Aldobrandini en 1600, et devrait alors être considéré un peu comme un épithalame. Cependant, de nombreuses autres interprétations ont cours.

Plusieurs références peuvent être identifiées, comme Michel-Ange (Chapelle Sixtine) pour la monumentalité et Raphaël (Chapelle Farnésine) pour la grâce des nus féminins. De nombreux procédés illusionnistes, comme la quadratura (système proprement Bolonais, prolongeant l’espace réel par un espace fictif à dans les angles), ou le quadririportati (« tableaux rapportés », avec un cadre, donnant l’impression de toiles de chevalet accrochées) sont utilisées. De même, bien que tout soit entièrement peint, des hermès et des atlantes donnent l'illusion de stucs, les médaillons évoquent des bronzes, et l'accumulation d’éléments sur les parois comme les sculptures antiques situées dans des niches participent encore de l'illusion…

La bacchanale qui constitue le tableau central montre clairement plusieurs sources d'inspiration, telles que la bacchanale de Titien, les noces de psyché par Raphaël et des sarcophages antiques (qualités sculpturales, frise, fluidité, jeu de contraposto). On y note la présence d’humour et de sarcasme, comme dans les léopards un peu ridicules, et une complexité savante. Cette galerie inspirera fortement de nombreux peintres, comme Poussin et Rubens

A partir de 1605, Carrache sombre dans la dépression, pour finalement mourir fou en 1609. Son Autoportrait, conservé au musée de l'Hermitage, marque son anxiété et ses doutes. Quelques œuvres majeures datent de cette période, comme la fuite en Égypte, qui constituerait la pièce maîtresse d'un groupe de 6 toiles (selon Brandini). Le sujet religieux est inséré dans un paysage de campagne romaine, recomposé pour créer un équilibre et un dynamisme (eau, chêne). Ce tableau constitue ainsi une sorte de résumé de l’esthétique classique du bel composto.

La classification de Carrache est assez difficile. Le peintre est en effet à la fois baroque, dans l'illusionnisme, l'exubérance des formes, la composition foisonnante et classique, de par sa mise en page équilibrée, son dessin net, la qualité sculpturale de ses personnages. On doit plutôt lui reconnaître un certain éclectisme, sans lui nier un style personnel, plutôt que de tenter de l'enfermer dans une catégorie.

Grâce à l'accademia, de nombreux peintres formés par les Carrache permettent la diffusion de son style à travers l'Europe entière de façon durable. On peut ainsi citer les noms de l'Albane, qui reprend les conceptions du paysage idyllique d'Annibal Carrache, du Dominiquin, avec son classicisme minutieux et intransigeant, de Guido Reni, qui fréquenta l’académie des Carrache et fonde un grand atelier à Bologne en 1614, ou encore du Guerchin, qui, bien qu'autodidacte, s'inspira d'œuvre des Carrache et installa à Bologne, après la mort de Guido Reni.