Si l'année 2004 fut furieusement romanesque, le cru 2005, tout aussi excellent, se placerait plutôt sous le signe des puissances mentales explorant les forces à l'oeuvre dans le cerveau ou s'imprégnant des sensibilités historiques.

 

Puissances mentales

Sous les oripeaux d'un film de genre Million dollar baby est un grand film abstrait sur le dépouillement. Last days est un splendide film cristal dans lequel la solitude et la mort finissent par avoir raison des pulsions créatrices. Dans A history of violence, Tom Stall accomplit un parcours rectiligne pour affirmer ses choix, quitte à avoir recours aux techniques meurtrières de son passé. Dans Aviator, le cerveau de Howard Hughes affronte les forces centrifuges que sont ses impulsions conquérantes et les forces centripètes de ses pulsions phobiques. Dans Manderlay, Lars von Trear théâtralise les impasses d'une conscience asservie par l'esclavage consenti ou par une bonne volonté toujours trompée par la duperie des hommes. Dans Les invisibles, Bruno devra réaliser que les fantasmes de la voix érotique qui l'avait aiguillonné dans son travail doivent être abandonnés pour achever une œuvre. Keane joue dans son cerveau l'enlèvement de sa fille et Don Johnston se refuse à la déploration passé pour goûter dans Broken flowers l'intensité du présent lorsqu'il retrouve les femmes qu'il aima autrefois. A travers la forêt se joue dans le cerveau d'Arielle. Eros, nonobstant son supplément sexuel, fait l'apologie de la permanence de l'amour.

 

Conscience historique

C'est de la Chine continentale (The world) et taiwanaise (Three times) que sont venus les deux grands films historiques, sachant articuler la sensibilité d'un individu et celle de son contexte historique. Peut-être y a-t-il un coté zen chez Garrel qui lui permet d'atteindre une même adéquation entre sensibilité individuelle et sensibilité d'une époque dans Les amants réguliers. Tout comme le goût du judo rapproche peut-être Douches froides du Japon. Nettement moins mental, bien qu'amorcé par une superbe voix off, le film est à la fois plus réaliste mais tout aussi politique que ces derniers. Rarement la confrontation entre les milieux bourgeois et prolétaire, soumis ici à des contraintes identiques (paraître, gagner, boire…), n'aura montré à quel point les uns sont plus fragiles que les autres mais y gagnent peut être aussi une force et une lucidité plus grande. Cette accession à la conscience est le parcours accompli par les femmes de Moolaadé ou la jeune fille de Dans les champs de bataille qui vaincront la soumission lâche des hommes aux traditions instituées pour assurer leur domination.

 

Le réalisme en sortie de dispositif

Les dispositifs formels de Mélinda et Mélinda, Peau de cochon, La saveur de la pastèque ou Wallace et Gromit et Le filmeur sont plus savants et bouclés encore que ceux des films précédents. Mais, justement parce qu'ils manifestent une grande jouissance à en sortir pour révéler toutes les pulsions du corps, ces films sont certainement les plus mal élevés et, partant, les plus réalistes de l'année.

 

Consciences individuelles, historiques, politiques ou intimes dressent un panorama varié de postures morales qui sont autant de dimensions possibles laissées à la disposition des spectateurs.

 

Top 30

 

1 : A history of violence, David Cronenberg
2 : Million dollar baby, Clint Eastwood
3 : Last days, Gus van Sant
4 : The world, Jia Zhang-ke
5 : Aviator, Martin Scorsese
6 : Three times, Hou Hsia-hsien
7 : Les amants réguliers, Philippe Garrel
8 : Manderlay, Lars von Trier
9 : Douches froides, Antony Cordier
10:Les invisibles, Thierry Jousse

11: Mélinda et Mélinda, Woody Allen
12: Peau de cochon, Philippe Katerine
13: La saveur de la pastèque de Tsai Ming-liang
14: Wallace et Gromit, le mystère du lapin-garou, Nick Park
15: Keane, Lodge H. Kerrigan
16: Broken Flowers, Jim Jarmusch
17: Les noces funèbres, Tim Burton
18: Moolaadé, Sembene Ousmane
19: Dans les champs de bataille, Danielle Arbid
20: Le chateau ambulant, Hayao Miyazaki

21: A travers la forêt, Jean-Paul Civeyrac
22: Voici venu le temps, Alain Guiraudie
23: Eros, Michelangelo Antonioni
24: Match point, Woody Allen
25: Le territoire des morts, de George A. Romero
26: Le filmeur de Alain Cavalier
27: Le petit lieutenant de Xavier Beauvois
28: L'enfant des frères Dardenne
29: Caché de Michael Hanneke
30: J'ai vu tuer Ben Barka de Olivier du Peron
31: Charlie et la chocolaterie de Tim Burton
32: Mary de Abel Ferrara

 

hors compétition :

Edvard Munch, de Peter Watkins (1974)
Damnation, de Bella Tarr (1987)