Editeur : Wild Side Video, septembre 2011; Master restauré. Anglais mono Sous-titres : Français. Durée : 1h51. 15 €.

supplément :

  • Minnelli, au fond de l'âme : entretien avec Jean Douchet (0h13)


Quand Ann fait la connaissance d'Alan, célèbre inventeur et capitaine d'industrie, c'est le coup de foudre. Ils se marient et partent pour Washington où Ann fait son entrée dans la haute société de la ville. Puis le couple part pour Middleburg, en Virginie. Ann apprend alors que son mari a un frère, Michael, escroc et psychopathe, à qui il voue une haine irrévocable....

Lorsque Ann rencontre pour la première fois Michael, il lui déconseille la baignade car, si la mer parait calme, il existe des courants sous-marins (undercurrent) qui pourraient l'emporter au loin. Le film est à l'image de cette mer. Le début pourrait être celui d'une brillante comédie, puis, peu à peu, le ton change. Ann découvre que son mari est un être inquiet, que le monde qu'il lui ouvre n'est qu'apparence de douceur et vrai enfer carcéral, froid et déshumanisé. Parallèlement, elle découvre un autre monde, celui de Michael, qui va se révéler conforme à ses rêves de jeunes filles, ceux qu'elle partageait avec son père.

Un mélodrame psychanalytique

Célèbre en tant que spécialiste de la comédie musicale et de la comédie, Minnelli se révèle aussi un maître du mélodrame. Lame de fond poursuit en 1946, le travail sur ce registre amorcé avec The clock, grand succès en 1945.

Le personnage d'Alan permet d'allier une trame de film noir au film psychanalytique. Le visage souriant du capitaine d'industrie en masque un autre, prêt à tout pour refouler son complexe d'infériorité. L'apport de Karl Freund, un des plus grands chefs opérateurs allemands qui a travaillé avec Murnau est notable dans nombre de séquences où l'ombre et la lumière se pénètrent l'une l'autre. Ainsi dans la grande scène explicative dans l'écurie. La lumière qui éclaire le visage d'Alan est celle d'une lampe mise en mouvement par les ruades de l'étalon. Michael lui révèle qu'il a compris qu'il avait volé l'invention de Carl Steuer qu'il appelait sa "Fern" capable d'abattre les nazis à distance, or, en allemand, Fernsteuerung signifie contrôle à longue distance où téléguidage ainsi que la nommera Alan quand il se la sera approprié. Il explique aussi le comportement de Warmsley, jusque-là assez étrange, qui a deviné le crime de son patron et est devenu son homme de confiance, lucide dès le premier regard sur la ressemblance entre Ann et Sylvia, l'ancienne maîtresse d'Alan. La lumière est aussi essentielle lorsqu'Ann éteint les bougies pour piéger George qui ne sait qui joue au piano ou lorsqu'Alan arrive à l'improviste et plonge la pièce dans l'obscurité en renversant la lampe.

Le refoulé d'Alan se traduit aussi par la disparition de toutes photos, aussi bien dans la propriété familiale que dans son bureau de Washington.

Alan n'a cessé de tromper Ann, lui déclarant qu'il l'aimait parce qu'elle ne ressemble à personne, et prétextant lui faire plaisir en la présentant dès son arrivée à Washington alors qu'il voulait montrer à quel point il serait capable de faire de cette provinciale une femme digne de lui, forte, mondaine. Ann représente l'apogée de sa possession et de son pouvoir. Lorsqu'il l'habille chez les grands couturiers, elle est devenue sa chose et il conclue la soirée par "A qui appartiens-tu ?" demande Alan et comme elle répond "A toi", Michael peut l'embrasser apaisé "c'est ça qui compte... Si tu l'oublies, tu le regretteras".

Retrouver le rêve de blancheur, de douceur et d'innocence

Ann accomplit le chemin inverse de l'héroïne de Soupçons (Hitchcock, 1941). Celle-ci devait apprendre à se défaire de ses soupçons et à aimer son mari. Ici, Ann femme qui a peur d'elle, qui n'est pas sûr d'elle, sort d'elle-même, se montre courageuse et déterminée envers Alan, Sylvia et Warmsley. Mais n'est-ce pas pour retourner aux rêves de l'enfance ?

Comme souvent chez Minnelli, le rapport social s'incarne dans la famille. Le drame se joue dans le couple, oppose deux frères et en revient au rêve du père. Lorsque son père vend la tetradytre à Alan, il semble aussi lui offrir sa fille tant il parait alors le gendre idéal et c'est à ce rêve que se conforme d'abord Ann.

Se sentant étrangère au monde de Washington, elle ne peut toutefois qu'être sensible au sentiment d'être une invitée, ne possédant pas les codes adéquats. Elle ne peut qu'être touchée par le poème de Stevenson, "Je dis ma maison..." qui marque le plaisir de se savoir de passage et de tout partager avec la nature. La musique romantique de la 3e symphonie de Brahms est sans cesse contrariée par le comportement d'Alan. Minnelli oppose le bureau froid de San Francisco sans photos à la chaleureuse maison de Michael, emplie d'affectivité (guitare, pipes, livres).

La grande scène de réconciliation finale porte les mêmes stigmates de l'indépassable bonheur familial que dans Le chant du Missouri réalisé deux ans plus tôt. Si Ann n'a plus son petit chien Rummy, celui qui aimant tant l'odeur d'hamburger de la tetradyte, elle a retrouvé en Bate un chien joyeux et affectueux. Anne en peut distinguer l'interprétation du thème fameux de la 3e symphonie de Brahms par son père qu'elle croit d'abord au piano et par Michael qui la joue en réalité. Assise au piano avec lui comme elle l'était avec son père et toute de blanc vêtue elle retrouve la blancheur de la scène initiale sous la neige. Les courants sous-marins sont décidemment les plus forts et ramènent vers le rivage celle qui s'était imprudemment lancée dans un océan de nouveauté.

 

Minnelli, au fond de l'âme : entretien avec Jean Douchet (13')

Les films de Minnelli ne relèvent que de trois genres : La comédie musicale, la comédie et le mélodrame. Lame de fond est l'un de ses premiers mélodrames. Sur une trame classique, le bon va se révéler être le méchant et le méchant le bon, une femme hésite entre deux idées de l'amour de l'homme.

Minnelli bénéficie de l'apport de Karl Freund, un des plus grands chefs opérateurs allemands qui a travaillé avec Murnau. Ici l'ombre et la lumière se pénètrent l'une l'autre. On n'est pas dans du réel mais dans du mouvant, dans ce que ressentent les personnages. L'affectivité se cherche et se rêve.

Alan veut une femme digne de lui, forte, mondaine. Lorsqu'il l'habille chez les grands couturiers, elle est devenue sa chose. La femme représente l'apogée de sa possession et de son pouvoir. Michael, le frère, l'artiste vit du rêve et n'impose pas son pouvoir. La sensualité et le désir deviennent plus importants ; ce basculement est plus intéressant que celui qui fait devenir le mari un criminel.

Ann Hamilton est une femme qui a peur d'elle, qui n'est pas sûr d'elle. Katharine Hepburn est très précisemment dirigée par Minnelli, pour sa diction et certains gestes précis. Robert Taylor est très à l'aise en méchant. Mitchum à ses début est impressionnant : lourdeur dans le corps, visage beau et ingrat

Comme souvent chez Minnelli, le rapport social s'incarne dans la famille ; ici, entre deux frères, parfois les pères et mères interviennent. La place que l'on est obligé de jouer, de prendre dans la société qui nous étouffe est déjà mise en place dans le système de la famille.

Si l'intrigue un peu excessive, Minnelli se montre un génie dans l'utilisation de la lumière. Pas un seul plan qui ne soit magnifique au point de vue mise en place, mise en décor, mise en lumière, mise en costume et mise en place des acteurs. Chaque cadre est exactement ce qu'il doit être. Minnelli est en avance sur son temps... qui est déjà admirable !

 

 

 
présente
 
Lame de fond de Vincente Minnelli