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La blouse roumaine

1940

La blouse roumaine
Henri Matisse, 1940
Huile sur toile, 92 x 73 cm
Paris, MNAM

Matisse a travaillé cette toile pendant six mois, du 5 octobre 1939 au 9 avril 1940. Mais l’origine du motif est un peu plus ancienne. Dès 1936, des blouses brodées à larges manches revêtent le modèle (alors Lydia Delectorskaya) dans certains des magnifiques dessins à la plume publiés dans le no 3-5 de Cahiers d’art. De nombreuses autres études dessinées, plus ou moins directement liées au tableau, sont réalisées fin 1939, d’après Micheline Payot, « brune, belle, l’esprit vif », selon le témoignage de Lydia Delectorskaya.

Matisse a d’autre part fait photographier, comme c’était son habitude depuis 1935, certaines des étapes les plus significatives de la longue élaboration de cette toile, posée par le même modèle. Dans un parti volontairement didactique, onze grands tirages encadrés de ces photographies ont été accrochés sur les cimaises de la galerie Maeght, en décembre 1945, autour de la toile – démonstration voulue par Matisse pour faire comprendre enfin que la « simplicité » à laquelle il parvenait (et qu’on lui reprochait) n’était pas une évidence miraculeusement atteinte, mais le résultat d’un difficile travail d’élimination. La même séquence figure dans le film documentaire réalisé en 1945-1946 par François Campaux.

De fait, La Blouse roumaine pouvait apparaître comme un objet de démonstration privilégié. Au départ, un fond fleuri (apparemment le même que celui de Figure décorative sur fond ornemental), un modèle coiffé en boucles et coques brunes à la mode de l’époque, vêtu de la « belle blouse roumaine ancienne, une blouse de broderie au petit point vieux rouge » et d’une jupe également imprimée de motifs de fleurs, en position assise, de biais sur un siège recouvert de tissu à carreaux.

À l’arrivée, en avril 1940, tous ces détails ont été supprimés, grattés ou recouverts. Sur un fond rouge uni, la figure s’est déployée, et le visage redressé surgit comme une fleur de l’épanouissement des manches blanches immenses, qui occupent toute la largeur de la toile, au-dessus de la jupe désormais bleue. Cet accord tricolore, l’élan des motifs décoratifs simplifiés, les courbes organiques qui magnifient la ligne des épaules, expriment la vitalité, l’énergie, comme les lignes de construction rayonnant autour du Portrait de mademoiselle Yvonne Landsberg (1914, Philadelphia Museum of Art).

Dans une toile jumelle, commencée en janvier 1940, mais reprise et achevée le 4 octobre, au retour d’un exode mouvementé, les mêmes manches semblables à des ailes sont repliées, et la figure aux yeux fermés est abritée au creux des bras : deux attitudes opposées qui sont peut-être la traduction plastique, inconsciente, de l’ambivalence des sentiments qui agitaient Matisse au moment où débutait une nouvelle guerre en Europe. Il ne pouvait manquer – il l’a dit et écrit bien des fois – d’être profondément assombri et angoissé par la situation. Il ne pouvait manquer aussi d’espérer, et de résister à sa manière, en restant en France (des invitations à se rendre en Amérique du Sud ou du Nord lui avaient été adressées avant l’été 1940), et en continuant à travailler du mieux possible.

Source : Isabelle Monod-Fontaine; Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007