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La descente du Gange ou La pénitence d'Arjuna

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La descente du Gange ou La pénitence d'Arjuna
Art de l'Inde, 660
Granit, 1300 x 2700 cm
Tamil Nadu, Mahabalipuram

Ce bas-reliefs monumental sculpté sur une formation rocheuse représente une scène montrant un ascète qui se dresse devant le dieu Śiva pour obtenir un don. Stylistiquement, cette œuvre appartient au groupe des monuments attribués au roi Narasimhavarman I", dit Mahamalla (roi vers 630-668). Avec ses 25 mètres de longueur et 12 mètres de hauteur environ, c'est la plus grande sculpture narrative en Inde et même de l'une des plus grandes au monde.

Le bas-relief est orienté vers l'est. Il a été créé avec beaucoup d'habileté et d'imagination sur un bloc de granit rose en plein air donnant à l'ensemble un effet naturel. Plusieurs des figures sculptées sont en taille réelle. La partie inférieure gauche, vierge de toute sculpture, semble inachevée avec toutefois des ébauches du détourage de quelques formes. L'œuvre monumentale comporte environ 150 représentations de dieux, d'humains, de nains, d'êtres célestes mi-humains, mi-animaux, ainsi que d'animaux réels ou mythiques

1- Description

Une fissure naturelle sépare la frise en deux parties. Elle forme le centre théorique, sinon géométrique, de la composition. L'archéologie a permis de retrouver, au sommet du rocher, les restes d'une citerne, d'où pouvait effectivement s'écouler de l'eau, retenue à cet effet. Il est également probable qu'une structure palatiale se trouvait au sommet du plateau.

En haut, à gauche de la fissure où s'écoulait l'eau, un ascète est debout sur un pied, les bras levés et regardant le soleil. Devant lui se trouve une divinité que l'on peut identifier comme étant Śiva : il porte un trident et une hachette, a les tresses de l'ascète et fait le geste du don.

Dans la fissure, on voit des divinités à corps de serpent, les naga. Derrière le dieu, des chasseurs sont au milieu d'animaux et des étres divins sont en train de voler.

Ces êtres célestes se retrouvent de l'autre côté de la faille et sous ces personnages défilent des éléphants de très grande taille.

À gauche de la fissure s'élève un petit temple, qui présente toutes les caractéristiques de l'architecture pallava et autour duquel des ermites se livrent à la méditation et à l'ascèse. Dans le petit temple on aperçoit une image de Vişnu. Dans le bas, à droite de la fissure, devant les défenses de l'éléphant de tête, on reconnaît un chat yogi en posture de méditation, cela lui paermet d'attirer à lui des souris insouciantes qui gambadent autour de lui.. mais dont l'une lui servira de repas. La scène figure un dicton de la sagesse populaire indienne qui conseille de se méfier des faux sâdhus, racontée dans le Pañchatantra un recueil de contes vieux de 25 siècles.

Le temple s'inspire du style de la Draupadi des Cinq Ratha avec une tour carrée à dôme curviligne avec une stupi. Les coins sont décorés de motifs floraux, les corniches sont également visibles avec des " kudus " sculptés avec des visages humains à l'intérieur. Dans le plancher au-dessus de la corniche, des motifs de lion sont sculptés. Un carré supporte le toit en dôme. On voit Arjuna assis devant le temple. Une tortue est figurée tout en bas indiquant la présence d'eau dans le voisinage immédiat.

 

2 - Interprétations mythologiques

Plusieurs hypothèses ont été avancées quant à l'identification de la scène La plus ancienne propose d'y voir une représentation de l'ascèse d'Arjuna. Le récit provient du Mahābhārata, lorsque le héros Arjuna se livre dans l'Himalaya à une ascèse terrible afin d'obtenir une arme divine qui offrirait la victoire face au clan rival des Kaurava. Dans cette histoire, Śiva se manifeste tout d'abord sous l'aspect d'un chasseur d'une tribu sauvage, un kirāta. Par conséquence on pourrait identifier l'ascète à Arjuna en pénitence devant Śhiva faisant le geste du don. Le récit apparaîtrait en raccourci, avec la présence des chasseurs kirāta, ainsi que la nature sauvage alentour et des êtres divins apportant leurs armes. La présence de la rivière n'est pas un élément fondamental du récit mais ne s'y oppose pas non plus, puisque l'épisode est censé se passer non loin des sources du Gange.

Cette hypothèse n'a pas satisfait tout le monde, notamment parce que la rivière semble être essentielle dans la scène : non seulement elle occupe le centre de la composition mais elle attire l'attention de la majorité des êtres et animaux figurés. C'est pourquoi il a été proposé d'y voir une représentation d'un autre mythe: la descente du Gange sur terre. Selon le Ramayana, le roi Bhagiratha, ancêtre de Rama, se livra à une très dure ascèse durant mille ans afin d'accomplir les rites funéraires et de purifier les cendres de ses soixante mille ancêtres. À force de courage, il obtint de Brahma la descente sur terre de la Ganga (le Gange). Cependant le flot impétueux du fleuve aurait anéanti toute vie, tant sa force était grande si, à force de nouvelles austérités, le roi n'avait obtenu de Shiva la faveur de recueillir le Gange dans sa Jata (chignon d'ascète) pendant encore cent ans. Au terme de ces années, son cours avait été ralenti et Shiva put le laisser couler librement.

Les deux hypothèses paraissent donc pertinentes mais posent, l'une comme l'autre, quelques petits problèmes et recèlent des incohérences apparentes. Il demeure possible de proposer une interprétation plus complexe : les deux récits seraient, en fait, juxtaposés, selon le principe du double sens (ślesa) que permet la littérature sanskrite : l'ascète serait donc à la fois Arjuna et Bhagīratha. Au reste, cela expliquerait les légères distorsions par rapport à chacun des deux récits, le double sens obligeant à certains aménagements. Les jeux sur le double sens ne sont pas un pur exercice de virtuosité, ils visent à produire un effet en suggérant ce qui associe les deux sens. En l'occurrence, nous aurions ici deux allégories du pouvoir royal avec, d'un côté, Arjuna représentant le roi guerrier, à la recherche d'une arme pour défendre son royaume, et, de l'autre Bhagīratha qui assure à ses sujets la prospérité par la maîtrise de l'eau.

3 - Interprétation dynastique

Toutefois, nous savons aussi que la comparaison entre la généalogie des Pallava et la Descente du Gange est un lieu commun dans un grand nombre d'inscriptions de cette dynastie. La dynastie est censée descendre d'une grande divinité (Vişhnu ou Shiva, selon les cas) puis de Brahmä et de toute une série de grands sages divins avant de parvenir à deux personnages du Mahābhārata": Droņa, le brahmane-guerrier qui enseigne le maniement des armes aux deux clans antagonistes, et son fils Aśvatthäman. C'est ce dernier qui va devenir le père d'un prince qui, à sa naissance, sera couché sur de jeunes pousses (pallava, en sanskrit), qui lui donneront son nom. Ce Pallava est l'ancêtre mythique de la dynastie et, à partir de là, l'inscription passe de la généalogie divine à la généalogie royale. Un fait constant de tous ces documents est qu'ils mentionnent l'ascèse d'Aśvatthāman, ce qui invite à proposer un troisième niveau de lecture: l'ascèse serait aussi celle qui donne naissance à la dynastie. Un autre détail pourrait venir à l'appui de cette nouvelle interprétation : la présence des serpents dans la rivière. Celle-ci nous rappelle une légende très populaire en pays tamoul, où une dynastie naît de l'union d'un guerrier d'origine brahmane et d'une princesse-serpent.

Par conséquent, la « Grande Ascèse » serait (aussi) une représentation sculptée de la généalogie royale exprimée dans les inscriptions. En définitive, le relief dans son ensemble peut être lu comme une apologie de la royauté : en faisant réaliser ce relief monumental, Narasimhavarman Ier Mahāmalla et, à travers lui, tous les rois pallava se seraient placés dans la succession d'Arjuna, de Bhagīratha et d'Aśvatthāman et sous la protection de Shiva et de Vişhnu. Ce n'est d'ailleurs certainement pas par hasard que les « portraits » royaux sont situés directement sous l'ascète principal et que l'on assiste à une « descente », mise en parallèle avec celle du Gange.

 

Compléments

Les dieux Shiva principalement, mais aussi Vishnu et Sūrya (le soleil), Chandra (la lune), accompagnés d'une foule d'êtres célestes comme les Kinnara et Kinnari, les Gandharva et leurs épouses les Apsaras, les Bhutas Ganas, les nains, etc. sont bien visibles sur la partie supérieure à droite comme à gauche où, accompagnés d'animaux, ils semblent courir vers le fleuve réapparu.Les créatures aquatiques tels les nâgas et nāginīs sont également représentés au centre dans leur milieu liquide.

 

Les animaux :

Sur le rocher de droite en bas, sont figurés de grands éléphants dont l'interprétation reste, pour certains, incertaine : ils figurent peut être les piliers du monde, placés dans le monde souterrain. Pour d'autres, il s'agit de la monture d'Indra dieu du ciel, Airavatha le majestueux éléphant blanc reconnaissable, sur le bas-relief, à ses quatre défenses. Il est accompagné par sa femelle et par des éléphanteaux qui jouent entre ses pattes. On retrouve, porté à l'excellence, des qualités propres à l'art indien, témoignant d'un goût prononcé pour la nature observée dans ses moindres détails. Ainsi, les oreilles découpées des pachydermes et les plis de leur ventre, ou encore les jeunes éléphants qui dorment sous la protection des adulte

Lions - A l'extrême gauche, figure un exemplaire de l'emblème de la dynastie Pallava, ainsi que plusieurs autres à l'autre extrémité du monument.

Macaques - Présents à plusieurs endroits du bas-relief principal, on peut voir une sculpture en ronde-bosse à quelques mètres à droite de la Descente du Gange qui représente une famille de macaque, le mâle épouillant sa femelle qui allaite son petit.

Cerfs et biches - Les cervidés sont figurés plusieurs fois. En particulier tout en bas sous la représentation d'Arjuna en prière, on voit un cerf qui gratte son mufle avec sa patte arrière, couché à côté d'une biche.

Animaux domestiques - Dispersés un peu partout on trouve plusieurs représentations des cheptels (béliers) et des volailles élevés à l'époque, canards et poules fréquentent tout particulièrement les abords immédiat du Gange près du déversoir.

Personnages divers :

Hormis les nombreuses représentations divines, le bas-relief dépeint la vie de village en Inde au VIIe siècle, notamment des scènes de la vie quotidienne.

Les chasseurs et les scènes de chasse font partie de cette partie du panneau ; un chasseur à l'arc, deux chasseurs se cachant sous les arbres pour chasser, un lion sur le point d'attaquer deux chasseurs sont quelques-unes des parties des scènes forestières gravées sur le panneau. Une autre scène est celle de quelques singes, et de la sculpture d'un lion dans sa tanière avec quelques cerfs devant. Des sculptures de chasseurs portant un pichet et un autre transportant les dépouilles des animaux tués sont également visibles.

Dans la partie supérieure, à droite de la fissure, le donateur et mécène, le roi Pallava Mahendravarman (580–630) est représenté en compagnie de ses trois épouses.

Le monument fait partie du groupe des monuments de Mahabalipuram qui sont inscrits sur la Liste du patrimoine mondial par l'UNESCO depuis 1984.

 

Source : Vincent Lefèvre, Les arts de l'Inde, collection Manuels de l'Ecole du Louvre. Mai 2025.

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