L'idiot

Editeur : Montparnasse, juin 2010. Deux films de Pierre Léon : L'idiot et Ocobre . 20 €

 

Deux magnifiques films de Pierre Léon qui rendent hommage à l'Idiot de Fiodor Dostoïevski.

L'idiot (2008)

L'Idiot est la transposition quasi littérale des derniers chapitres de la première partie du roman éponyme de Dostoïevski. L'Idiot nous plonge dans la soirée donnée par Nastassia Philippovna (Jeanne Balibar) à laquelle participent ses nombreux soupirants parmi lesquels Totski (Bernard Eisenschitz), Gania (Serge Bozon), Rogogine (Vladimir Léon), Mychkine (Laurent Lacotte)… Son amie Daria Alexeïevna (Sylvie Testud) assiste, impuissante, au scandale qui s'en suit

Pierre Léon souhaite adapter L'idiot dans son ensemble. Pour des raisons budgétaires, il a du se contenter d'adapter d'abord les quatre derniers chapitres de la première des quatre parties du roman de Dostoievski. Un bref carton indique ainsi qu'il s'agit de l'épisode IV d'un film conçu, selon les dires du réalisateur, en quatorze parties.

Un épisode à la mesure du roman

Le roman expose les difficultés de la vérité et de la sincérité dans les cercles mondains. Le Prince, malgré son caractère débonnaire et angélique, bouleverse les conventions car il s'exprime avec clarté, sincérité et spontanéité et ne tarde pas à déchaîner les passions et se crée des ennemis chez ceux que cette pratique indigne. Ce sujet universel rend inutile de reconstituer la Russie du XIXe siècle et Pierre Léon situe sans difficulté cette histoire dans un hors temps européen.

La réunion hétéroclite des quatre prétendants de Nastassia Philippovna, lors de son anniversaire constitue un épisode autonome capable de rendre compte de l'originalité du roman dans son entier. La succession des épisodes contrastés qui s'y déroulent est une sorte de concentré du roman avec ses enchevêtrements d'intrigues entre les personnages qui donnent lieu à des rebondissements permanents et imprévisibles.

Pierre Léon accentue la possible autonomie de ce passage, le plus célèbre du roman, en l'enserrant dans un flash-back pris en charge par Daria Alexeïevna. Autre liberté vis à vis de Dostoevski, il ajoute aussi, en guise d'exemplarité de la mentalité slave, une chanson d'amour triste au milieu du film.

Une caméra pour révéler ce théâtre de la cruauté

Filmé en durée réelle, le film est une succession de combats entre les personnages dont les motivations sont forts diverses : la bouffonnerie de Ferdychtchenko ; la bonhomie du général, la relative nostalgie de Totski qui veut se débarrasser de Nastassia Philippovna, la cupidité rentrée de Gania, le désir sexuel de Rogogine, la pitié et la grandeur à contretemps du prince Mychkine, cet idiot qui laisse tous les drames s'écrire en clair sur son visage, le traumatisme pervers qui agite Nastassia Philippovna et l'incite à ne plus croire en rien.

Ce théâtre des émotions se perdait dans les adaptations sans rythme de Akira Kurosawa (L'idiot) ou de Andrzej Zulawski (L'amour braque). Ici, la caméra de Pierre Léon capte la succession des regards avec la même virtuosité que Dostoïevski sait rendre anxieux le lecteur dans l'attente de la réaction de chaque personnage.

La lumière, plutôt douce, peu contrastée, vient contrebalancer l'expressivité des sentiments et la brutalité des dialogues.

 

Octobre (2006)

Ce film est une improvisation originale sur quelques thèmes inspirés du roman de Dostoïevski, l'Idiot. Trois personnes prennent le même train de Bruxelles à Moscou. L'un d'eux lit l'Idiot et c'est ainsi que commence une conversation autour de cette œuvre. Ils en citent des passages, échangent leurs impressions et partagent leurs analyses des personnages. De ces discussions entre ces trois anonymes naissent une amitié et des confidences.

Le film se clôt sur un carton indiquant la date du tournage, du 4 au 26 octobre 2004, comme à la fin d'un livre, l'auteur indique parfois la période où s'est déroulée l'écriture de son roman. C'est une histoire d'hommes et d'amitié que met en scène Pierre Léon avec ses mystères (Benoît connaît Benjamin, sans que le spectateur en soit d'abord informé, et lui remet une lettre, qui n'est pas obligatoirement à l'origine de son absence à la petite fête des retrouvailles) ses zones d'ombres et ses lacunes.

En préservant cette part de mystère, Pierre Léon semble échapper ainsi à la difficulté signalée par Dostoïevski, dans un passage lu deux fois par Circé puis Jérôme, pour décrire des personnages qui n'ont pas, d'emblée, des traits caractéristiques. Ce sont ce que l'on appelle des hommes ordinaires. Il ne s'agit pourtant pas des types perpétuellement ordinaires qui font des efforts pour sortir de la routine mais sans moyen, ce qui les condamne à la médiocrité. L'écriture de Dostoïevski sert en effet ici de socle à une amitié entre trois hommes qui va se former dans l'octobre moscovite.

Le roman sera une façon de parler de soi au travers de son approche sensible de l'écriture. Charles se reconnaît ainsi moins dans général Epantchine, qui fait des affaires avec son ami Totski, que dans le général Yvolguine, premier type du bouffon chez Dostoïevski qui annonce le père Karamazov. Charles aime le rapport à la vérité de Dostoïevski et le personnage d'Aglaé.

Ce rapport à la vérité dépend en effet moins de la personne qui parle que de celle qui écoute et qui, par ses réactions, silences ou approbations, construit le discours du locuteur. Ce que le film pratique lui-même avec l'écoute active de Benoît vis à vis de ses deux compagnons de voyage.

Le personnage d'Aglaé, resté Aglaïa dans la traduction en un tome de Jérôme, est immédiatement perçu dans toute sa complexité par le prince Mychkine qui se refuse à en faire le portrait comme il l'a fait de ses deux soeurs et qui déclare, scandaleusement, qu'elle est presque aussi belle que Nastassia Philippovna. Le lecteur ne comprend lui que petit à petit toute la richesse de personnage.

Jérôme Zimmer préfère lui l'étrange aventure du prince en suisse avec la jeune Marie, déshonorée. Benoît se souvient du passage entre Hyppolite Mychkine se terminant par le mot de celui-ci "Passez devant nous et pardonnez-nous notre bonheur". Ce mot est prononcé, à retardement, dans une coupe de montage qui cadre le paysage et non plus Benoît avec, en fond sonore, le lyrisme du requiem de Verdi (version Carl Schuricht en 39). D'autres moments d'émotion seront rythmés par Beethoven (Bartok au piano en 40), Lohengrin (version 1949) avec une intensité romanesque dont ne se départi jamais le film.

 

Ciné-club de Caen

 
présentent
 
L'idiot et Octobre de Pierre Léon